Incident au port de Québec [Québec,15 juillet 1872]

Extrait du Canadien, édition du 17 juilet 1872

L’EMBAUCHAGE DES MATELOTS ET SES FRUITS

L’embauchage des matelots qui se pratique sur une si grande échelle dans le port de Québec et que nos lois semblent impuissantes à réprimer, a produit un second meurtre cette saison. Cette fois, ce n’est plus une innocente victime, comme le matelot Gustaf Pnuss, qui tombe, c’est un de ceux qui font métier d’exercer cette coupable pratique. La victime est un des plus hardis embaucheurs du Cap Diamant. Celui qui a commis l’acte est un capitaine de bâtiment, d’un caractère doux et paisible, et de la plus haute respectabilité.

Extrait de Picturesque America, or, The land we live in, édition de 1874, deuxième volume, publié par William Cullen Bryant, p. 381

Voici les faits tels que recueillis:
 »Dans la nuit de lundi, un parti d’embaucheurs sous la conduite de James Dillon, qui tient une maison de pension pour les matelots et en même temps une auberge au Cap Diamant, se rendire à bord de la barque Rivoli, ancrée vis-à-vis le quai Napoléon, pour forcer quelques-une des matelots à déserter. Sur refus de ces derniers d’abandonner le bâtiment, les embaucheurs frappèrent quelques-uns des matelots, et il s’en suivit une mêlée générale entre l’équipage sous la conduite du capitaine du bâtiment, M. Napoléon Pelletier, et les embaucheurs. La résistance des marins fut telle que les intrus furent forcés de se retirer, et la chose en resta là pour le moment.

Il faut dire que le jour qui a précédé cette affaire, M. Pelletier avait vu plusieurs de ses matelots déserter son bâtiment, par les conseils du même embaucheur Dillon, et qu’il avait dû payer cinquante piastres pour ravoir deux de ses hommes.

Hier matin, vers 8 1/2 heures, le capt. Pelletier débarquait au marché Finlay avec un petit nègre qui est mousse à bord et un autre jeune martin, lorsqu’il se rencontra avec Dillon et Daniel Burns. Ce dernier qui est un runner pour un établissement d’embauchage.

Après que le capitaine eut mis pied à terre, Dillon et ses hommes demandèrent aux jeunes marins de déserter. M. Pelletier adressant la parole aux embaucheurs, leur dit de laisser ses hommes tranquilles.

Après un échange de quelques paroles, le capitaine fut assailli par Dillon et ses hommes et du chercher son salut dans une fuite précipitée. Se voyant poursuivi de trop près et sur le point de tomber entre les mains d’hommes qui pouvaient mettres ses jours en danger, il se vit forcé de se mettre en défense et de se faire une arme de la première chose qui lui tomba sous la main. Ce fut une hache de charpentier qui par hasard se trouva à sa portée.

Muni de cette arme redoutable, il en appliqua un coup à Dillon, sur la hanche droite et ce malheureux s’affaissa de suite, en perdant beaucoup de sang. La blessure, longue de six pouces à peu près et traversait horizontalement les muscles du dos, au dessus de l’os du bass jusqu’à la colonne vertébrale. Deux côtes étaient brisées, les reins lésés et les intestions sortaient par la plaie béante.

Le blessé fut de suite transporté à la station de police du marché Champlain, et on fit venir en toute hâte le Dr. Moffat et un prêtre.

Le Dr. a essayé de joindre les lèvres de la plaie et de les coudre, mais ça fut sans effet. Dillon perdit bientôt connaissance et mourut à peu près une demi-heure après avoir reçu le coup.

M. Pelletier a été arrêté aussitôt et logé dans une cellule de la station, qui en très peu d’instants se trouva entourée de plus de 500 personnes du quartier qui proféraient des imprécations contre le prisonnier et menaçaient de le lyncher.

Il n’y a pas de doute que si une forte garde de la police provinciale n’avait pas été placée à la porte, la station aurait été envahie et le Capt. Pelletier aurait été tué.

Lorsqu’il fut transféré de la station à la prison, sous une forte garde de police, la voiture était suivie par la foule qui vociférait des imprécations contre le prisonnier et lui lançait des pierres.

Après la mort de Dillon, son corps fut transporté à sa résidence. L’excitation y était à son comble.

Le défunt était âgée de 35 ans et natif de Dublin, et était marié. Il était arrivé en Canada il y a 5 ans environ et avait tout le temps exercé la même industrie, c’est-à-dire, tenant une auberge et maison de pension et pratiquant l’embauchage de matelots durant la saison de navigation.

M. Napoléon Pelletier, Capitaine de la barque Rivoli, qui a commis le fait, est natif de Ste. Anne de Lapocatière. C’est un homme d’environ 38 ans. Il est bien connu comme marin et a toujours porté un bon caractère. Sa femme voyageait avec lui à bord du bâtiment.

L’enquête du coroner s’est faite hier après midi. Le jury était composé comme suit:
John Gibbie, président, Chas. Dube, Samuel Dawson, Napoléon Delagrave, Ferdinand Labbé, Louis Turgeon, Robert Fullerton, Henri Delagrave, Guillaume Bouchard, Etienne Godbout, Louis Bourget, Wm. Hennessey, Henry Garneau, Joseph Onésime Rhéaume, John G. Burns, Ludger Bonhomme, Elzéar Bernier, Wm. Delany, Patrick Walsh et Henry Black.

Après l’audition des témoins et avoir délibéré quelques temps, le jury a rendu un verdict d’homicide contre le prisonnier.

Le Canadien, 22 juillet 1872

MISE EN LIBERTE – Le capitaine Pelletier a été mis en liberté samedi matin sous cautin par Son Honneur le juge Caron, à la demande de ses avocats MM. Parkin et Plamondon

Son batiment a laissé le port samedi à midi.

Le capitaine Pelletier fût finalement acquitté à l’automne 1872.

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