Le Progrès de l’Est, 17 juin 1913
TRAGÉDIE MYSTÉRIEUSE
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MORT DE Mme A. BILODEAU
_Victime du plus lâche, horrible et odieux crime, Mme Alphonse O. Bilodeau, épouse de l’entrepreneur bien connu résident de la rue Sanborn, au coin de la rue Wellington, est morte instantanément ce matin, vers 11.20h. avant-midi, dans la cuisine saccagée de sa résidence.
Cette nouvelle a stupéfié et consterné notre population.
Voici les faits résumés:
A son usuelle tournée de passage vers les dites 11.20h. le facteur postal habituel du quartier, M. Omer Gaumont, remettais à Mme Bilodeau, occupée dans sa cuisine, un petit paquet ficelé et deux lettres. Quelques minutes après sa sortie et à peine lui arrivé; au bas de la rue, sur la rue Wellington, distance d’une cinquantaine de pieds, une forte explosion détonnante mis en pièces les vitres des fenêtres de cette cuisine, et le facteur aperçut quelque fumée sortir de la pièce et entendit crier, appeler au secours de l’endroit en question. Alors il fit jouer le signal avertisseur aux pompiers qui accoururent sans retard, et l’on vit, non pas un incendie, mais un spectacle affreux.
Le journaliste décrit ensuite de façon détaillée le cadavre de Mme Alphonse O. Bilodeau. Vous me permettrez d’omettre ce passage. Sur les lieux du drame, on trouve aussi la belle-soeur de madame Bilodeau.
A côté, haletante, blessée, en sang, la belle-soeur de la victime, Mlle Anna Bilodeau, de St-Flavien, qui était hôte de la famille depuis une quinzaine, se trouvait blessée, ayant tout le visage en sang, les yeux à demi-voilés et brûlés; mi-évanouie; elle criait lamentablement par atroces souffrances.
Police et docteurs furent vivement appelés pour faire les premières constatations légales et pour donner les soins les plus urgents en ce triste état des victimes.
Après examen des Drs Bachand, Ledoux, Ethier et Bertrand, il fut reconnu que Mme Bilodeau était bien morte du coup fatal d’explosion subite, et qu’il y avait nécessité de faire transport aussitôt Mme Bilodeau à l’hôpital St-Vincent de Paul, où ensuite des premiers soins et calmants par le Dr Ethier, elle put reprendre connaissance et ainsi expliquer les causes de l’accident tout criminel.
A l’arrivée du facteur, elle avait demandé si pour elle il y avait une lettre qu’elle attendait. La réponse fut négative. Les deux lettres reçues étaient pour la maison. Restait le petit paquet, en petite boîte en forme de boîte de gants. Les deux femmes, en hâte de curiosité, voulaient en connaître le contenu. Mme Bilodeau se mit en devoir de l’ouvrir à l’aide de la lame d,un couteau, et alors il s’ensuivit la brusque terrible explosion dont on vient de rapporter les suites.
M. Bilodeau qu’on était allé prévenir avec quelque ménagement arriva et resta hébété, stupéfié devant le triste spectacle auquel il ne pouvait croire. Un peu redevenu maître de lui-même, il essaya quelques explications, quelques suppositions de basse et lâche vengeance à son adresse à lui-même plutôt qu’à la malheureuse victime.
Les trois jeunes enfants absents heureusement arrivèrent de leurs écoles, à l’heure du midi. Comprendre leur douleur navrante de se voir si subitement orphelins est tout naturel!
Toute sérieuse que soit la position de Mlle Bilodeau, il n’y aurait d’autre gravité que celle pour elle de rester défigurée.
Des deux lettres remises: une a été retrouvée intacte par terre, elle était à l’adresse du fils Alfred Bilodeau et portait le cachet oblitérateur de Chicago; l’autre lettre a été en partie détruite par l’explosion, quelques morceaux informes ont pu être retrouvés et pourront peut-être servir à quelque renseignement lors de l’enquête du coroner.
Quant au petit paquet, cause de tout le mal, c’était, à dit le facteur O. Gaumont qui n’a pas remarqué le cachet postal de départ, une petite boîte genre de boîte à gants en carton épais, mesurant environ 6 X 2 pouces, enveloppé dans un papier attaché avec ficelle, adressé à la victime, et à l’apparence non suspecte d’aucun soupçon de danger ni de délit. Selon une déclaration rapportée du Dr Noël en possession d’un débris de cartouche trouvé incrusté dans un morceau de bois au lieu de l’accident, – la boîte était une machine infernale oeuvre élémentaire d’anarchiste et munie d’un petit appareil en fil de fer et caoutchouc devant servir en ressort de détonateur mécanique dès l’ouverture de la boîte chargée de matière explosible et détonnante.
La police provinciale de Québec aurait été avisée afin de faire des investigations pouvant arriver à percer le mystère qui entoure cette terrifique affaire sans précédent ici, et comme conséquence, à faire connaître l’auteur d’un pareil crime, horreur anarchiste, qui est le premier du genre à inscrire dans les annales de la si paisible ville de Sherbrooke de tout temps passé et présent.
L’enquête légale du coroner Dr Bachand a été fixée à ce soir mardi à huit heures, sur place même, devant les restes mutilés conservés de l’infortunée victime. Après cette enquête, on fixera le jour des funérailles, que la présence du public bien affecté de la catastrophe rendra plus imposantes.
La défunte qui était en plein état de santé, est survécue par son mari et par cinq enfants: Alberta 21 ans, Alfred 19 ans, lydia 16 ans, Oliva 14 ans, et Félix 12 ans.
[..]
Nous adressons à M. Bilodeau, à ses enfants, à sa soeur et à toute la famille, nos plus sympathiques condoléances pour la cruelle épreuve qu’ils traversent si opinément et qu’apaisera le Dieu vengeur à qui rien ne peut échapper!N.D.L.R. La supposition admissible de la petite machine infernale est qu’elle doit être l’élémentaire simili bombe Orisini explosible par simple répercussion ou frottement et que le détonnant devait être tout simplement: les poudres nitroglycérinées de fulmigate mélinite et dynamite mélangées dont l’effet foudroyant en rate hélas! jamais.
Trois semaines avant le drame, les Bilodeau avaient reçu un colis anonyme contenant des pilules et une lettre clavigraphiée (La Patrie, 19 juin, p. 14) Madame Bilodeau, après avoir pris connaissance de la lettre, jeta le tout au feu.
Le 27 juin 1913, la police arrêta M.L. A. Dufresne, un arpenteur de Sherbrooke mais il fut libéré quelques jours plus tard. Entre-temps, le témoin Salomon Ouellette quitte la ville pour une raison inconnue (La Patrie, 2 juillet 1913 et Le Progrès de l’est, 4 juillet 1913).
A ma connaissance, cette affaire n’a jamais été résolue.
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