Trois squelettes découverts lors de fouilles archéologiques à Québec en 1878

Le 30  août 1878, le Courrier du Canada publie un article à propos de la découverte de trois squelettes lors de fouilles sur le site de l’ancien collège des Jésuites, dont la démolition a débuté l’année précédente. L’auteur tente d’identifier ces squelettes.

Extrait de l'Opinion publique, 18 octobre 1877

Bâti en 1635, le collège fut reconstruit en 1647 après avoir été endommagé par un incendie en 1640. L’édifice a par la suite été utilisé comme caserne pour les troupes britanniques de 1776 à 1871. L’hôtel de ville de Québec est bâti sur ce site. Extrait de l’Opinion publique, 18 octobre 1877

Le Courrier du Canada, 30 août 1878

« LES OSSEMENTS HUMAINS DES CASERNES OU DU COLLÈGE DES JÉSUITES.

La découverte récente d’ossements humains aux Casernes des Jésuites a piqué la curiosité du publie en général, et surtout des antiquaires et de ceux qui s’occupent de recherches historiques.

Naturellement on s’est demandé qui furent ceux qui ont été enterrés là où ces ossements ont été trouvés, et quel était ce champ des morts?

Une étude assez attentive que j’ai faite à ce sujet me porte à croire que les ossements des trois squelettes découvertes, avec deux crânes seulement, sont ceux du frère donné Jean Liégeois, du Père de Quen et du Père François de Peron, mort à Chambly, et dont les restes mortels furent envoyés à Québec pour y être inhumés.

Le lieu où les ossements ont été trouvés doit être l’emplacement de la chapelle bâtie en même temps que l’on construisait les autres parties du collège des Jésuites. Mais puisque la démolition de ce vénérable édifice, plus que deux fois séculaire s’achève, un précis historique sur la construction de ce collège ne sera pas hors de propos ici.

Disons d’abord, avec les savants abbés Laverdière et Casgrain, qu’il ne faut pas confondre la résidence ou le couvent de Notre-Dame de Recouvrance, brûlé ainsi que la Chapelle du même nom, en 1640, avec le collège (transformé plus tard en casernes) et dont on ne jeta les fondations que plusieurs années après.

La Chapelle de Notre-Dame de Recouvrance et la maison des Jésuites y attenant étaient situées sur le lieu où se trouve aujourd’hui la cathédrale anglicane. Dans l’incendie de 1640, chapelle et résidence furent détruites, les registres de l’état civil brûlé est, les Jésuites y perdirent tous leurs effets. « Nous avions ramassé dans cette maison, » écrivait le Père Lejeune, « comme en un petit magasin, tout l’appui et le support de nos autres résidences et de nos missions. Le linge, les habits et les autres meubles nécessaires pour vingt-sept personnes que nous avons aux Hurons étaient tout prêts d’être portés par eau dans ces pays si éloignés. »

Après cet incendie, les Jésuites se retirèrent pendant quelque temps à l’Hôtel-Dieu.

En 1637, les Pères de la Compagnie de Jésus en Canada, exposèrent à la Compagnie de la Nouvelle-France qu’ils voulaient bâtir un collège et séminaire pour instruire les enfants des sauvages, les Hurons résidant à 200 lieues de Québec leur en ayant envoyé six avec la promesse d’en envoyer un plus grand nombre, et aussi pour instruire les enfants des Français du pays, et que pour cela ils désiraient obtenir une concession de terre. La Compagnie de la Nouvelle-France leur accorda 12 arpents de terre à être pris à Québec, pour y bâtir un collège et séminaire, église, logements, etc., etc. Cette concession fût faite à une assemblée des directeurs de la Compagnie tenue à Paris, à l’hôtel du célèbre Fouquet le 18 mars 1637.

Ce ne fut qu’au printemps de 1647 que l’on commença à creuser les fondations du collège, dont la première pierre fut posée le 12 juin. « Ce même jour (12 juin 1647, » dit le Journal des Jésuites, » fut mise la première pierre au fondement du corps-de-logis des offices de la maison de Québec. »

[…]
Dans le mois de juillet 1650, on commença à travailler aux fondations de la chapelle, et le 18 octobre 1651, elle était assez avancée pour permette aux écoliers du collège d’y recevoir le gouverneur Lauzon.
[…]

Le 29 mai 1655, un grand malheur frappait les bons Pères; le frère donné Jean Liégeois était traîtreusement assassiné.
[…]

Ce jour-là, 29 mai, il était occupé dans les champs voisins de Sillery quand sept ou huit Agniés l’entourèrent tout à coup, le prirent sans résistance et lui percèrent le coeur d’un coup de fusil, dit le Journal des Jésuites; l’un d’eux lui enleva la chevelure et l’autre lui coupa la tête qu’il laissa sur place.

Le lendemain, les Algonquins trouvèrent son corps et l’apportèrent à Sillery d’où il fut transporté en chaloupe à Québec. Il fut exposé dans la chapelle, et le 31 mai, après l’office et la messe: « il fut enterré au bas de la chapelle, c’est-à-dire dans l’un des deux côtés où se trouve aujourd’hui l’autel de la congrégation des Messieurs. (Journal des Jésuites).
[…]

Rapport remis au premier ministre Gustave Joly de Lotbinière en 1879.

Relations de ce qui s’est passé lors des fouilles faites par ordre du gouvernement dans une partie des fondations du Collège des Jésuites précédée de certaines observations. Rapport remis au premier ministre Gustave Joly de Lotbinière en 1879.

Mais revenons aux inhumations dans la chapelle des Jésuites.

La première qui vient ensuite est celle du Père de Quen, qui mourut le 8 octobre 1659, des fièvres contagieuses apportées par un des navires d’outremer. C’est lui qui en 1647, découvrit le lac Saint-Jean.

[…]

Le Père de Quen fut enterré le 9 au matin […] Il était âgé de 59 ans.
[…]

La [sic] 15 novembre 1665 arrivait à Québec, venant de la rivière Richelieu, un bâtiment qui apportait le corps du Père François du Perron, mort le 10 au fort St.-Louis [Chambly].

[…]

De ce qui précède, il appert que trois inhumations ont eu lieu dans la chapelle des Jésuites, et ce sont les seules dont il est fait mention dans le Journal des Jésuites, et il est assez probable que la place qui restait pour un corps ne fut pas remplie. Or, on a trouvé les ossements de trois corps, il me semble donc assez rationnel de conclure que ce sont ceux du frère Liégeois et des PP. du Quen et du Perron.

Estampe | Vue de l'église et du collège des Jésuites | M2485

Vue de l’église et du collège des Jésuites par Richard Short, 1761.

Il est vrai qu’on ne trouve que deux crânes, mais il faut se rappeler que le frère Liégeois avait eu la tête tranchée qui fut laissée sur la place, dit le texte; on peut conjecturer que les Agniés traînèrent plus loin le corps lequel fut retrouvé sans tête et enterré ainsi.

Quant à la position de la chapelle, le texte qui précède relatif au Père du Peron indique assez qu’elle était le long de la rue, et si l’on réfère à la carte de Québec, de 1660, on voit en effet la rue longeant comme aujourd’hui le terrain des Jésuites.

Enfin les fouilles que, sur la demande du Père Sanchez, du Dr Larue et de quelques autres, l’honorable M. Joly, avec un bon vouloir qu’on ne saurait trop louer, a ordonné de faire, mettent à nu les fondations d’un édifice parfaitement dessinées, là même où la tradition place la chapelle, et là où les ossements ont été découverts.

Je livre ces renseignements à la publicité sans en donner les conclusions comme absolument certaines, car il peut se faire que l’examen de ces ossements fait par des personnes compétentes, prouve qu’ils ne peuvent appartenir aux cords [sic] supposés; ou bien encore que d’autres études plus savantes et plus attentives des annalistes anciens, fassent arriver à des conclusions différentes.

Dans le premier cas je serait le premier à m’incliner devant la science, et dans le second je ferait bien aisément le sacrifice de mon amour-propre à la vérité historique.

T. P. Bédard.

P.S. Comme deux journaux ont affirmé que des trois squelettes, un devait être celui d’une religieuse hospitalière, je me suis adressé à une des dames religieuses de l’Hôtel-Dieu pour lui demander des informations à ce sujet et je viens de recevoir d’elle la note suivante qui prouve clairement que la religieuse à laquelle il a été fait allusion a été enterrée dans le caveau de l’église des Jésuites et non pas dans la chapelle.
[…]  »

Pour en savoir plus:

Relations de ce qui s’est passé lors des fouilles faites par ordre du gouvernement dans une partie des fondations du Collège des Jésuites précédée de certaines observations. Narcisse-Henri-Édouard Faucher de Saint-Maurice, Québec, 1879.

« Faucher de Saint-Maurice, pionnier de l’archéologie historique au Québec » Marcel Moussette, Les Cahiers des dix , n° 61, 2007, p. 81-106.

Plaque du collège des Jésuites (Répertoire du patrimoine culturel du Québec, MCCQ)

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