L’affaire Cordélia Viau (Saint-Canut, 1897)


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Mariés à Saint-Canut, le 4 novembre 1889, Isidore Poirier et Cordélia Viau allaient demeurer unis par les liens sacrés du mariage pendant huit années. Et non, ça ne s’est pas bien terminé.

La victime, Isidore Poirier, tiré de Histoire d’un crime horrible, p.4

Malheureux ménage

Pour gagner sa vie, Isidore Poirier dut s’exiler aux États-Unis pendant trois années. En 1897, il fut obligé de revenir, de charmantes lettres l’ayant informée que madame Isidore Poirier, donc Cordélia Viau, entretenait une relation, jugée inappropriée, avec un autre habitant de Saint-Canut, Sam Parslow.

Poirier revint à St-Canut, mais Cordélia et Sam continuèrent à se voir. Certains dirent que Poirier se serait mis à boire à cause de cela. La situation devint vite tendue.

Le crime

Le 22 novembre 1897, Cordélia rentra chez elle, ayant passé la nuit chez son père, mais se buta à une porte close. Il ne semblait pas y avoir quelqu’un à l’intérieur. Elle ne s’en formalisa pas outre mesure, son mari étant souvent absent, participant à la construction de l’église de Saint-Jérôme en tant que menuisier.

Ne disposant pas d’une clé pour ouvrir la porte, Cordélia décida d’aller directement à l’église, où elle devait jouer de l’orgue lors d’un mariage. Après l’événement, elle revint chez elle. Elle demanda l’aide de son voisin, M. Bouvrette, qui, en enlevant un châssis, réussit à entrer dans la maison et à lui ouvrir la porte. Cordélia demanda à monsieur Bouvrette d’aller jeter un coup d’oeil dans la chambre:  »Allez-y, moi je ne veux pas y aller, j’ai peur. » (La Patrie, 24 novembre 1897)

Elle avait raison d’avoir peur; on trouva son mari sur le lit de la chambre conjugale, égorgé, sans vie. On crut d’abord à un suicide, à cause des premières déclarations de Cordélia et de Sam Parslow.

Extrait de Histoire d’un crime horrible, p. 27

Ces derniers insistèrent, lorsqu’interrogés par le coroner,  sur l’état dépressif de Poirier. Mais quand on prenait en compte les traces de lutte sur la scène du crime et les blessures du défunt, tout pointait vers un meurtre.

Sam Parslow et Cordélia Viau furent arrêtés le 25 novembre, après être passés aux aveux. On les amena à la prison de Sainte-Scholastique.

Isidore Poirier fut enterré le 27 novembre 1897 à Saint-Canut.

Le crime fit la manchette des journaux, comme la Patrie qui ne nous épargne aucun détail… On insiste beaucoup sur ce pauvre Sam Parslow, littéralement envoûté et manipulé par la diabolique et volage Cordélia Viau.

Deux procès

cordelia

La victime, Isidore Poirier, tiré de Histoire d’un crime horrible, p.4

sam

La victime, Isidore Poirier, tiré de Histoire d’un crime horrible, p.4

Le premier procès de Cordélia Viau débuta le 17 janvier et eu lieu au palais de justice de Sainte-Scholastique. Durant le procès, il fut question de deux polices d’assurance dont Cordelia aurait été la bénéficiaire en cas de décès d’Isidore Poirier. Cordélia a même écrit à l’assureur pour lui demander

 si la Compagnie paierait l’assurance dans le cas où son mari serait tué, par accident ou par la suite d’un crime, s’il était empoisonné, s’il mourait d’une mort violente quelconque.

(Réf. Affaire Cordélia Viau (meurtre de St-Canut)  résumé du juge Taschereau, pour les jurés, avant le verdict : le 2 février 1898, à Ste-Scholastique, P.Q. p. 24) .

Le 2 février, elle fut reconnue coupable. L’issue du procès de Parslow fut la même. On alla donc en appel. En octobre, la tenue d’un deuxième procès fut ordonnée. Pour Cordélia, il débuta le 5 décembre 1898. Le 16 décembre, elle fut reconnue coupable du meurtre de son mari et condamnée à la pendaison. Parslow avait été condamné à la même peine.

La sentence fut exécutée à Sainte-Scholastique par le bourreau John Robert Radclive le 10 mars 1899.

Extrait de Histoire d’un crime horrible, p. 44

Cordélia Viau fut inhumée à Saint-Canut, le 11 mars 1899. L’inhumation de Parslow eut lieu la veille. Elle était âgée de 33 ans et Sam Parslow de 36 ans.

Le souvenir

L’affaire Cordélia Viau est restée dans la mémoire collective, d’abord grâce à la chanson et aux journaux, mais ensuite le cinéma et la télévision ont perpétué cette histoire.

En 1899 a été publié par G. A Benoit un livre intitulé Histoire d’un crime horrible, où l’on retrouve la Complainte de Cordélia Viau et une complainte attribuée à Cordélia Viau. Jean Badreux a aussi relaté l’affaire Cordélia Viau dans Les trois crimes, Rawdon, St-Canut, St-Liboire [microforme] : histoire complète des meurtres, détails horribles ; la vindicte publique également publié en 1899.

Ensuite, le musée Éden de Montréal a exposé une reconstitution de la scène du meurtre.

Photo du Musée Éden où la scène a été recrée – (Source: BANQ, non-daté. Notre. Le musée a été en opération grosso modo de 1892 à 1940)

En 1976, Pauline Cadieux publia Cordélia, ou la lampe dans la fenêtre, roman d’après lequel est basé le film Cordélia, tourné en 1980 par Jean Beaudin mettant en vedette Louise Portal et Gaston Lepage. Sur le site de Télé-Québec, vous pouvez voir quelques extraits du film et d’une entrevue avec Jean Beaudin. En 1990, Pauline Cadieux publia Justice pour une femme: Pourquoi il faut réhabiliter Cordélia Viau?

En 1995, Marina Orsini interpréta Cordélia Viau dans la série Les grands procès diffusée au petit écran.

Bibliographie

canut

La victime, Isidore Poirier, tiré de Histoire d’un crime horrible, p.4

Cadieux, Pauline. Cordélia : ou La lampe dans la fenêtre. Montréal, Libre Expression, 1979, 231 pages.

Cadieux, Pauline. Justice pour une femme: Pourquoi il faut réhabiliter Cordelia Viau?, Montréal, Libre Expression, 1990, 288 pages.

La Patrie, 24 novembre, 26 novembre, 27 novembre, 29 novembre, 30 novembre, 1er décembre, 2 décembre, 3 décembre, 4 décembre, 6 décembre, 7 décembre, 9 décembre,  1897. 17 janvier, 18 janvier, 19 janvier, 20 janvier, 21 janvier, 22 janvier,  24 janvier, 25 janvier, 26 janvier, 27 janvier, 28 janvier, 29 janvier, 31 janvier, 1er février, 2 février, 3 février, 5 décembre, 6 décembre, 7 décembre, 9 décembre, 10 décembre, 12 décembre, 13 décembre, 14 décembre, 15 décembre, 16 décembre 1898. 10 mars 1899.

Affaire Cordélia Viau (meurtre de St-Canut) [microforme] : résumé du juge Taschereau, pour les jurés, avant le verdict : le 2 février 1898, à Ste-Scholastique, P.Q. (1898). Adresse URL

Les trois crimes, Rawdon, St-Canut, St-Liboire [microforme] : histoire complète des meurtres, détails horribles ; la vindicte publique (1898)

Boileau, Gilles. La tragédie de Saint-Canut, Histoire Québec, Janvier 1999, vol. 4, numéro 2bis

Histoire d’un crime horrible [microforme] : récit complet et inédit des amours criminelles des Cordélia Viau et Sam Parslow et de leur terrible dénouement, le meurtre d’Isidore Poirier et la double pendaison de Ste-Scholastique : avec un avant-propos intitulé « Une leç on terrible » : aussi portraits de la victime, Isidore Poirier, et de ses deux assassins, Cordélia Viau et Sam Parslow, ainsi que des illustrations de la scène du meurtre, de la découverte du cadavre et du terrible dénouement -la double pendaison de Sainte-Scholastique (1899)

Billets reliés

Une mort mystérieuse (Saint-Julien-de-Wolfestown, 1888)

John Placket et Patrick Murphy, accusés du meurtre de la veuve Godin (Les Écureuils, auj. Donnacona, 1814)

Drame à Saint-Alban, 23 février 1890

Arrestation du Dr Crippen à Pointe-au-Père, auj. Rimouski [31 juillet 1910]

Basse-Ville Haute-Ville de Jean-Pierre Charland: roman sur l’affaire Blanche Garneau

Certains crimes ont marqué l’imaginaire québécois, que l’on pense au meurtre en 1839 de Achille Taché, seigneur de Kamouraska qui a inspiré à Anne Hébert son célèbre roman Kamouraska, à l’affaire Cordélia Viau (1897) et à Aurore l’enfant martyre (1920). Mais connaissez-vous l’affaire Blanche Garneau? Le roman historique Haute-Ville Basse-Ville s’inspire de cette affaire non-résolue qui a fait trembler le gouvernement Taschereau.

hauteville

Haute-Ville, Basse-Ville est le plus récent roman de Jean-Pierre Charland, connu par la série Les Portes de Québec (quatre tomes). [Note 4 janv. 2010. Publié auparavant sous le titre Un viol sans importance en 1998 chez Septentrion. Édition revue et corrigée par l’auteur). Jean-Pierre Charland est professeur au département de didactique à l’Université de Montréal et il détient un doctorat en histoire.

L’action de Haute-Ville Basse-Ville se déroule en 1925, dans la ville de Québec. Québec est secouée par le viol et le meurtre crapuleux de Blancher Garnier, une jeune fille de modeste condition. Des rumeurs circulent à l’effet que des gens de la haute société sont impliqués dans cette sordide affaire, dont des fils de ministres… On fera tout pour étouffer le scandale…

Ce roman est inspiré de l’affaire Blanche Garneau qui s’est déroulée en 1920 à Québec. Le cadavre de Blanche Garneau, une modeste vendeuse, est retrouvé dans le parc Victoria le 28 juillet 1920. Elle est disparue six jours auparavant. Cette affaire a crée une véritable commotion dans la ville et a donné naissance à plusieurs rumeurs, dont une impliquant des fils de députés dans ce meurtre. Le gouvernement provincial a suivit de près les développements dans cette affaire…

Commentaires

Haute-Ville Basse-Ville recrée avec brio cette époque où le clergé contrôle les consciences, où politiciens sont des magouilleurs de première et où les riches exploitent les plus pauvres.

C’est à travers les mots de Renaud Daigle, Canadien-Français aisé financièrement qui a participé à la Première Guerre mondiale, que l’on visite Québec et que l’on pénètre dans l’univers bourgeois de la Haute-Ville. Mine de rien, on apprend beaucoup de chose sur les événements importants de cette époque: la grippe espagnole, la première guerre mondiale, la prohibition, les objets qui contribuent au confort moderne (ex. la radio).

J’ai beaucoup aimé le personnage de Maurice Gagnon qui enquête sur le dossier de Blanche Garneau et qui devient fou mais surtout Lara, une prostituée cultivée qui croise le chemin de Daigle.

Ce roman, outre l’affaire Garneau, aborde plusieurs sujets: le traitement des malades mentaux dans les asiles, les abus sexuels commis par des membres de l’église, la corruption de la police et des élites politiques, etc

L’auteur réussit à rendre ses personnages vivants et à nous présenter le contexte historique sans verser dans le didactisme. Il y a un bon équilibre entre la partie roman et la partie historique.

A la fin du livre, Jean-Pierre Charland explique comment il en est venu à s’intéresser à Blanche Garneau et ils nous présente quelques-titres et entêtes du journal Le Soleil relatifs à cette affaire.

Avec Basse-Ville Haute-Ville, on a affaire à une reconstitution crédible des années 20. Il s’agit d’un excellent roman historique qui nous donne envie d’en savoir plus sur l’affaire Blanche Garneau.

Personnellement, je crois que l’affaire Blanche Garneau serait un bon sujet pour le site Les grands mystères canadiens .

Haute-Ville Basse-Ville. Jean-Pierre Charland, Hurtubise, 2009, 596 pages.

Complément:

Blanche Garneau (Wikipédia)

Basse-Ville Haute-Ville (sur le site des Éditions Hurtubise)

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