La déportation d’après les registres d’écrous des prisons de Québec (Bas-Canada, 19e siècle)

Au 18e et au 19e siècle, la Grande-Bretagne a envoyé plusieurs milliers de prisonniers (hommes et femmes) dans ses colonies pénales pour purger leur peine. Des peines de 7 ans, 14 ans, à perpétuité pour les plus malchanceux….

Parmi les plus célèbres déportés figurent les Acadiens (1755) et les Patriotes (1839).

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Les colonies pénales

On a d’abord envoyé des prisonniers dans les colonies pénales de Virginie et du Maryland (Réf). Après l’indépendance, des colonies ont été implantées en Océanie et aux Bermudes. Un prisonnier pouvait alors être envoyé en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie de l’Ouest, à Victoria, au Queensland , à Van Diemen (auj. La Tasmanie) ou à Norfolk Island.

Statistiques

Nombre de prisonniers envoyés dans des colonies pénitentiaires (18e et 19e siècle)

50 000 dans les colonies américaines;

165 000 en Australie ou à Van Diemen (Réf);

9000 aux Bermudes

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Des déportés en provenance du Bas-Canada?

On sait que 58 Patriotes furent déportés en Australie. Y-a-t-il eu d’autres déportés provenant du Bas-Canada? Entre 1814 et 1839, au moins 376 prisonniers ayant séjourné dans une prison de Québec ont dans leur dossier la mention  »transported’, « transportation », « sent to » ou « embarked »‘. (Réf). Notez qu’on n’emploie par le terme  »deported ».

La transportation différait du bannissement en ceci que le lieu d’exil était déterminé par l’autorité et le condamné y était transporté de force, tandis que le banni avait le choix d’aller où il voulait hors de l’endroit où il était proscrit. (Réf.  Raymond Boyer. Les crimes et les châtiments au Canada français, du XVIIe siècle au XXe siècle. Montréal. Le Cercle du livre de France, 1966, p.202)

Où ces gens ont-ils été transportés? On trouve leur traces, dans certains cas, dans les archives australiennes et tasmaniennes.

Les informations livrées par le Registre des écrous des prisons de Québec sont fragmentaires, mais elles nous permettent de tirer quelques conclusions.

D’abord, les  »transportés » sont exclusivement de sexe masculin.

C’est dans les années 1830, qu’il y a le plus de gens incarcérés qui seront transportés (207 cas).  Ceux qui ont été incarcérés en 1838 sont ceux qui ont été le plus déplacés hors du Bas-Canada (85 cas) suivi de ceux de 1837 (51 cas),  1833 (32 cas), 1835 (31 cas) et 1836 (26 cas).

258 des condamnés le sont pour des offenses dites  »military » (militaire). Par militaire, on entend ici une participation à une rébellion contre le gouvernement, par exemple (haute trahison) ou bien une infraction commise par un militaire. Les autres ont été trouvé coupable de meurtre, félonie, cambriolage ou de vol. Pour ces dernières offenses, la sentence la plus fréquente est la pendaison, qui est plus tard commuée en déportation.

Les bateaux dont on sait qu’ils ont eu à leur bord des  »transportés » sont les suivants:

Carrington, à destination des Bermudes (départ 6 septembre 1826).

King Fischer, capitaine Bayside. (départ 5 août 1828)

Rose, capitaine Pilkington, à destination d’Halifax. (départ 20 sept. 1830).

Orestes, 2 août 1832.

Sylvia, 1er septembre 1834.

Athol. (départ le 9 juillet 1835 et le 2 novembre 1838). Ce navire transporte des condamnés pour une offense dite  »militaire ».

William Money. (départ 27 août 1836).

Stakesby, capitaine Globe, à destination de Londres (départ vers 16 septembre 1837).

Ceres, capitaine Squire, à destination de Londres (départ 27 mai 1837).

Prince George, capitaine Friend, à destination de Londres (départ 16 novembre 1839). Ce navire transporte des condamnés pour cause  »militaire ».

British Empire, capitaine Wheatley, à destination de Londres (départ 17 novembre 1840). Dans les registres d’écrous des prisons de Québec, il est noté  »Sent on board the « British Empire » to be conveyed to England from thence to be transported to New South Wales or Van Diemen’s Land ». Un des passagers, Charles Charland, a été envoyé à Van Diemen en 1841 par le Layton (4).

*date de départ établie à partir de la date de libération des prisonniers. En consultant le Quebec Mercury, on trouve quelques fois la date où le vaisseau a été  »cleared », date qui est antérieure de un ou deux  jours à la date de libération.

Les prisonniers du Ceres ont été envoyés, pour la plupart, en Australie ou en Tasmanie. Pour ce qui est des autres bateaux, il faudrait faire des recherches plus poussées dans les index des convicts (prisonniers) de Tasmanie et de Nouvelle-Galles du Sud. On s’en reparle…

Billets reliés

La petite histoire du crime: la bande à Chambers (Québec et sa région 1831-1835), première partie

Patrimoine: des prisons qui ont une deuxième vie (première partie)

Le meurtre d’Achille Taché, seigneur de Kamouraska (31 janvier 1839)

Histoire judiciaire: Le docteur L’Indienne, un meurtrier en série? St-Jean-Port-Joli, 1829

Pour voir en ligne des vidéos sur l’histoire et le patrimoine du Québec…

Facebook: Liste des organismes québécois de diffusion de l’histoire et du patrimoine

La bande à Chambers, 3e partie: Sur les traces de Charles Chambers

J’ai consacré, ces derniers jours, deux billets à la bande de Charles Chambers, responsable de plusieurs crimes commis dans la région de Québec entre 1831 et 1835 (voir La bande à Chambers, première partie et  deuxième partie).

Nous avons vu que le chef, Charles Chambers et un de ses acolytes, Nicholas Mathieu, ont été condamné à mort, puis ont vu leur sentence commuée en exil dans une colonie pénale. Or, il existe plusieurs versions concernant la suite des événements (voir La bande à Chambers, deuxième partie).  Charles Chambers a-t-il été jeté par-dessus bord? Pendu à Liverpool? Est-il mort en Australie? Quelle version est la bonne?

On sait, grâce au Convict Index des Archives de la Nouvelle Galle du Sud, qu’un certain Nicholas Mathieu est arrivé en Nouvelle-Galles du sud par le Waterloo en 1838. S’agit-il de l’acolyte de Chambers? Si on retrouve Mathieu, retrouvera-t-on Chambers par la même occasion?

J’ai donc suivi la piste du Ceres. Les sources indiquent que Chambers, Mathieu et d’autres condamnés ont embarqué à bord du Ceres du capitaine Squire à Québec le 27 mai 1837. La destination était l‘Angleterre (Le Populaire, 31 mai 1837).  J’ai donc reconstituée la liste des passagers du Ceres grâce au registre d’écrous des prisons de Québec au 19e siècle mis en ligne par BANQ . Le registre des écrous  nous révèle que les passagers du Ceres sont des hommes condamnés entre 1833 et 1837. L’article de Pierre-Georges Roy sur la bande à Chambers, dans son livre Les petites choses de notre histoire, septième série, a aussi fourni plusieurs noms.

Le Morning Chronicle de Londres, en date du 21 juillet 1837, mentionne le Ceres et le capitaine Squire. Le Ceres est probablement arrivé à Londres un peu avant cette date.  (Réf.British Newspapers 1800-1900 mots-clés  »squire » et  »ceres ». Le site est payant, mais l’aperçu montre que le bateau provient de Québec).

J’ai ensuite consulté le Index to Tasmanian convicts (maintenant intégré au Tasmanian Name Index) et le Convict index of New South Wales archives pour voir s’il y avait des concordances (nom du prisonnier, date d’arrivée, endroit où il a été jugé, etc). Les informations mises en ligne sont fragmentaires, mais suffisantes la plupart du temps pour affirmer qu’il s’agit bien des prisonniers du Ceres. Voici un résumé de ce que j’ai trouvé.

  • D’abord, plusieurs prisonniers sont arrivés en Tasmanie à bord du Neptune le 18 février 1838 (départ de Londres le 7 octobre 1837). (Réf) Ces prisonniers sont: Patrick Fleming, John Wakeman, Jean Thibeau (Thibault), William Hunter, James O’Neil, Patrick Sullivan, Jacques Moiseau (listé sous le prénom Joseph dans le registre) et James Brown (deux entrées sous ce nom le même jour).
  • D’autres sont arrivé en Nouvelle-Galles du sud à bord du Waterloo, probablement le 2 février 1838. Départ du port de Sheerness le 4 novembre 1837. Dans le Sydney Herald, il est écrit que le départ a eu lieu de Londres le 9 octobre 1837 et l’arrivée à Sydney le 8 février 1838 (Réf). Les passagers sont John Johnston (Johnson) (Réf) (il y a aussi un John Johnson arrivé en Tasmanie en 1838 à bord du Neptune), Georges Ryan, Nicolas Mathieu, John McAuliff ( ici et ici sous le nom de McAuliffe), William Cuthbert, Pierre Provost, Ambroise Provost, Gilbert Bernard, John Smith, Alexander Thibett’s, François Larocque, Joseph Tomache, William Audy, Pierre Giroux dit Cloutier(on trouve un Louis Cloutier arrivé par le Waterloo en 1838), Jean-Baptiste Moreau (inscrit sous le nom Jean-Baptiste Morean dans le registre), François Sanschagrin (appelé Francis Lanchagrin ici, serait mort noyé en 1841), Joseph Picard et Joseph Dolleur (épelé Doleur dans le registre).
  • Certains sont arrivés en Tasmanie à bord du Royal Sovereign le 8 janvier 1838 (départ de Downs le 7 septembre 1837). Les voici: William Disney et Patrick Brown.
  • Pour finir, d’autres sont arrivés en Tasmanie à bord du Moffatt le 1er avril 1838 (départ du port de Woolwich le 27 octobre 1837). Il s’agit de William Allen, James Shuter (Suitor) Jr et James Shuter (Suitor) Sr.
  • Yvon dit Fraser: Il s’agit probablement de Louis Fraser, arrivé en NSW par le Lord Lyndoch.
  • Le dénommé Johnson de Trois-Rivières est probablement John Johnson, arrivé lui aussi à bord du Lord Lyndoch.
  • James Gordon: il serait arrivé en Nouvelle-Galles du sud en 1839 par le Theresa ou Teresa, jugé à Montréal.

Mais il y a aussi ceux dont on n’a aucune trace ni en Australie, ni en Tasmanie…

  • Il y a sept prisonniers du Ceres dont on ne peut trouver, à ma connaissance, de traces en Australie: Joseph Côté, Joseph Moisan, Richard Burnard, John Nicholson, Jean-Baptiste Fournel, Zephyr Laneuville…. et Charles Chambers.

Conclusion

La destination du Ceres était l’Angleterre.  Ses  »passagers » ont été ensuite redistribués sur au moins quatre navires à destination de la Nouvelle-Galles du sud et de la Tasmanie.  Sept prisonniers ne figurent pas, à ma connaissance, dans les répertoires des  »convicts » de Tasmanie et d’Australie, soit Jean-Baptiste Fournel, Zephyr Laneuville, Joseph Moisan, Joseph Côté, Charles Chambers, Richard Burnard et  John Nicholson. Il est toujours possible qu’il y ait eu des erreurs de retranscriptions, que certains fonds d’archives n’aient pas été complétement mis en ligne, etc… A cette étape-ci de ma recherche, je dois avouer que j’ai de plus en plus de difficulté à croire que Charles Chambers a mis les pieds en sol australien ou tasmanien…Il ne figure pas dans les index consultés, contrairement à son complice Nicholas Mathieu et à la majorité des autres prisonniers du Ceres.

Chambers est-il décédé avant son arrivée en Australie?  A-t-il été enfermé dans une prison anglaise ou bel et bien exilé en Australie ou en Tasmanie? Et  Côté, Laneuville ainsi que les autres passagers du Ceres, que sont-ils devenus? Existe-t-il des traces de leur destin dans les archives? A suivre…


La quatrième partie de ce billet se trouve ici

Billets reliés
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La prison des plaines d’Abraham

Québec et ses environs vers 1830 par James Pattison Cockburn

Patrimoine: des prisons qui ont une deuxième vie (première partie)

Patrimoine: des prisons qui ont une deuxième vie (deuxième partie)