La corvette La Capricieuse [Québec, 1855]

La Capricieuse est le premier navire de la marine française à entrer dans les eaux du fleuve St-Laurent depuis la cession de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne.

Le Canadien, 16 juillet 1855

LA CORVETTE

Attendue et désirée avec une sorte d’impatience dès le premier jour que fut annoncée au public son arrivée prochaine, la corvette La Capricieuse, montée de 240 hommes d’équipage, sous le commandement en chef de M. V. Bellevèze, est apparue dans ce port vendredi soir, sur les sept heures, à la remorque du vapeur Advance préalablement expédié à sa rencontre.

L'Action catholique, 14 juillet 1955.

L’Action catholique, 14 juillet 1955.

Une salve de 21 coups de canon tirée de la corvette, lui fut aussitôt rendue par celui de la citadelle.

A la nouvelle de cette arrivée, qu’annonçait à la population entière le bruit de la détonation, la Plate-Forme se couvrit de spectateurs, dont on vit en quelques momens des masses compactes encombrer, outre cette promenade, les quais et tous les points environnant qui ont vue sur le fleuve. Des hourras bruyants sortirent en même temps de toutes les bouches en signe de félicitation et d’accueil pour les nouveaux hôtes dont ils annonçaient la bienvenue.

La corvette reçut à bord le même soir, à part son Honneur le Maire de Québec, quelques personnes désireuses d’accomplir à cette occasion un acte de civilité.

Le lendemain, samedi, eut lieu vers les onze heures et demie, sur le Quai de la Reine, la réception officielle de M. de Belvèze. Le Maire, accompagné du vice-consul français à Québec, M. Ryan, et d’un nombre très considérable de citoyens, lui présenta l’adresse qui suit:
M. De Belvèze

Commandant de la division navale de France sur la station de Terreneuve.

Monsieur de le commandant,
C’est pour les habitants de Québec un jour bien mémorable que celui où il leur est donné de souhaiter la bienvenue au glorieux drapeau de la France, l’alliée de notre gracieuse souveraine.

Si des évènements qu’il était au-dessus de la puissance humaine de maîtrise, ont tenu si longtemps les deux premières nations de l’Europe dans une attitude jalouse ou hostile, remercions la providence qui les unit ensemble aujourd’hui, afin de protéger le faible contre le fort, et de permettre aux lumières de pénétrer sur tous les rivages et chez tous les peuples.

Pour notre part, monsieur le commandant, nous espérons que votre arrivée parmi nous va marquer le commencement d’une nouvelle ère de prospérité pour les deux pays, et que les rapports commerciaux et les relations sociales qui vont s’ensuivre cimenteront chaque jour davantage l’alliance intime de l’Angleterre et de la France.

Dans cette vive espérance, veuillez bien, monsieur le commandant, agréer nos félicitations les plus sincères, et croire que c’est pour nous l’occasion d’une grande joie de vous voir sur un rivage où vos frères et les nôtres ont élevé autrefois la première tente de la civilisation.

A ces paroles du Maire convenablement adaptées à la circonstance qui les inspirait, M. de Belvèze répondit de la manière suivante:

M. le Maire, Messieurs,
Je suis touché de l’accueil sympathique que vous voulez bien me faire à mon arrivée sur vos rivages; c’est à la France, la patrie commune de vos ayeux et des nôtres, c’est à la gracieuse souveraine de la Grande-Bretagne, c’est à l’Empereur Napoléon que doivent être reportés l’honneur et l’hommage de cette réception: elle est la conséquence de la noble et féconde alliance qui unit les deux plus puissantes nations de l’Europe et les arme en ce moment pour défendre la civilisation contre la barbarie et rendre la paix au monde.

L’Empereur Napoléon disait à Londres:  »Le temps des conquêtes, est passé sans retour, et c’est en se mettant à la tête des idées généreuses, en faisant prévaloir partout l’empire du droit et de la justice, qu’une nation peut désormais être honorée et puissante. »

La mission que Sa Majesté Impériale m’a confiée est l’application de cette pensée. Absente depuis un siècle du fleuve St. Laurent, la marine française y revient pour renouer des relations commerciales longtemps interrompues, faire profiter notre pays des progrès immenses de votre agriculture et de votre industrie, ouvrir à nos armateurs et aux produits du travail français une voie qui fut longtemps fermée à nos vaisseaux.

Extrait de la Minerve, 16 juillet 1855

Une soirée organisée en l’honneur de l’équipage de La Capricieuse Extrait du Canadien, 16 juillet 1855

L’adresse pleine de sentiments bienveillants, qui m’est présentée, monsieur le Maire, l’assemblée nombreuse qui entour de tant d’honneur mon premier pas sur ce rivage, m’assure que votre concours est acquis à cette oeuvre de progrès.

Veuillez, M. le Maire, agréer l’expression de ma profonde gratitude et vous en rendre l’interprète auprès de vos concitoyens.

Le chef de division, commandant la Capricieuse,
V. Belveze

Cette présentation terminée,  plusieurs voitures procurées aux frais de la Corporation transportèrent à l’hôtel du gouvernement M. de Bellevèze et quelques officiers du bord, le cortège recevant partout sur son passage les acclamations empressées de la foule. Des pavillons aux couleurs de la France et d’Angleterre ornaient les devants de plusieurs maisons sur les rues où cheminait le cortège. Parvenus à la station indiquée, son Excellence le gouverneur, qui venait de s’y rendre avec le cérémonial militaire usité dans les grandes occasions, reçut M. de Bellevèze ses lettres de créance, et cette formalité fut suivie d’un entretien brief mais également dignes, et polies qu’échangèrent l’un avec l’autre ces deux représentants officiels de l’Angleterre et de la France. A la suite de cette entrevue, il visita avec son Excellence les fortifications de notre citadelle.

M. de Bellevèze a dû visiter aujourd’hui, sur invitation spéciale de la Corporation de Québec, la cataracte de Montmorency et les ouvrages de l’Aqueduc à Lorette, et il dînera ce soir au château de Spencer-Wood. A ce banquet doit succéder demain une autre soirée chez son Excellence, en l’honneur de M. de Bellevèze.

Mercredi (après-demain) se fera la pose de la pierre angulaire du Monument aux Braves du 28 avril 1760. Cette cérémonie dont l’imposant caractère s’annonce par les détails du programme que nous en donnons ailleurs, a été retardée en vue de l’intérêt particulier qu’elle empruntera à l’apparition au milieu des divers corps qui en formeront le cortège, des soldats de la marine française. Ce résultat heureux a été préparé sans doute, mais il convenait de tout point à l’objet dont nous parlons. D’ailleurs, le degré d’à-propos et d’éclat qu’un tel complément doit ajouter à la cérémonie de la date glorieuse de 1760, sera, nous n’en doutons point, pour chacun de nous, un motif de concourir par sa présence à la rendre plus solennelle. S’il est vrai que nous ne saurions être indifférents à ce qui nous nos pères constituait la nationalité, nous ne pouvons l’être davantage au sentiment qu’éveillent les souvenirs impérissables de leur bravoure sur les champs de bataille. Ce culte des souvenirs militaires est en même temps le culte de la patrie. Il n’y a rien qui ne doive honorer ceux qui le rendent, quel que soit d’ailleurs le sang qui en a mérité l’hommage. Telle doit être notre pensée touchant la commémoration de mercredi, et telle sera, devons-nous le dire, la pensée de ceux mêmes qui, se considérant comme nos rivaux à d’autres égards, admirent néanmoins le patriotisme jusque dans leurs adversaires et savent respecter le sentiment national partout où ils le voient exister.

S’ensuit une chanson en l’honneur du passage de La Capricieuse.

Pour en savoir plus:

Billets reliés

Le naufrage du Lunenburg (4 décembre 1905, Iles de la Madeleine)

Le torpillage du Nicoya et du Leto dans le golfe Saint-Laurent par un sous-marin ennemi [1942]

Peinture: Grosse-Ile vers 1838-1840 par Henry Hugh Manvers Percy

Les fêtes du tricentenaire de Québec en images (1908)

Publicité