Le Canada, 7 août 1923
UN DEUIL POUR LA LITTÉRATURE CANADIENNE
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LE DOYEN DES LITTÉRATEURS CANADIENS, M. SULTE, EST DÉCÉDÉ
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BELLE CARRIÈRE
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M. SULTE EST L’AUTEUR D’UNE CENTAINE DE VOLUMES HISTORIQUES, LITTÉRAIRES ET POÉTIQUES
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(Dépêche spéciale)Ottawa, 6 – M. Benjamin Sulte, le doyen des écrivains canadiens, est mort à 6 h30 ce matin chez son neveu M. Parent à Ottawa; il était âgé de 82 ans et était malade depuis dix-huit mois. Les funérailles auront lieu jeudi matin à 9 heures 30, en l’église des Pères Capucins à Ottawa.
La dépouille mortelle sera transportée aux Trois-Rivières. Un libera sera chanté aux Trois-Rivières vendredi matin.
Souffrant depuis dix-huit mois d’un cancer des intestins qui, depuis plusieurs semaines, ne lui donnait plus aucun espoir de guérison, il a succombé à la terrible maladie, chez son neveu, 43 rue Fairmont. M. Sulte gardait le lit depuis le 1er octobre, et sa fin annoncée était attendue avec douleurs par les nombreux amis qu’il avait su s’attacher à travers sa longue carrière. Le pays tout entier s’attriste à cette mort qui enlève aux lettres canadiennes l’une de ses gloires les plus brillantes qu’elle ait jamais comptées. Travailleur infatigable, chercheur éclairé, poète charmant, antiquaire consciencieux, érudit universel et très renseigné, M. Sulte a fourni dans toutes les branches de l’intelligence un contingent immense de travaux méritoires qui resteront après lui et seront longtemps consultés par ses successeurs.
Patriote ardent, écrivain original, M. Sulte a chanté le Canada en vers et en prose. Nul mieux que lui n’a su pénétrer dans ses moindres détails les annales disparues de ce pays, et on peut dire sans se tromper qu’il vit depuis trois siècles tant il s’est identifié avec les personnages du passé. De tous les coins du globe, M. Sulte était connu. Tous les littérateurs s’associent pour déplorer cette perte irréparable, car M. Sulte n’a pas été seulement un défenseur national de notre histoire, mais il a été un homme d’action qui a crée, pour les siens, des assises fondamentales sur quoi repose la connaissance plus éclairée de nos origines.
Benjamin Sulte naquit aux Trois-Rivières le 17 septembre 1841. Il n’avait que six ans lorsque mourut son père. Seul fils survivant, il commença à travailler à l’âge de dix ans dans un magasin de nouveautés, passa dans l’épicerie, l’imprimerie, les hardes faites, le commerce du cuir, devint comptable et commis en chef d’une exploitation de bois, etc, finalement, s’enrôla comme volontaire pour aller combattre les Fénians. Promu caporal, sergent, capitaine, il revint de la guerre, fut rattaché à la rédaction de la Minerve et envoyé à Québec, dans les bureaux où se travaillait la future confédération; il en dressa presque tous les comptes rendus de juillet 1866 à novembre de la même année, puis alla prendre la direction du journal Le Canada, à Ottawa, qu’il rédigea jusqu’en 1867. Chargé d’une mission secrète dans les chantiers de la Gatineau et du Saint-Maurice cette même année, il passa quatre mois dans les bois; ce voyage lui valut bon nombre d’histoires de cageux et autres qui sont encore lues avec intérêt.
Dès l’ouverture de la première session de la confédération, en 1867, M. Sulte y était occupé comme traducteur, position qu’il conserva jusqu’en 1870, tout en faisant en même temps du journaliste. C’est vers 1866 que commencèrent ses rapports avec Cartier, alors que celui-ci en était à faire passer son bill de la Milice. M. Sulte vit Cartier et compléta la mise au point du bill. Cartier le nomma son secrétaire. A la mort de celui-ci, M. Sulte resta dans le bureau de la milice; il fut tour à tour secrétaire, correspondant anglais, comptable, aviseur parlementaire, commis en chef du ministère. De 1882 à 1904, il a agi comme député-ministre de la milice sous quinze ministères différents. Il a pris une part active à l’expédition du Manitoba et à l’envoi des troupes canadiennes en Afrique, en 1899, et c’est lui que le regretté sir Wilfrid Laurier choisit comme organisateur des contingents militaires.
M. Sulte était à sa retraite depuis 1904. Il était le dernier survivant des employés civils qui sont entrés en fonction dès 1867. En 1919, il fut le seul Canadien-français nommé par le gouvernement pour organiser la présente Commission des sites historiques du Canada. Il était docteur en loi de l’Université de Toronto.
M. Sulte était membre de nombreuses sociétés savantes de Belgique, de France, d’Angleterre, des États-Unis et du Canada. En 1882, il a été l’un des fondateurs de la Société royale du Canada, dont il fut le premier président de la section française. Il fut aussi président de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Ottawa, de l’Institut Canadien-français, du Cercle des Dix, délégué en France à l’Institution Ethnographique, en 1879, chef du comité qui a organisé la Bibliothèque Carnegie d’Ottawa. Constructeur de monument, il a érigé celui de Champlain et de Cartier, à Ottawa, de Salaberry, à Chambly et à Châteauguay, et autres. Orateur éminent et sans égal, M. sulte a donné près de quatre cent conférences dans les deux langues, soit aux États-Unis et en Canada.
M. Sulte est l’auteur d’un grand nombre de volumes historiques, littéraires et poétiques, dont la collection formera une centaine de volumes. Tous les écrits du maître sont soigneusement conservés par son élève Gérard Malchelosse qui a commencé en 1918 la publication de ses oeuvres, sous le titre de Mélanges historiques, dont dix numéros sont parus à date. Citons de ses ouvrages; Histoire des Canadiens-français, 8 vols.; Histoire de la milice canadienne; la Btaille de Châteauguay; les Origines des Canadiens-français; la Langue française au Canada; Mélanges d’Histoire et de littérature; History of Québec; Histoire des Trois-Rivières, 12 vols.; Histoire de Saint-François-du-Lac; Histoire de Louiseville; Histoire de l’Ouest canadien; Les Laurentiennes, poésies; Chants nouveaux, poésies, etc., etc.M. Sulte avait épousé, en 1871, Augustine, la plus jeune des filles d’Etienne Parent, ancien journaliste, penseur, orateur et sous-secrétaire d’État. Il était le beau-frère d’Antoine Gérin-Lajoie, auteur de »Jean Rivard » et d’Evariste Gélinas, brillant journaliste qui signait »Carle Tom ». M. Sulte laisse une soeur encore vivante, Emilie, qui demeure aux Trois-Rivières.
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