La terre a tremblé en Nouvelle-France (5 février 1663)

Carte représentant la Nouvelle-France en 1657 par Francesco Giuseppe Bressani Source: Bibliothèque et Archives du Canada

Carte représentant la Nouvelle-France en 1657 par Francesco Giuseppe Bressani Source: Bibliothèque et Archives du Canada

Le 5 février 1663, à 17h30, un tremblement de terre de magnitude 7 (Réf), dont l’épicentre est situé dans la région de Charlevoix, secoue la Nouvelle-France. L’événement laisse des traces: il transforme physiquement le territoire mais surtout, il laisse une vive impression sur la population. Des témoins vont consigner par écrit leurs expériences. Des années plus tard, d’autres personnes vont relater ces événements. J’ai sélectionné quelques extraits qui vous montreront à quel point les points de vues des témoins et des mémorialistes diffèrent. Si certains tente de décrire objectivement ce qui s’est passé, d’autres y vont d’analystes fort surprenantes…
D’abord, Pierre du Bois d’Avaugour, gouverneur de la Nouvelle-France entre 1661 et 1663, écrit:

nous avons eu un tremblement de terre qui a duré près d’un demi quart d’heure, assez fort pour nous engager à un bon acte de contrition. Il a continué de temps en temps durant neuf jours et a paru jusqu’au dernier du mois mais toujours en diminuant. (Réf. p. 384)

Relations des Jésuites source: archive.org

Relations des Jésuites source: archive.org

Le père Hiérosme Lallemand, dans les Relations des Jésuites de 1663, a lui aussi livré un portrait assez réaliste de la situation:

Ce fut le cinquième jour de février 1663, sur les cinq heures et demie du soir, qu’un grand bruissement s’entendit en même temps dans toute l’étendue du Canada. Ce grand bruissement qui paraissait comme si le feu eût été dans les maisons en fit sortir tout le monde, pour fuir un incendie si inopiné; mais au lieu de voir la fumée et la flamme, on fut bien surpris de voir les murailles se balancer et toutes les pierres se remuer, comme si elles se fussent détachées; les toits semblaient se courber en bas d’un côté, puis se renverser de l’autre; les cloches sonnaient d’elles-mêmes; les poutres, les soliveaux et les planchers craquaient; la terre bondissait, faisant danser les pieux des palissades d’une façon qui ne paraissait pas croyable, si nous ne l’eussions vue en divers endroits.

Pendant ce débris général qui se faisait sur terre, des glaces épaisses de cinq et six pieds se fracassaient, sautant en morceaux et s’ouvrant en divers endroits d’où s’évaporaient ou de grosses fumées ou des jets de boue et de sable qui montaient fort haut dans l’air; nos fontaines ou ne coulaient plus ou n’avaient plus que des eaux ensoufrées; les rivières ou se sont perdues ou ont été toutes corrompues, les eaux devenant jaunes, les autres rouges; et notre grand fleuve de Saint-Laurent parut tout blanchâtre jusque vers Tadoussac, prodige bien étonnant et capable de surprendre ceux qui savent la quantité d’eau que ce gros fleuve roule au-dessous de l’Isle d’Orléans…

(Réf) Pour lire le texte en ancien français, c’est par ici (Réf)

Mère Marie de l’Incarnation , quant à elle, relate l’expérience de Mère Catherine de Saint-Augustin (Réf, 1 p. 376 et Réf. 2. ), qui aurait en quelque sorte prédit le séisme. Dans un autre texte, Marie de l’Incarnation soutient que c’est la consommation d’eau-de-vie dans la colonie qui aurait causé le tremblement de terre. (Réf. p. 377).Punition divine…

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Le tremblement de terre est resté dans les mémoires. Des années plus tard, on en parle encore, mais différemment.

Le botaniste suédois Pehr Kalm, dans ses récits de voyages publiés entre 1753 et 1761, note

Au commencement de février 1663 un grand tremblement de terre s’est fait sentir à Québec et par tout le Canada; il reste encore quelques vestiges de ses ravages.

Aucune personne n’a perdu la vie durant cette convulsion de la nature. (Réf. tome 2 p. 83 –p. 287 dans la version numérisée)

et plus tard, il écrit

Le grand tremblement de terre qui a eu lieu en Canada, en février 1663, et dont Charlevoix fait mention, a causé un dommage considérable à cette place, renversant les collines les plus élevées sur les côteaux qu’elles dominaient et comblant les vallées en état de culture. On m’a montré plusieurs petites îles qui doivent leur existence à cette convulsion de la nature. (Réf. Tome 2 p. 158 – p. 362 dans la version numérisée)

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La palme du récit le plus coloré revient cependant au père Charlevoix. Vous me permettrez donc de citer de plus longs extraits qui proviennent du tome 1 de son Histoire de la Nouvelle-France.

Histoire et description générale de la Nouvelle-France par le père Charlevoix Source: archive.org

Histoire et description générale de la Nouvelle-France par le père Charlevoix Source: archive.org

D’abord, le père Pierre-François-Xavier de Charlevoix revient sur les prémonitions de Mère Marie de l’Incarnation (il s’agit en fait de Mère Catherine de Saint-Augustin)

Enfin le même jour la Mere Marie de L’Incarnation, cette Illustre Fondatrice des Urfulines de la Nouvelle France, dont les Ouvrages, fi généralement eftimés, font foir qu’elle n’étoit rien moins qu’un efprit foible, après avoir reçu du Ciel plufieurs avis de ce qui devoit arriver, & dont elle avoit fait part au P. Lallemant, fon Directeur, étant fur les cinq heures & demie du Foir en Oraifon (a) , crut foir le Seigneur irrité contre le Canada & fe fentit en même tems porté par une force fupérieure à lui demander juftice des crimes qui s’y commetoient.  (Réf. p. 365)

La suite raconte l’apparition à Québec de quatre démons suivit d’un bruit infernal et la terre se met à trembler. La panique s’installe.

Les Campagnes n’offroient que des précipices, & l’on s’attendoit à tous momens à en voir ouvrir de nouveaux fous fes pieds. Des Montagnes enfieres fe déracinerent, & allerent fe placer ailleurs; quelques-unes fe trouverent au milieu des Rivieres, dont elles arrêterent le cour: d’autres s’abîmerent fi profondément, qu’on ne voyait pas même la cime des Arbres, dont elles étoient couvertes.(Réf. p. 365)

Des répliques au tremblement de terre se sont fait sentir pendant plus de 10 mois, sans faire de victime.

Dieu vouloit fans doute convertir les pécheurs, & non pas les perdre. Auffi vit-on par tout de grandes Confersions. (Réf. p.368.)

Le tremblement de terre comme châtiment divin et comme élément purificateur des âmes, en somme.

Selon Pierre Berthiaume, Charlevoix s’est inspiré des écrits de Hierosme Lallemand pour décrire le tremblement de terre. (Réf.) Et il signale, tout comme Marie de l’Incarnation, le rôle négatif de l’alcool dans tout cela…

Si on observe la présentation matérielle des événements, on remarque un souci manifeste de la part de l’historien d’imbriquer étroitement la question de la traite de l’alcool à celle du tremblement de terre. (réf. 378)

L’alcool comme cause de la vengeance de Dieu…

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On croit que le tremblement de terre était d’une magnitude de 7.  Les sources indiquent qu’il a été ressenti ressenti jusqu’en Nouvelle-Angleterre et en Nouvelle Belgique – aujourd’hui New York-  selon le père Charlevoix tandis que le père Lallemand parle de Gaspé, de la Nouvelle-Angleterre, de l’Acadie et plus loin même. Les témoins rapportent des secousses qui ont duré plusieurs mois et qui ont modifié la géographie physique de la Nouvelle-France. Il y a eu des glissements de terrains (notons qu’il y aurait eu de fortes précipitations avant le tremblement de terre). . Charlevoix rapport aussi qu’une montagne se serait affaissée (Réf p. 367).

Conclusion

Si certains livre une version plutôt objective du tremblement de terre, certains ajoutent une dimension religieuse à l’événement. C’est une une punition de Dieu, destinée à châtier les pêcheurs, coupables d’avoir consommé de l’alcool! Leçon à tirer de cet événement, ne péchez plus, repentez-vous! Si le tremblement de terre n’a fait aucune victime, il a quand même créé un certain effroi et modifié la géographie physique de la Nouvelle-France.

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Bibliographie
Berry, Lynn.« Le Ciel et la Terre nous ont parlé. »Comment les missionnaires du Canada français de l’époque coloniale interprétèrent le tremblement de terre de 1663, Revue d’histoire de l’Amérique française, Volume 60, numéro 1-2, été-automne 2006, p. 11-35

Pierre Berthiaume [en ligne] « Le tremblement de terre de 1663 : les convulsions du verbe ou la mystification du logos chez Charlevoix », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 36, n° 3, 1982, p. 375-387. [Page consultée le 25 avril 2010] Adresse URL

DE CHARLEVOIX, père François-Xavier. Histoire et description générale de la Nouvelle France, avec le journal historique d’un voyage fait par ordre du roi dans l’Amérique septentrionnale, Rolin, Paris, 1774, 809 pages. Adresse URL

DE L’INCARNATION, Mère Marie de. Lettres de la révérende mère Marie de l’Incarnation (née Marie Guyard) première supérieure du Monastère des Ursulines de Québec. Vve H. Casterman, 1876, 573 pages, Adresse URL.

Hierosme Lalement [en ligne] Tremble-terre universel en Canadas tiré des Relations des Jésuites 1663 et publié dans la revue Histoire Québec [Page consultée le 25 avril 2010] Adresse URL

KALM, Pehr. Voyages de Kalm en Amérique. T. Berthiaume, Montréal, 1880, volume 2, 469 pages, Adresse URL

Relations des Jésuites contenant ce qui s’est passé de plus remarquable dans les missions des pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, volume 3, A. Côté, Québec, 1858, 763 pages, Adresse URL

Ressources naturelles Canada [en ligne] Le séisme de Charlevoix survenu en 1663 [Page consultée le 25 avril 2010] Adresse URL

Ressources naturelles du Canada [en ligne] Les tremblements de terre [Page consultée le 25 avril 2010] n’est plus en ligne.

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