Déportation des Patriotes aux Bermudes [juillet 1838]

Peinture | Dr Wolfred Nelson, 1848 | M20430

Dr Wolfred Nelson, 1848 par Théophile Hamel


Extrait du journal l’Ami du Peuple, de l’ordre et des lois du 4 juillet 1838 racontant le départ de huit Patriotes, soit le major Toussaint-Hubert Goddu, Siméon Marchesseault, le Dr Henri-Alphonse Gauvin, le Dr Wolfred Nelson, Robert-Shore-Milnes Bouchette, Bonaventure Viger, Rodolphe Des Rivières et le Dr Luc-Hyacinthe Masson condamnés à l’exil aux Bermudes pour leur rôle dans la rébellion au Bas-Canada.

DEPART DES PRISONNIERS – POISSON D’AVRIL EN JUILLET

Lundi après-midi, les huit prisonniers politiques ont été embarqués à bord du bateau à vapeur l’Aigle, pour être conduits à Québec et de là à la Bermude, où ils sont exilés. L’autorité craignait sans doute quelque trouble ou quelque démonstration bruyante et peu convenable, car elle a pris les moyens d’écarter la foule au  moment de leur départ. Le moyen employé nous semble un peu singulier. Une compagnie des royaux avaient été stationnée, au quai où se tiennent ordinairement les bateaux à vapeur et où se font toutes les embarcations; les soldats étaient rangés sur deux lignes ouvertes, comme s’ils eussent attendus les prisonniers, et ils avaient un soin particulier de faire ranger la foule, pour laisser le passage libre; une foule immense s’était portée sur le quai et attendait impatiemment l’arrivée des huit prisonniers. Mais pendant que le public ouvrait les yeux de toute sa force sur le quai de la ville, les prisonniers se préparaient à la prison, et lorsque tout fut prêt, le bateau à vapeur descendit rapidement, alla accoster au quai Gilbert, au pied du courant, où se trouvait une compagnie du 71e et une compagnie de cavalerie, qui ne permirent à aucun curieux d’approcher; les prisonniers arrivèrent bientôt en voiture s’embarquèrent immédiatement et le steamboat partit sans délais, laissant tous les curieux de la ville, les uns sur les quais, les autres aux fenêtres, les autres en voitures, courant à toute bride vers le pied du courant. On nous assure que plusieurs individus avaient loués des fenêtres dans la grande rue du faubourg de Québec, pour voir passer les prisonniers, et que les cours de justice vont avoir à décider s’ils sont tenus ou non à payer le prix convenu.

Ce petit tour joué aux curieux de Montréal, aurait été excellent, le premier jour d’avril, mais il est un peu lourd dans les chaleurs de juillet.

Nous ne prétendons pas blâmer la mesure d’éloigner le public de la scène d’embarquement,  en elle-même, mais le petit tour joué nous semble hors de saison. Cela aurait pu se faire franchement.

Puisque nous en sommes sur cette affaire, et probablement pour la dernière fois, nous devons aussi dire que le choix des déportés, nous semble fait peu judicieusement. Plusieurs de ceux qui sont exilés, sont loin d’être les plus coupables et surtout les plus importants. [Note: l’Ami du peuple n’était pas l’ami des Patriotes…]

Les Patriotes purent quitter les Bermudes en novembre 1838.

La Revue d’histoire de l’Amérique française a publié en 1962 et 1963 plusieurs documents en lien avec cet exil: 1, 2, 3, 4, 5 et 6.

Et bien sûr, aujourd’hui, 21 mai, fête des Patriotes, on visite ce site.

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Augustin Kennedy, déporté en 1826 aux Bermudes

Plusieurs centaines d’hommes, du Haut et du Bas Canada ont été au 19e siècle déportés, spécialement entre 1836 et 1840. Ils ont  transité, pour la plupart, par les prisons de Québec et de Montréal. La grande majorité étaient des soldats, mais certains étaient des brigands.  Ils ont été envoyé aux Bermudes, en Nouvelle Galles du Sud (Australie)et en Van Dieman’ Land (Tasmanie) pour 7, 14, 21 ans ou pour la vie. Internet permet de dévoiler quelques pans du parcours de ces hommes.

Un de ces déportés était Angustin Kennedy.

Ce que l’on sait à propos d’Augustin Kennedy

D’après le registre d’écrou des prisons de Québec, 19e siècle (BANQ), Augustin Kennedy est né au Canada, était âgée de 34 ans (lors de son arrestation ou de sa libération?) et mesurait 5 pieds 10. Notez que l’âge inscrit dans ces registres n’est pas toujours exact. Kennedy a été incarcéré le 8 octobre 1824.

Il a été condamné à la pendaison, pour meurtre. La sentence devait être exécutée le 31 mars. Elle a été reportée au premier vendredi de mai, puis reportée à une date ultérieure, selon le bon plaisir de sa Majesté. Il a finalement été déporté aux Bermudes le 6 septembre 1826 à bord du Carrington. Il n’y a pas d’autres prisonniers de la prison de Québec qui ont fait le voyage avec lui.

Pour le moment, je n’ai pas repéré le Carrington dans la liste des arrivées et départ au port de Québec pour cette période. Peut-être a-t-il embarqué à bord d’un autre bateau ayant un nom semblable ou bien le Carrington a-t-il été oublié dans la liste des arrivages au port publiée dans les journaux du Bas-Canada.
Le site des National Archives de Grande-Bretagne en permet pas de voir beaucoup de documents en ligne gratuitement, mais il nous permet d’avoir accès à plusieurs résumés. On y trouve  deux documents à propos d’Augustin Kennedy.

Le premier document date du 27 août 1825.

Document no 1 Records created or inherited by the Treasury Solicitor and HM Procurator General’s Department
ff 144-151 (8 pages) Opinion of Law Officers in the case of R v Augustin Kennedy. Opinion requested respecting the validity of Kennedy’s conviction for the murder of Pierre Dube in Quebec, Canada, and whether it should be reduced to manslaughter.
27 August 1825

On a donc demandé des instructions concernant la validité de la sentence de culpabilité rendue envers Kennedy pour le meurtre de Pierre Dubé. On a songé à changer le motif d’accusation pour homicide involontaire.

Document no 2 date de 1842

Il s’agit d’un document du  Colonial Office, Commonwealth and Foreign and Commonwealth Offices, Empire Marketing Board, and related bodies.

Reports that the Roman Catholic Bishop of Quebec had submitted an enquiry for the wife of a convict named Augustin Kennedy concerning his fate. Colonial Office draft states that Kennedy was sent to England in HMS Vernon where he received a total remission of his commuted sentence of transportation for life.

Augustin Kennedy, après avoir purgé plusieurs années de sa peine, a donc reçu son pardon, puis a été envoyé en Angleterre via le HMS Vernon. Sa femme a tenté de le retracer, avec  l’aide de l’évêque.

Les journaux du Bas-Canada nous donnent un complément d’information.
D’abord, le Quebec Mercury du 2 avril 1825, à la page 4, publiait ce jour-là la liste des condamnés, leurs délits et leurs peines. Voici:

District of Quebec King’s Bench, March Term
Augustin Kennedy- convicted of the wilful murder of Pierre Dubé at the Parish of Green Island on the first of October, 1824. – Sentence : to be hanged on Friday 31st March, and the execution respited by the Court until Friday, the 8th of April next, when it is ordered that the sentence be carried into effect.

Augustin Kennedy a donc tué Pierre Dubé dans la paroisse de Green Island (L’Isle-Verte, près de Rivière-du-Loup ?) le 1er octobre 1824. Condamné à la pendaison, l’exécution de sa sentence a été reportée de quelques jours.

Le 9 avril 1825, le Québec Mercury mentionne que Kennedy a obtenu un sursis d’un mois. Nous savons qu’il y aura eu par la suite commutation de la peine.

Plusieurs questions  demeurent. Pourquoi la peine de Kennedy a-t-elle été commuée en déportation? Peu de gens étaient déportés à l’époque. Peut-on en savoir plus sur les circonstances entourant le meurtre de Pierre Dubé? Quelles ont été les conditions de vie de Kennedy aux Bermudes? A-t-il pu rentrer au Bas-Canada?

Prisonniers aux Bermudes
Le déporté se voit  assigner par le gouvernement à un bateau-prison (prison hulk) ou à une terre et on lui donne un travail.

Contrairement aux colonies pénitentiaires australiennes, il existe peu d’informations sur internet concernant les colonies des Bermudes. Si on cherche, on voit qu’il existe un petit cimetière de convicts (prisonniers) sur l’Ile Ireland. 2000 des 9000 prisonniers envoyés là sont morts.

Le texte Prison Hulks In Bermuda nous en apprend un peu plus sur la vie des prisonniers aux Bermudes. Pour plusieurs, être envoyés aux Bermudes signifiaient une amélioration de leurs conditions de vie. Mais c’était sans compter les épidémies de fièvre jaune qui ont fait des ravages dans cette région.

Certains objets liés aux prisonniers sont exposés au Bermuda Maritime Museum, mais vous ne les verrai pas sur leur site internet. Allez plutôt sur Flickr , une charmante touriste a croqué sur le vif les collections du musée.

Les autres déportés Bas-Canadiens des Bermudes

Outre Augustin Kennedy, il y a eu  Louis Bissonet, André Auger, Joseph Bergeron, Michel Monarque, John Bowman, Alexandre Fraser, William Kirk, John Plunket, John Boyle, Robert McAfferty, John Broad, Edward Walsh, Walter Gibbons, John Jordans et John Lilly.

Ils ont pour la plupart été condamnés pour vol et déportés entre 1814 et 1826.

Cette liste a été établie d’après le Registre d’écrou des prisons de Québec, 19 e siècle, BANQ.

N’oublions pas les déportés de 1838 qui sont assignés aux Bermudes pendant trois mois: Robert-Shore-Milnes Bouchette, Rodolphe Des Rivières, Henri-Alphonse Gauvin, Siméon Marchessault, Luc-Hyacinthe Masson, Bonaventure Viger, Wolfred Nelson et Toussaint-Hubert Goddu.

Des recherches plus poussées, au fur et à mesure que les archives concernant les prisonniers seront numérisées et disponibles en ligne, permettront de dresser un portrait plus complet de ces hommes déportés aux Bermudes.

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La déportation d’après les registres d’écrous des prisons de Québec (Bas-Canada, 19e siècle)

La déportation d’après les registres d’écrous des prisons de Québec (Bas-Canada, 19e siècle)

Au 18e et au 19e siècle, la Grande-Bretagne a envoyé plusieurs milliers de prisonniers (hommes et femmes) dans ses colonies pénales pour purger leur peine. Des peines de 7 ans, 14 ans, à perpétuité pour les plus malchanceux….

Parmi les plus célèbres déportés figurent les Acadiens (1755) et les Patriotes (1839).

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Les colonies pénales

On a d’abord envoyé des prisonniers dans les colonies pénales de Virginie et du Maryland (Réf). Après l’indépendance, des colonies ont été implantées en Océanie et aux Bermudes. Un prisonnier pouvait alors être envoyé en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie de l’Ouest, à Victoria, au Queensland , à Van Diemen (auj. La Tasmanie) ou à Norfolk Island.

Statistiques

Nombre de prisonniers envoyés dans des colonies pénitentiaires (18e et 19e siècle)

50 000 dans les colonies américaines;

165 000 en Australie ou à Van Diemen (Réf);

9000 aux Bermudes

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Des déportés en provenance du Bas-Canada?

On sait que 58 Patriotes furent déportés en Australie. Y-a-t-il eu d’autres déportés provenant du Bas-Canada? Entre 1814 et 1839, au moins 376 prisonniers ayant séjourné dans une prison de Québec ont dans leur dossier la mention  »transported’, « transportation », « sent to » ou « embarked »‘. (Réf). Notez qu’on n’emploie par le terme  »deported ».

La transportation différait du bannissement en ceci que le lieu d’exil était déterminé par l’autorité et le condamné y était transporté de force, tandis que le banni avait le choix d’aller où il voulait hors de l’endroit où il était proscrit. (Réf.  Raymond Boyer. Les crimes et les châtiments au Canada français, du XVIIe siècle au XXe siècle. Montréal. Le Cercle du livre de France, 1966, p.202)

Où ces gens ont-ils été transportés? On trouve leur traces, dans certains cas, dans les archives australiennes et tasmaniennes.

Les informations livrées par le Registre des écrous des prisons de Québec sont fragmentaires, mais elles nous permettent de tirer quelques conclusions.

D’abord, les  »transportés » sont exclusivement de sexe masculin.

C’est dans les années 1830, qu’il y a le plus de gens incarcérés qui seront transportés (207 cas).  Ceux qui ont été incarcérés en 1838 sont ceux qui ont été le plus déplacés hors du Bas-Canada (85 cas) suivi de ceux de 1837 (51 cas),  1833 (32 cas), 1835 (31 cas) et 1836 (26 cas).

258 des condamnés le sont pour des offenses dites  »military » (militaire). Par militaire, on entend ici une participation à une rébellion contre le gouvernement, par exemple (haute trahison) ou bien une infraction commise par un militaire. Les autres ont été trouvé coupable de meurtre, félonie, cambriolage ou de vol. Pour ces dernières offenses, la sentence la plus fréquente est la pendaison, qui est plus tard commuée en déportation.

Les bateaux dont on sait qu’ils ont eu à leur bord des  »transportés » sont les suivants:

Carrington, à destination des Bermudes (départ 6 septembre 1826).

King Fischer, capitaine Bayside. (départ 5 août 1828)

Rose, capitaine Pilkington, à destination d’Halifax. (départ 20 sept. 1830).

Orestes, 2 août 1832.

Sylvia, 1er septembre 1834.

Athol. (départ le 9 juillet 1835 et le 2 novembre 1838). Ce navire transporte des condamnés pour une offense dite  »militaire ».

William Money. (départ 27 août 1836).

Stakesby, capitaine Globe, à destination de Londres (départ vers 16 septembre 1837).

Ceres, capitaine Squire, à destination de Londres (départ 27 mai 1837).

Prince George, capitaine Friend, à destination de Londres (départ 16 novembre 1839). Ce navire transporte des condamnés pour cause  »militaire ».

British Empire, capitaine Wheatley, à destination de Londres (départ 17 novembre 1840). Dans les registres d’écrous des prisons de Québec, il est noté  »Sent on board the « British Empire » to be conveyed to England from thence to be transported to New South Wales or Van Diemen’s Land ». Un des passagers, Charles Charland, a été envoyé à Van Diemen en 1841 par le Layton (4).

*date de départ établie à partir de la date de libération des prisonniers. En consultant le Quebec Mercury, on trouve quelques fois la date où le vaisseau a été  »cleared », date qui est antérieure de un ou deux  jours à la date de libération.

Les prisonniers du Ceres ont été envoyés, pour la plupart, en Australie ou en Tasmanie. Pour ce qui est des autres bateaux, il faudrait faire des recherches plus poussées dans les index des convicts (prisonniers) de Tasmanie et de Nouvelle-Galles du Sud. On s’en reparle…

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