Entre 1844 et 1849, le parlement du Canada-Uni siège à Montréal. Mais le 25 avril 1849, le parlement est incendié. Voici comment le correspondant du journal Le Canadien raconte les évènements.
Le Canadien, 27 avril 1849
LETTRE XXXVII
MONTREAL, 26 avril 1849.
J’ai à vous décrire une scène et à vous conter des faits, tels qu’il ne s’en est jamais passé dans ce pays, et qui rappellent les fameuses journées de Paris, avec cette différence que la populace de Paris, intelligente dans sa cruauté, n’a jamais brûlé de bibliothèque de 25,000 volumes, comme vient de le faire la populace loyale de Montréal.
Vous saurez que Lord Elgin, qui a sanctionné hier le bill d’indemnité, a été publiquement outragé et insulté au milieu de ses aides-de-camp, que les représentants ont été chassés à coups de pierres de la salle de leur délibérations, que l’hôtel du parlement a été brûlé et que le feu s’est étendu aux maisons voisines. Reprenons les choses de plus haut.
Il y avait, avant-hier, beaucoup d’excitation dans la classe mercantile de Montréal, au sujet du tariff qui devait venir en opération immédiatement après sa passation. Les marchands représentèrent que si le tariff prenait son cours de suite, les marchands du Haut-Canada, qui avaient reçu leurs importations par les Etats-Unis, auraient un avantage sur ceux de Montréal, qui allaient payer les droits très élevés, imposés par le nouveau tariff, et que par conséquent les consommateurs du Haut-Canada, qui avaient coutume de s’approvisionner à Québec, ou à Montréal. Une députation de marchands se rendit auprès de M. Hincks, priant le gouvernement de suspendre l’opération du tariff, jusqu’au mois de juillet. M. Hincks, priant le gouvernement de suspendre l’opération du tariff, jusqu’au mois de juillet. M. Hincks leur dit qu’ils auraient une réponse le lendemain matin. La réponse étant défavorable, les membres de la députation exprimèrent le désir que le bill fut sanctionné immédiatement, afin qu’au moins toute la flotte du printemps fût placée sur un pied d’égalité, et que les vaisseaux arrivés à Québec n’eussent point de préférence; ce qui fut convenu.
Le bill reçut en conséquence sa troisième lecture à trois heures de l’après-midi, et fut envoyé au Conseil Législatif, qui n’en fit qu’une bouchée, et lui donna ses trois lectures sans discussion. A cinq heures, le procureur se rendit en grand tenue au Conseil, et sanctionna non seulement ce bill, mais tous ceux qui avaient été passés depuis le commencement de la session parmi lesquels se trouvait le fameux bill d’indemnité pour les pertes souffertes pendant les insurrections de 37 et 38.

Voiture utilisée par Lord Elgin (lorsque les manifestants lui ont lancé des pierres), exposée au Château Ramezay, Montréal, QC, vers 1930
Lorsque Lord Elgin monta dans sa voiture, il reçut une salve d’oeuf pourris ou censés pourris, qui éclaboussèrent son carosse et sa suite; des grognements et vociférations injurieuses éclatèrent, mais furent mêlées de hourras des libéraux qui se trouvaient présents.
Immédiatement après, les meneurs du parti tory-antropophage de Montréal se réunirent dans dans les cafés, les bar-rooms et les autres lieux de réunion; et il se décida qu’il y aurait un indication meeting, au Champ de Mars, où l’on se proposait de brûler Lord Elgin en effigie. Des voitures attelées de plusieurs chevaux, portant quelques uns des coryphées du parti munis de cloches, parcoururent la ville dans toutes les directions et arranguèrent ainsi la réunion.
A huit heures, l’assemblée avait lieu aux torches, et avec un degré d’excitation furibonde qui se croit difficilement.
Vers la même heure, la chambre discutait tranquillement le bill de judicature de M. Lafontaine, et M. Laurin avait la parole un peu avant neuf heures, lorsque des cris de sifflets et des hurlements annoncèrent que la foule se portait vers le lieu des séances. Un instant après, M. Laurin fut interrompu dans son discours par une grêle de pierres. Plusieurs membres se précipitèrent vers la bibliothèque et d’autres autour du fauteuil, quelques-uns voulurent faire bonne contenance et restèrent dans leurs fauteuils; mais une seconde volée de pierres beaucoup plus grosses, lancées cette fois avec une vigueur, une précision et un ensemble qui dénotaient une intention bien arrêtée de démolir l’édifice, entrèrent à la fois par les croisées des deux côtés; et il fut impossible de tenir plus long-temps. L’orateur et tous les membres présents et les employés de la chambre se réunirent dans l’espace étroit qui sépare la chambre de la buvette, et qui se trouvait protégé d’un côté par la garde-robe, et de l’autre par les chambres de l’orateur et du greffier. C’était le seul endroit de l’édifice où l’on fut à l’abri du feu croisé de projectiles que l’on continuait à lancer avec la même force et le même ensemble. Un silence lugubre régna quelques temps; puis, comme à un commandement, les pierres furent lancées de nouveau, et des coups de sifflets et des cris de mort se mêlèrent à ce bruit. Quelques membres voulurent sortir; d’autres opinaient pour qu’on attendit l’arrivée des troupes qui avaient été requises et dont on espérait l’intervention de moment en moment. On cria tout à coup: les voici! et en effet, une troupe de furieux s étaient entrées dans la salle et y jouèrent à-peu-près la même scène que les sans-culottes dans la salle du trône le 10 août. Ils brisèrent pupîtres et fauteuils, s’emparèrent de la masse, et un d’eux se plaçant dans le fauteuil de l’orateur, déclara le parlement dissous. Un instant d’après, le cri au feu! retentit, et quelques membres descendirent de la salle dans le haut de l’édifice appelée le Comité de la Pipe, en criant qu’ils avaient vu mettre le feu à une extrémité de la bâtisse. Il fut alors décidé de sortir; et l’orateur en tête avec son costume, et les membres, deux à deux, descendirent et sortirent par la grande porte de l’édifice. Contre l’attente de tous ceux qui formaient partie de cette escorte, il n’y avait personne pour garder et barricader cette porte, comme on l’avait dit et annoncé plusieurs fois à l’intérieur. L’orateur et les membres qui l’accompagnaient purent sortir tranquillement, et se frayèrent un chemin dans la foule. Quelques membres cependant furent maltraité par la populace, entr’autres M. Watts qui fut sérieusement battu.
L’incendie du parlement. Titre original: The Burning of the House of Assembly at Montreal, 25 April 1849. The Illustrated London News, 19 May 1849, BAC
Dans un instant tout l’édifice fut la proie des flammes; les explosions du gaz et la quantité énorme de papiers et de livres renfermés dans cet espace rendent compte de l’incroyable rapidité avec laquelle se développa cet incendie. On assure, d’ailleurs, que le feu a été mis simultanément aux deux extrémités et au centre de l’édifice dans les caves. Il faisait une brise assez forte, et il y eut bientôt danger pour les maisons avoisinantes. Une maison dans la rue St. Paul brûla, et le feu prit aux hangards de M. Holmes, de l’autre côté, et au couvent des Soeurs-Grises, mais fut bientôt éteint. Les compagnies de pompiers eurent beaucoup de peine à se rendre sur le théâtre de l’incendie; elles étaient arrêtées, et les chevaux qui traînaient les pompes détellés par les émeutiers. En plusieurs endroits on coupa les tuyaux alimentaires des pompes.Quelques membres et employés de la chambre firent de grands efforts pour sauver la bibliothèque de la chambre; mais il n’y eut qu’un très petit nombre de volumes qui échappèrent au désastre.
Avant de se rendre à la chambre, la foule avait brisé toutes les croisées du bureau du Pilot, et dans la nuit, quelques personnes cassèrent aussi des carreaux à diverses places dans la ville.
Lord Elgin, qui était retourné à Monkland, revint en ville, et siégea quelques temps en conseil avec ses ministres. Les troupes ne furent rendues au lieu du désastre que longtemps après que l’incendie eût éclaté.
L’orateur a convoqué la chambre, ce matin, à dix heures, au marché Bonsecours; et elle s’y est ajournée à demain, à dix heures.
M. Baldwin a fait nommer un comité spécial pour s’enquérir des divers bills en progrès devant la chambre, et pour rétablir la liste des ordres du jour.
Il y a eu une discussion assez longue à laquelle ont pris part MM. Baldwin, MacNab, Cameron, Wilson, Papineau, Gugy, Scott, Armstrong, Sherwood, Hincks, Boulton, de Toronto, Chauveau, Robinson, Blake, et Badgley.
Il y a eu plusieurs rapports à l’ordre et des incriminations de part et d’autre. M. Wilson, membre tory a flétri en termes énergétiques, l’acte de vandalisme qui venait d’être commis; il a dit que la responsabilité en était à ceux qui avaient excité la populace par des discours et des écrits inflammatoires; et il ajouta qu’à la honte de Montréal, il y avait des hommes instruits et appartenant en apparence à la classe aisée parmi les émeutiers. Tout le langage de M. Wilson indique qu’il va laisser pour toujours ce parti. Quelques membres ont opiné pour une prorogation, mais l’immense majorité est bien décidée à siéger, coûte que coûte, et à tout faire pour que force reste à la loi.
Sir Allan MacNab a donné avis qu’il ferait motion demain pour permission d’introduire un bill pour pourvoir à ce que les pertes causées par l’incendie d’hier soient payées à même les fonds destinés à l’indemnité des pertes souffertes pendant la dernière rébellion.
Ce sarcasme cynique du chef du parti, et son langage et celui de ses amis, indiquent assez qu’ils veulent la guerre civile.
Les troupes sont sous les armes dans toute la ville, au Champ de Mars, au palais de justice, à l’hôtel du gouvernement et au marché Bonsecours des hourras sont établis. On a assermenté 200 connétables spéciaux, et il est question de lever les milices.
Après la séance, tous les membres libéraux et une foule de citoyens ont été inscrire leurs noms, à l’Hôtel du Gouvernement, sur le registre des visites à Lord et Lady Elgin.
L’incendie du parlement par C. W. Jefferys, extrait de The Winning of Popular Government: A Chronicle of the Union of 1841 Vol. 27 of « The Chronicles of Canada » Toronto: Glasgow, Brook & Company, 1920
La perte causée par cet incendie est estimée à £100,000; mais celle de la bibliothèques des deux chambres ne peut s’apprécier. Celle du conseil contenait environ 9,000 volumes, et celles de la chambre environ 16,000. Cette dernière était remarquable par la collection d’ouvrages sur l’Amérique, faite avec des recherches et des dépenses considérables par M. Faribault; et c’est là un malheur qui ne peut se réparer. Il y avait aussi dans chacune des bibliothèques une exemplaire des ouvrages d’Audubon, sur les oiseaux et les quadrupèdes de l’amérique, qui coûtaient chacun d’eux au delà de £300. Il y avait aussi la collection complète des Journaux et des Archives du Parlement-Uni, déposés là par le gouvernement impérial.
Tout cela a été dans quelques instans la proie des flammes. On doit regretter aussi les portraits des souverains de l’Angleterre et des hommes les plus distingués du Canada, qui formaient une petite galerie de peinture, dans le grand vestibule entre les deux salles de séance.
Un sentiment d’indignation règne dans toute la ville parmi les honnêtes gens.
…
P.S. – Chose étrange, il n’y a eu personne de tué, ni même de blessé sérieusement. Des émeutiers au nombre de dix, sont en prison.
Pour en savoir plus: Le parlement brûle! Centre d’histoire de Montréal
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