La dernière pendaison publique à Québec [1864]

Le 22 mars 1864, les gens de Québec assistèrent devant la prison de la rue Saint-Stanislas à un événement hors de l’ordinaire: une pendaison. La dernière fois qu’on avait pendu en public un criminel à Québec, c’était le 8 avril 1836. Edward Devlin avait alors expié sur l’échafaud le meurtre de Mary Ann Reilly.

Cette fois-ci, celui qui allait se balancer au bout d’une corde avait pour nom John Meehan, reconnu coupable du meurtre de Patrick Pearl, survenu le 11 septembre 1863 sur la rue St-Vallier, faubourg St-Roch. Le complice de Meehan, James Crotty, sera condamné quelques semaines plus tard à sept ans de pénitencier (Les registres d’écrou des prisons de Québec au 19e siècle).

Voici comment le Journal de Québec a rapporté l’événement.

Le Journal de Québec, 22 mars 1864

Le condamné Meehan a subit sa peine, ce matin, un peu après 10 heures. Rendu sur l’échaffaud, il a prononcé d’une voix haute et ferme, quelques paroles en anglais et en français. Il a dit que quand il a frappé sa victime, il n’avait pas l’intention de la tuer. Il voulait seulement lui donner une bonne volée puis il a conseillé aux jeunes gens de ne pas se laisser entraîner par la vengeance. A 10 heures et 20 minutes, la fatale trappe tombait et Meehan était lancé dans l’éternité, repentant et muni de tous les secours de la religion. Malheureusement, les deux exécuteurs savaient mal leur métier, car en tombant le noeud de la corde s’est dérangé et l’infortuné Meehan n’est mort qu’après 13 minutes de convulsions. Il n’a pas eu le cou cassé. La foule n’était pas aussi considérable qu’on aurait pu le croire, et à peine voyait-on quelques femmes ça et là.

Il s’agit de la dernière pendaison publique de l’histoire de la ville.

Le Canadien, 28 mars 1864

Les restes de l’infortuné John Meehan ont été inhumés au cimetière St-Charles, jeudi l’après-midi. Un grand nombre de parents et d’amis ont accompagné le convoi funèbre jusqu’à sa dernière demeure.

Extrait des registres de la paroisse Saint-Roch, Québec:

Le vingt-quatre mars mil huit-cent soixante-quatre, Nous prêtre soussigné, avons inhumé dans le cimetière de cette paroisse John Meehan, journalier, supplicié le vingt-deux du courant, à la Prison de Québec, à l’âge de vingt deux ans et demi, fils de James Meehan, cultivateur, et de Catherine Mulcier, de cette paroisse. Présents Jacques Deslauriers et Rene Descarreaux? qui n’ont su signer.

Des citoyens de Québec ont demandé que la condamnation à mort de Meehan soit commuée en emprisonnement à vie. Cette requête peut être consultée en ligne (BANQ).

Pour en savoir plus:

Procès de Meehan, accusé du meurtre de Pearl [microforme] : condamné à être pendu le 22 mars prochain (1864)

Exécution de John Meehan [microforme] : 5000 à 6000 personnes présentes, conduite du prisonnier, ses dernières paroles, complainte du condamné; grand incendie à Osaka (Japon), 30,000 maisons brûlées, 1000 personnes péries par le feu (1864)

Procès de James Crotty, accusé et trouvé coupable du meurtre de Patrick Pearl [microforme] (1864)

Billets reliés
Plaidoyer contre la peine de mort [Québec, 1840]

Cimetière Saint-Charles à Québec

Décès du bourreau Arthur Ellis [Montréal, 1938]

John Placket et Patrick Murphy, accusés du meurtre de la veuve Godin (Les Écureuils, auj. Donnacona, 1814)

Décès du bourreau Arthur Ellis [Montréal, 1938]

Le 21 juillet 1938, La Patrie annonce qu’Arthur Ellis, ex-bourreau, est dans le coma. Il décédera d’ailleurs le jour même. Que sait-on de cet homme qui a procédé à l’exécution de plusieurs condamnés? Le journaliste Marc-René de Cotret en profite aussi pour revenir sur la journée du 24 octobre 1924, lorsqu’Ellis procéda à la pendaison des responsables du vol de la banque d’Hochelaga, sujet de notre publication d’hier. Cotret a assisté aux pendaisons.

La Patrie, 21 juillet 1938

ELLIS, DANS LE COMA, CONSERVE SON MYSTÈRE
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Par Marc-René de Cotret)

Arthur Ellis se meurt…
Arthur Ellis, qui durant un quart de siècle, précipita dans l’éternité plus de deux cents meurtriers, repose actuellement dans un lit d’hôpital, à Sainte-Jeanne d’Arc. A l’heure où nous écrivons ces lignes, il est dans le coma.

Arthur Ellis avait connu la splendeur au Canada. Au dire de ceux qui l’ont connu intimement, il s’était amassé une fortune d’au moins cinquante mille dollars.

Mais c’était l’homme du mystère par excellence. Toute sa vie durant, il sut parler de tout à tous, mais ne jamais rien dire de lui plus qu’il n’était nécessaire. Il avait des amis intimes, des amis qui le connaissaient bien, ou plutôt qui semblaient bien le connaître. Cependant, tous sont unanimes à dire:  »Il ne nous révélait rien sur sa véritable identifié ».

Arthur Ellis. La Patrie, 22 juillet 1938.

Arthur Ellis. La Patrie, 22 juillet 1938.

AUX INDES

Toutefois nous avons appris de source très autorisée, une chose. C’est que Arthur Ellis, qui prétend s’appeler dans la vie privée Arthur Bartholomew Alexander English, n’a jamais porté, depuis qu’il occupait le redoutable rôle de bourreau du Canada, son vrai nom.

Il serait, nous a-t-on dit, un Anglais, issu d’une aristocratique famille et qui eut de grands succès dans l’armée anglaise, spécialement aux Indes. Mais à la suite d’un  »incident », il quitta son pays pour venir au Canada. Son père était un haut officier dans l’armée royale anglaise.

Un concours de circonstances, une fois rendu ici, permit qu’on lui offrir la position de bourreau. A la grande surprise de ceux qui le connaissaient, il accepta. Il y a de cela vingt-cinq ans.

Pourquoi accepta-t-il cette position effrayante? Mystère. Personne ne l’a jamais su. Mais il y a une raison.

EXPERT

D’autant plus qu’il a toujours dit qu’il trouvait la pendaison une méthode d’exécution cruelle. Cependant, nul ne contredira qu’il fut un artiste dans son genre. Jamais,  »dans les bonnes années », il ne manquait son homme. Ce n’est que vers les derniers temps qu’il flancha. L’exécution de la femme Sarao [Thomasina Sarao], horrible boucherie, où la tête de la malheureuse fut arrachée du corps, fut son coup fatal. Il n’en revint jamais. Et il le disait à ses amis. Cela l’avait tellement stupéfié, qu’il avait abandonné son métier! Et c’est vrai.

Il avait une magnifique superbe sur la potence. Il arrivait, au moment de l’exécution, petit, grisonnant, un visage rouge où se devinaient deux yeux bleus pâles et quelque peu aqueux, derrière des verres ronds: Il était toujours vêtu de la jaquette et du pantalon rayé. Le condamné montait sur la potence: il le regardait venir impassible. Et en moins d’une demi-minute il lui avait mis sur la tête le capuchon, lui avait lié les poigets et les genoux.

Une seconde de plus, il posait le talon sur le déclic qu’il connaissait si bien et c’en était fini d’une vie.

LES QUATRE

Je me rappelle personnellement une fois où il commence à flancher. Jeune reporter c’était la première pendaison que je voyais. Mais c’était une quadruple exécution. IL s’agissait de l’exécution de Morel, Serafini, Gambino et Frank. Ellis était nerveux: nous le savions, nous avions passé la nuit à la prison et avions parlé avec lui. Une tension extraordinaire pesait sur toute la prison alors.

Les deux premiers qui furent exécutés ensemble furent Morel et Gambino. On sait que Gambino fit une crise rendu sous le câble et s’écroula mort. On le pendit quand même pendant que Morel récitait d’une voix forte et vibrante, dans le noir de ce petit matin d’octobre les prières des agonisants avec le chapelin. C’était assez pour énerver un exécuteur. Mais il y avait deux autres à pendre.

IL SIFFLE

Et il fallait traverser un corridor. Serafini et Frank montèrent sur la potence. Frank hurlait de peur; Serafini était calme. Le bourreau ne l’était plus du tout. Et il se trompa de corde. De sorte que Frank qui était un géant à côté du petit Serafini vint près d’une ligne d’avoir le sorte de la femme Sarao. Le cou lui avait allongé de plusieurs pouces. Je l’ai vu.

Mais après cela, après avoir constaté qu’il s’était trompé, Ellis ne broncha pas. En attendant que ses deux exécutés meurent, au bout de leur câble respectif, il se promenait sur le haut de la potence… en sifflant! Il enleva même, d’un geste dédaigneux, quelques bribes de cordes qu’il avait sur son épaule.

FIER

Mais il en vit bien d’autres qu’il aimait à raconter dans ses rares moments d’expansion.

Car il était communicatif, mais ne se révélait pas du tout. C’est pourquoi on l’appelait l’homme du mystère et on l’appellera toujours ainsi.

Depuis de nombreux mois, il cherchait en vain, et pour cause, une position. Il perdit tout son argent. Tous ceux qu’il avait aidés, à part de rares exceptions, l’oublièrent. Tout de même il tenait la tête haute devant la faillite. On le voyait pratiquement tous les jours au Palais de Justice, section criminelle, où il rencontrait naturellement plusieurs connaissances. Jamais il ne se plaignait; au contraire il pavanait, pouvait-on dire. Il semblait connaitre personnellement l’importance du rôle qu’il avait joué dans la vie de notre pays.

POLI

Cependant il y eut une baisse. Vint un moment où ses ressources étaient complètement épuisées. Séparé de son épouse depuis six ans, il lui servait une psion de trente cinq dollars par mois, tous les mois. Il ne pouvait plus. Il était vieux, fatigué et malade. On nous dit que c’est du fois qu’il souffre.

Sa logeuse nous dit qu’elle ne le voyait qu’une fois pas moi quand il payait sa chambre. Il était toujours poli avec tout le monde, ne faisant aucun bruit, était le mystère personnifié. Elle nous jure qu’elle n’avait jamais vu une photographie de lui.

Le malheureux tomba malade et est maintenant mourant à l’hôpital. Les autorités nous disent qu’elles s’attendent à sa mort d’une minute à l’autre. On sait comment il faut transporté à l’hôpital.

PAS DE PHOTO

Personne ici ne saura jamais son nom véritable. C’est lui qui avait dit à un de ses amis:  »Nous, nous partons quand la vie est finie; mais nos photos demeurent. Et je n’aime pas cela. »

C’est dans son mystère, c’est dans sa solitude, que des voisins le trouvèrent pratiquement mourant. Sa maîtresse de pension était elle-même à l’hôpital. Elle est encore malade. On avertir le capitaine Hébert, du poste No 4, rue Ontario. C’était un vieil ami. Le capitaine alla le voir et constata que c’était grave. Il le fit immédiatement transporter à l’hôpital et se mit en communication avec son épouse.

Ellis était un petit homme; il mesurait cinq pieds à peine; il était connu de tous et connaissait tout le monde. Ses souvenirs étaient inépuisables.

MONSIEUR DE BORDEAUX

Mais à son sujet: rien.

Il fut embauché comme exécuteur des hautes oeuvres par sir Wilfrid Laurier, alors qu’il était premier ministre du Canada. Il avait pris son nom d’après le nom de Ellis, exécuteur des hautres oeuvres en Angleterre, qu’il aurait, prétend-on, intimement connu.

Il fut, en outre, agent électoral de sir Lomer Gouin, mais de façon non officielle et sans que sir Lomer le sût.

Et il y aurait tant d’autres choses à raconter à propos de Monsieur de Bordeaux…

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