Faits divers: l’histoire des soeurs Hurley [Québec, juin 1904]

A la demande de monsieur Chartrand, voici l’affaire des soeurs Hurley.

La demeure des Hurley était située rue Ferland, à Québec. Le patriarche de la famille, Michael, était peintre. Dans le recensement canadien de 1871, on lit que son épouse était prénommée Catherine. Dans le recensement de 1881, Michael est inscrit comme étant veuf.

Extrait de l’annuaire Marcotte, édition 1896-1897

Michael et Catherine Hurley ont eu au moins quatre filles: Fanny (Frances), Catherine, Anna Maria et Helen Jane.

Catherine est décédée en 1901 suite à une noyade. On en a parlé dans le Quebec Mercury  comme vous pouvez le constater.

Extrait du Quebec Mercury, 3 juin 1901, relativement à la découverte du corps de Catherine.

Michael est décédé le 27 mars 1903 à Québec. Il avait 73 ans.

En juin 1904, il ne restait plus que Fanny, Anna Maria et Helen Jane au domicile familial de la rue Ferland.

Annuaire Marcotte, édition 1903-1904

Et ça n’allait pas bien du tout.

Extrait de la Patrie du 20 juin 1904.

QUINZE ANS SEQUESTREE

LES OFFICIERS PUBLICS FONT D’ÉTRANGES DÉCOUVERTES DANS UNE MAISON HABITEE PAR TROIS ALIÉNÉES

ELLES SERONT INTERNÉES

(Correspondance spéciale)

Québec, 20 juin 1904

La maison qui porte le no 13, de la rue Ferland, est habitée depuis un très grand nombre d’années par trois soeurs du nom de Henley[Note: il s’agit plutôt de Hurley], qui sont idiotes de naissance. Elles sont propriétaires du bloc dans lequel se trouve leur résidence, et jouissent d’un revenu annuel  de plus de quinze cents piastres qu’un nommé Mahoney, l’administrateur de leurs biens, retire et dépose pour elles. A la demande des voisins, les officiers du bureau de santé ont fini par faire une visite à leur domicile samedi, accompagnés du chef de police, d’une couple de constables et des docteurs Parks et Catellier. Ils ont eu d’énormes difficultés à pénétrer dans le logis.  L’une de ces forcenées s’était armée d’une barre de fer.

Les lieux étaient infects, le logis était dans un état de saleté indescriptible.

Lorsque les officiers de santé ont voulu pénétrer jusqu’aux mansardes, on leur a barré le passage. Il a fallu [illisible] toute espèce de moyen de persuasion pour calmer les infortunés et obtenir d’elles l’autorisation de monter au troisième étage. Les médecins seuls ont pu y monter, les docteurs Parks et Catelier, l’un après l’autre, et presqu’à la sourdine, pour ainsi dire. Quelle n’a pas été leur surprise d’apercevoir dans une chambre soigneusement  verrouillée, à travers un guichet pratiqué dans une porte, une femme absolument nue, dans un état affreux, étendue sur un sale grabat de paille, parlant d’une manière incohérente, et hurlant, vociférant de temps à autre. On a su depuis que cette pauvre folle était séquestrée depuis plus de 15 ans. On renouvelait sa litière de temps à autre par une ouverture pratiquée au bas de la porte, et on lui transmettait ses aliments par le petit carreau pratiqué au centre.

Les deux idiotes qui tenaient ainsi leur soeur séquestrée ont dit aux officiers de santé que c’était inutile de la déranger, parce qu’elle n’en avait pas pour longtemps à vivre; elles ont ajouté que dans tous les cas, elles souriaient [souhaitaient?] y voir elles-mêmes si elle n’était pas morte à l’automne.

Les officiers du bureau de santé ont résolu de prendre toutes les mesures nécessaires pour enlever ces trois idiotes du logement en question et de les faire transporter à l’Asile de Verdun. Ce déménagement forcé doit se faire aujourd’hui ou demain au plus tard; ce ne sera certainement pas sans de grandes difficultés. On devra user de force, se servir de courroies.

On s’y attend et on se prépare en conséquence.

Le tuteur de ces trois aliénés, leur oncle, qui réside à New York, est arrivé à Québec, et on m’assure qu’il a consenti à ce que ces trois malheureuses nièces soient internées dans un asile et qu’il a signé en conséquence les documents nécessaires.

Ces trois infortunées sont âgées de 33, 35 et 40 ans respectivement. C’est la troisième que l’on tenait ainsi sous le verrou depuis plus de 15 ans.

Celle qui a été enfermée pendant toutes ces années était Helen Jane. Elle n’a pas survécu longtemps à sa  »délivrance ». Elle est décédée le 15 juillet 1904 à Verdun, probablement à l’asile. Quant à ses soeurs, elles étaient toujours à Verdun en 1911 selon le recensement canadien.

Lorsqu’on consulte les recensements de 1871, 1881*, 1891* et 1901, il y a toujours une section où l’on demandait au recenseur de cocher s’il y avait quelqu’un atteint d’aliénation mentale dans le foyer visité. Rien de tel n’a été signalé chez les Hurley.

Une sombre histoire.

*Le nom Hurley a été orthographié Hurly. En 1891, Michael a été orthographié Michel

Bibliographie

Jean-Marie Lebel. Le Vieux-Québec: guide du promeneur. Sillery, Septentrion, 1995, 340 pages.

Jean-Marie Lebel. Les Chroniques de la Capitale. Québec 1608- 2009. Québec, PUL, 2008, 760 pages.

Registre d’inhumation du Mount Hermon Cemetery (BANQ)

Les enquêtes des coroners des districts judiciaires de Beauce, 1862-1947, de Charlevoix, 1862-1944, de Montmagny, 1862-1952, de Québec, 1765-1930 et de Saint-François (Sherbrooke), 1900-1954 (BANQ)

Billets reliés

Drame à Saint-Alban, 23 février 1890

Une mort mystérieuse (Saint-Julien-de-Wolfestown, 1888)

L’Incendie de l’asile de Beauport, 29 janvier 1875

Le fantôme de Mary Gallagher (Griffintown, Montréal, 26 juin 1879)

Le vinum colchici est dangereux pour la santé (Tabb’s Yard, Montréal, 1873)

8 réflexions au sujet de « Faits divers: l’histoire des soeurs Hurley [Québec, juin 1904] »

  1. Fascinant ! Un article précis et passionnant, comme à votre habitude.

    Je vous remercie beaucoup du temps que vous avez consacré à cette affaire qui m’intriguait depuis plus d’un an.

    Je me demande si le terme « idiote de naissance » réfère à un handicap mental (tel que la trisomie 21) ou s’il s’agit d’un terme fourre-tout pour désigner les maladies mentales en général. Ce genre d’attitude me semble davantage l’oeuvre de psychotiques que de « simples d’esprit ». Nous ne le saurons probablement jamais…

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  2. Les recensements sont tellement de bons pour nous fournir des indices à retracer des gens.
    Bel article… et belle recherche.
    Je m’y connais!

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  3. @S. Chartrand. Dans ce cas-ci, c’est vraiment embêtant. On aurait peut-être plus d’informations en consultant Le Soleil ou L’évènement, par exemple. J’ai hâte que ces journaux soient numérisés et mis en ligne.

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  4. juste une idée comme ça… si les recenseurs ont été dupés à quatre reprises sur la question de l’aliénation mentale, cela laisse supposer qu’au moins l’une des soeurs été assez « lucide » pour les tromper quatre fois… d’où la possibilité d’une psychose bien plus que d’une « idiotie de naissance »…

    ceci dit, ce n’est que pure spéculation 😉

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  5. Les recenseurs ne questionnaient pas nécessairement les habitants d’un logis. Ils pouvaient se référer à des voisins… D’où les erreurs surtout dans les dates et certains prénoms.

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  6. J’ai l’impression qu’à chaque recensement, c’est le père qui a dû répondre aux questions. Dans le fond, il pouvait dire ce qu’il voulait, les recenseurs ne devaient pas faire de vérifications exhaustives. Ca avait l’air d’être une famille dysfonctionnelle.

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