Il apprend sa propre mort [un homme éberlué, Montréal, 11 avril 1915]

ON LUI APPREND QU’IL EST MORT

M. Viateur Laforest, de l’Avenue Laval, se rend compte lui-même des regrets qu’il laissera en quittant ce monde

AU PRÔNE DU DIMANCHE

M. Viateur Laforest, président de la maison de comptabilité Laforest, Brault & Cie, demeurant avenue Laval no.269, peut se faire une idée assez juste de l’estime dont il  jouit et des regrets qu’il laissera en quittant notre vallée de larmes. Il est, en effet, un des rares survivants à leur propre mort et il ne suffit pas depuis hier de répondre lui-même aux messages de sympathie adressés à sa famille à l’occasion de son décès anticipé. Toute macabre qu’elle puisse être cette histoire a aussi son côté drôlatique.

M. Laforest assistait hier à la messe de 8 heures hier matin dans une église du centre de la ville quand un des vicaires faisant les annonces d’usage le recommanda aux prières des nombreux fidèles en disant qu’il venait de mourir subitement à sa maison privée. Il n’en crut  pas d’abord ses oreilles, mais il fallut se rendre à l’évidence en constatant braqués sur lui les regards stupéfaits de plusieurs des assistants qui le connaissaient bien et croyaient maintenant se trouver en présence de son spectre. Son premier mouvement fut de sortir de l’église et de courir chez lui pour s’assurer de ses propres yeux si en effet il était bien sur sa propre couche funèbre, mais il se ravisa de crainte de causer une panique dans le temple et méditant profondément sur ses fins dernières, il s’agenouilla pieusement avec tous les fidèles après le prône, lorsque le prêtre, selon la coutume, récite le Pater et l’Ave pour le repos de l’âme des défunts. Jamais il ne pria, dit-il, avec autant de ferveur, mais après la messe il n’eut rien de plus pressé que d’aller s’enquérir à la sacristie de la cause de ce mystère.

La Patrie, 12 avril 1915.

Nouvelle stupéfaction, mais cette fois de la part du vicaire. On courut aux informations et finalement on constata l’erreur. La nouvelle de la mort de M. Arthur Dorais, voisin de M. Laforest, avait été mandée par téléphone au presbytère et comme il y a ressemblance de consonance dans les deux noms, l’on avait distraitement écrit l’un pour l’autre.

L’erreur a été corrigée aux messes suivantes, mais la mort de M. Laforest courait déjà la ville et les condoléances ont afflué pendant toute la journée au No 269 de l’avenue Laval.

M. Laforest, à qui un représentant de la PATRIE a présenté ses félicitations ce matin, est bien amusé de cet incident, qui lui a procuré, comme nous le disons au commencent une occasion aussi unique de compter ses amis. Il ne s’en croyait pas autant.

Extrait de la Patrie, 12 avril 1915

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Phénomène étrange à Saint-Roch (8 juillet 1869)

Dans le journal Le Canadien, 12 juillet 1869, on peut lire une curieuse histoire digne de l’Halloween (ou d’une soirée bien arrosée). Notez les termes employés par le journaliste pour décrire ces dames.

UN REVENANT – Il y a eu grand émoi jeudi soir, dans le rue de l’église, St. Roch, et une foule de personnes de tout âge, de tout sexe, principalement du sexe curieux et parleur, se trouvaient réunis en face de la maison de M. Emond, menuisier. Il ne s’agissait de rien autre chose que de la présence d’un revenant qui faisait des siennes, et qui quoiqu’invisible, avait toute la journée jeté du sable et de la terre dans les croisées de la maison, avait jeté du sang dans la figure et sur les bras d’une jeune fille qui étendait du linge dans la cour, etc., etc.

Gravure | Fantôme et cavalier | M930.50.8.44

Fantôme et cavalier, John Henry Walker, 1850-1885

Comme on peut se l’imaginer, l’excitation était grande chez les commères réunies dans la rue et chacune était à l’affût, épiant quelques nouveaux faits du revenant, mais en même temps, la langue n’arrêtait pas, les histoires de revenants, le loups garoux, etc;, pleuvaient drues comme mouches.

Les choses en furent ainsi jusqu’à ce qu’enfin la police vint inviter ces dames et ces messieurs à évacuer la rue et à prendre le chemin de leurs résidences respectives.

Il n’y avait pas de doute que toute cette affaire était le produit de l’imagination.

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Légende: la pénitence du prêtre-fantôme de l’Ile-Dupas

Sculpture: «Le prêtre fantôme» par Alfred Laliberté, 1945 http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3022861

En 1889, F. A. Baillairgé citait, dans son livre Coups de crayon, la légende du prêtre de l’Ile-Dupas, près de Berthierville, telle que raconté par le curé Vincent Plinguet. Et ça se lit ainsi.

Un mot sur l’île Dupas semble trouver ici sa place.

La Seigneurie de l’Ile Dupas fut concédée à M. Dupas en 1672. Aidés des habitants de Berthier, les habitants de l’île eurent bientôt leur église (v. 1706). En 1720, M. Jean-Baptiste Arnaud était nommé curé de l’Ile Dupas et desservant de Berthier et de Sorel.  En 1729 l’île comptait 171 âmes. En 1749, il fallut songer à renouveler la première église. Une histoire ou une légende assez singulière se rapporte à cette première église. Le Révd. M Plinguet, curé de l’île Dupas, s’exprime comme suit à ce sujet dans son histoire de l’île Dupas.

[…]

On avait remarqué plusieurs fois, dans l’église, au milieu de la nuit, une lumière plus forte que celle donnée par la lampe ordinaire; d’abord on en fit peu de cas; puis, comme la lumière continuait d’apparaître toutes les nuits, on s’en émut et on résolut d’éclaircir la chose; on se réunit donc au nombre de quatre à cinq pour se donner un peu de courage, et l’on s’avança sur une seule ligne vers l’église; mais quelle ne fut pas la stupéfaction de ces hommes, lorsqu’ils virent au pied de l’autel un prêtre revêtu de ses habits sacerdotaux, et demeurant toujours au même lieu! Ils n’osèrent pas entrer et s’en retournèrent, même un peu plus vite qu’ils n’étaient venus, et, de retour chez eux, ils se livrèrent à milles conjonctures.

En entendant parler de ce qui se passait, un nommé Jacques Valois (le trisaïeul de celui de qui je tiens ces détails, et le père de ceux qui s’établirent à Lachine et à la Pointe-Claire), plus brave que les autres, s’engagea à entrer dans l’église, pour voir de plus près ce dont il s’agissait. Un soir donc, après la veillée avec ses amis, il se rendit à l’église, fit sa prière et attendit.  Vers minuit, il vit un prêtre, en soutane, sortir de la sacristie, allumer deux cierges aux extrémités de l’autel, tout préparer pour une messe, et rentrer dans le lieu d’où il venait de sortir. Quelques instants après, il l’en vit ressortir, revêtu de ses ornements, portant le calice, et monter à l’autel. Pensant bien que la messe allait avoir lieu, notre Valois se rend au pied de l’autel, sert la messe qui se dit à l’ordinaire, et reconduit le célébrant à la sacristie; celui-ci, après avoir salué la croix, se tourne de son côté et lui dit: “Depuis trois ans, je viens ici toutes les nuits, pour redire une messe que j’ai dite avec trop de précipitation pendant ma vie; j’étais condamné à y venir jusqu’à ce que j’eusse trouvé un servant; grâce à vous, ma pénitence est terminée, je vous remercie. Et il disparut.

Source:  Coups de crayon par F.A. Baillairgé, Joliette, Bureau de l’étudiant et du couvent, 1889, p. 61 et 62.

Dans certaines variantes de la légende, le prêtre en question est sans tête.

Et le Jacques Valois de la légende?

Le Jacques Valois de la légende a-t-il réellement existé? Sur le site de généalogie Nos origines, il y a un candidat potentiel, celui-ci. Ce Jacques Valois est décédé le 17 juillet 1750 à l’Ile-Dupas. Ses deux garçons ainés, Pierre et Simon, s’établirent respectivement à Pointe-Claire et à Lachine.

Bibliographie

F. A. Baillairgé. Coups de crayon par F.A. Baillairgé, Joliette, Bureau de l’étudiant et du couvent, 1889, 224 pages.

Jean-Claude Dupont. « Légendes du Saint-Laurent ». Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 22, 1990, p. 11-14

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