Translation des ossements des soldats français morts sur les plaines d’Abraham [1854]

Le Journal de Québec, 8 juin 1854

LA TRANSLATION DES OSSEMENTS DES SOLDATS FRANÇAIS MORTS AU COMBAT EN 1760, DANS LES PLAINES D’ABRAHAM.

A neuf heure, les différentes sections de la Société Saint Jean Baptiste se réunissaient sur le Champ de Mars, autour du char funèbre, entre deux baies de pompiers et de soldats. Les côtés du catafalque étaient ornés de deux magnifiques trophées de fusils, de sabres et de baïonnettes, et sur le devant était un petit tableau de M. Légaré, représentant la victoire des français.

Les coins du poêle étaient portés par les seize messieurs suivants: les honorables A. N. Morin, E. Pascal Taché, R. E. Caron, de Sales Laterrières, Jean Chabot, P.J.O. Chauveau, et MM. de Salaberry, Chs Panet, McDonald, dép. adj. général; Jacques Viger, Cauchon, Garneau, Faribault, Légaré, Dumoulin et L.G. Baillairgé.

Sur la terrasse la foule était immense, et les canons qui comme par souvenirs semblaient demander à vomir la foudre, et ces officiers et ces soldats qui donnaient avec tant d’empressement leur brillant concours à cette grande fête nationale, et ces drapeaux glorieux d’une époque effacée, et ce soleil si radieux et comme joyeux d’éclairer cette grande démonstration de la mort et du néant, avaient une majesté et une sublimité qui s’élevaient au-dessus de la pensée humaine et que notre plume ne saurait définir.

Jamais on n’avait rien vu de semblable dans Québec et jamais non plus occasion n’avait été plus favorable par une pareille fête. Les soldats anglais (le 66e et le 71e,) rendaient hommage aux os victorieux de Français, au moment où les Anglais et les Français se battaient pour une cause commune sur le sol de l’ancien monde.

Le Dr. Robitaille à qui nous devons l’organisation de cette fête, le commissaire ordonnateur de la Société Saint Jean-Baptiste, était partagé entre les mille détails de l’ensemble, et répondait à tout.

A dix heures, le char funéraire, traîné par six chevaux couverts de noir, s’ébranla et prit la direction de la rue Saint-Louis, pour gagner la cathédrale.

Combien de spectateurs dans les rues, combien aux fenêtres des maisons! Sur le champ de mars seul il y avait plus de dix mille spectateurs.

Arrivés devant l’hôtel du gouvernement, le convoi s’arrêta et l’honorable Louis Panet, président de la Société Saint-Jean-Baptiste, adresse à Son Excellence, l’Administrateur du gouvernement l’allocution suivante:

VOTRE EXCELLENCE

« La société Saint Jean-Baptiste, qui représente la grande masse de la population canadienne-française, désire particulièrement offrir à Votre Excellence ses plus vifs et ses plus sincères remerciements pour l’appui signalé que votre Excellence lui a si libéralement et si spontanément donné dans tout ce qui a été fait pour atteindre le but de cette grande et importante solennité.

« L’intérêt particulier que Son Excellence, ainsi que toute la garnison, a pris au succès et à l’éclat de cette démonstration, sans égard aux préjugés nationaux et sans nullement s’enquérir qui, dans l’occasion dont nous célébrons la mémoire, étaient les vainqueurs et qui étaient les vaincus, doit pour toujours éteindre et mettre au néant tout reste d’antipathie nationale, s’il en existait encore dans l’esprit de quelques-uns de nos compatriotes; et de tels procédés de la part de Votre Excellence feront plus pour amener entre les deux origines les bons rapports mutuels et la fusion complète des sentiments, que tout ce qui a été dit et fait pendant le dernier demi siècle. »

Son Excellence répondit à ce discours de la manière suivante:

« Monsieur le président et messieurs de la société Saint Jean-Baptiste,
« Il est extrêment [sic] agréable pour moi, ainsi que pour chacun des soldats que vous avez invités à prendre part à cette intéressante cérémonie, d’avoir à remarquer les efforts que votre société a faits pour honorer la mémoire de braves combattants morts sur le champ de bataille.

« Il importe peu de recherche à laquelle des deux armées rivales ont appartenu ces hommes valeureux. L’histoire a enregistré le fait qu’ils sont morts glorieusement en accomplissant leur devoir envers leur roi et leur patrie, et cette considération suffit pour accorder à leurs restes toute marque de respect et de vénération.

« Je vous souhaite, messieurs, le meilleur succès possible dans le grand oeuvre que vous venez d’entreprendre. »

Alors le concours se dirigea vers la cathédrale.

Jamais cette Eglise, mère du Canada, qui repose depuis 210 ans sur le roc de la vieille capitale, n’avait revêtu un deuil pareil. L’immense nef du centre, depuis l’autel jusqu’à l’orgue, était tendu de noir et de blanc, et quatre bandes mi-blanc mi-noir, partant d’un même point de la voûte et descendant en forme de mausolée sur la bière, avaient un incomparable effet de lugubre grandeur. Le cercueil était élevé sur neuf marches, placées au centre de l’Eglise, tout prêt de la chaire, et recouvert d’un mausolée, sur lequel mille lumières concentraient l’éclat de toute cette pompe funèbre. En avant était une estrade pour recevoir Mgr. l’Archevêque et le clergé.

Les neufs évêques du Concile étaient présents dans le choeur avec leurs théologiens et tout le clergé de Québec. Ces augustes prélats et ces prêtres vénérables venaient, comme toute la population de Québec, rendre hommage à des guerriers qui n’étaient plus, comme autrefois les autorités d’une ville allèrent déposer les clés de cette même ville sur le tombeau de Duguesclin.

Le choeur dirigé par M. Stanislas Drapeau, chanta avec un ensemble admirable, surtout le Libera accompagné de l’orgue, joué par M. Ernest Gagnon.

Le coup d’oeil de l’église était le plus beau de toute la fête, et c’est dans les occasions d’une pareille solennité que le catholicisme déploie une incroyable grandeur et une incomparable majesté. Devant cette pompe du néant, Massillon aurait pu encore une fois s’écrier; « Dieu seul est grand! »

La cérémonie terminée, le convoi défila par la rue la Fabrique et la rue Saint-Jean. La foule des spectateurs allait toujours augmentant; la ville presque entière assista à ce grand spectacle et presque tous les chantiers furent fermés.

A une heure, le cercueil était déposé dans la fosse qui lui était préparée à deux milles de la cathédrale, sur la terre de Julien Chouinard, écr., dont l’hospitalité et les prévenances pour tous ceux qui faisaient partie de la fête, méritent une honorable mention et la reconnaissance de la société Saint Jean-Baptiste.

Le colonel Taché parla une heure durant, décrivant la bataille dans laquelle étaient tombés les morts qu’on honorait, et donnant les paroles de louanges à leur bravoure. Le discours fini, des hourras furent donnés aux armées alliés de l’Angleterre et de la France, à la milice canadienne, au colonel Taché et à M. Chouinard.

La cérémonie se termina par la bénédiction de la fosse par M. le curé de Québec, laquelle fut suivie d’une salve d’artillerie par les voltigeurs pompiers et de plusieurs décharges de mousqueterie par la troupe de ligne et les volontaires canadiens.

La précision avec laquelle ces pompiers ont tiré et le canon de fusil et le fusil a été remarquée par les chefs militaires.

Jamais dans aucune circonstance on a eu autant de volonté d’ensemble. L’église a donné toutes ses pompes comme l’a fait l’autorité militaire, et de cette volonté est sortie la plus belle fête qui se soit peut-être vue sur le sol du nouveau monde. Nous n’exagérons rien; s’il y a exagération elle se trouve dans l’impuissance à décrire cette fête qui laissera des impressions profondes dans les coeurs des habitants de Québec.

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2 réflexions au sujet de « Translation des ossements des soldats français morts sur les plaines d’Abraham [1854] »

  1. Monument des Braves– translation (1854)
    Au début des années 1850, des ouvriers découvrent des ossements que l’on identifie vraisemblablement aux soldats morts le 28 avril 1760 lors de la bataille de Sainte-Foy. La Société Saint-Jean-Baptiste entreprend donc de les transporter dans une tombe commune, sur un terrain offert par un citoyen, le 5 juin 1854 . Dans le but de commémorer cette victoire française, on prévoit y ériger un monument à l’emplacement du moulin Dumont, site où ont eu lieu les combats les plus féroces. C’est le 18 juillet de la même année qu’est posée la pierre angulaire du monument. Un cortège de plusieurs milliers de personnes assiste à l’événement. L’équipage du navire de guerre français «La Capricieuse», un des premiers navires français à venir à Québec depuis la Conquête, participent également à la cérémonie.

    Source: CCBN

    Hommage aux Braves de Ste-Foy!

    En souvenir d’eux, reconnaissons officiellement les drapeaux régimentaires des troupes françoises et du régime français au Registre du patrimoine culturel du Québec!

    Soldat Sanspareil
    Chevalier de St-Véran
    2ème bataillon du régiment de la Sarre
    Vive le Roy!
    http://ordredesaintveran.puzl.com/coinsanspareil
    http://www.regimentdelasarre.ca
    https://www.facebook.com/pages/2e-bataillon-du-r%C3%A9giment-de-la-Sarre/544808575557032
    http://www.youtube.com/user/SoldatSanspareil
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    http://www.ameriquebec.net/actualites/2009/08/03-rapatriement-des-armoiries-royales-de-france.qc
    François Mitterrand
    Un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité

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  2. Discours prononcé le mercredi, 18 juillet 1855, par l’Honorable P. J. O. Chauveau: surintendant de l’éducation pour le Bas-Canada à la cérémonie de la pose de la pierre angulaire du monument dédié, par souscription nationale, à la mémoire des braves tombés sur la plaine d’Abraham, le 28 avril 1760

    https://archive.org/stream/cihm_22528#page/n5/mode/2up

    Hommage aux braves de Ste-Foy!

    Soldat Sanspareil
    Chevalier de St-Véran
    2ème bataillon du régiment de la Sarre
    Vive le Roy!
    http://ordredesaintveran.puzl.com/coinsanspareil
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