Décès de l’historien F.-X. Garneau [nuit du 2 au 3 février 1866]

Le Canadien, 5 février 1866

Le pays entier apprendra avec une profonde douleur la mort de notre historien national, M. F. X. Garneau, et jusque par delà nos frontières et par delà les mers, partout où le Canada compte des amis fidèles, cette triste nouvelle produira une vive impression de regret. Le nom de M. Garneau est aussi connu que celui de notre pays, car c’est lui qui a fait connaître notre histoire en même temps qu’il nous l’a révélée à nous-mêmes. Tout ceux qui ont appris dans les pages de cette histoire, à admirer le passé, à saluer l’avenir de ce petit peuple qui porte sans défaillir, en Amérique, le nom de la France dont il semble pourtant à jamais séparé, tout ceux-là s’inclineront devant cette tombe, creusée par le travail, et où M. Garneau ne serait point descendu sitôt s’il n’avait pas usé sa vie à élever un monument à son pays. Le monument du moins portera son nom à la postérité la plus reculée et déjà le fait briller au loin.

Estampe | F. X. Garneau, historien du Canada, 1866 | M1118

François-Xavier Garneau, historien du Canada, 1866

Par son histoire, M. Garneau avait pris, dans les lettres canadiennes, la première place, et tandis que M. Papineau est, aux yeux de l’étranger, l’éclatante personnification de notre nationalité, il est, lui, la personnification de notre littérature. Ces deux renommées sont les premières qui frappent ceux qui tournent leurs regards vers le Canada et elles ont pénétré plus loin qu’aucune de celles qui se sont élevées parmi nous. La gloire que, par ses travaux, M. Garneau a fait jaillir sur son pays, s’est étendue jusqu’à son nom et l’a rendu aussi célèbre que cher à notre patriotisme.

Pour nous, ses compatriotes, M. Garneau n’est pas seulement le premier de nos historiens, c’est notre historien, celui qui a ressuscité notre passé et l’a fait revivre dans un tableau animé et grandiose, dont quelques ombres ne sauraient diminuer le caractère et l’effet puissant, celui qui avait reçu le sentiment, le don de donner à ce passé la seconde vie de l’histoire. D’autres ont pu ou pourront rivaliser avec lui dans le champ, maintenant plus accessible, des recherches historiques, personne ne saurait lui ravir le titre qu’il a conquis à force de labeurs, de dévouement et d’amour de son pays. Ses rivaux ou ses successeurs lui disputeront la palme de l’érudition, mais c’est lui qui s’appellera toujours l’historien national.

Impression (photomécanique) | Monument à François-Xavier Garneau, Québec, QC, vers 1910 | MP-0000.1163.8

Monument à François-Xavier Garneau, Québec, QC, vers 1910

Cette gloire fut le but de sa vie, il la vit rayonner au-dessus de lui du jour où parut le premier volume de son grand ouvrage. Ce fut là son unique récompense, mais il se trouva bien payé de ses rudes labeurs, car c’était à cela seul qu’il aspirait. Il savait d’avance que son travail ne lui donnerait ni la fortune, ni l’influence politique, que l’admiration universelle serait impuissante à lui frayer une voie à travers les intrigues qui dominent la carrière publique. Peu lui importait, son but était plus haut et ce but une fois atteint, le reste pour lui était secondaire.

Pour cela, M. Garneau a sacrifié sa santé, abrégé sa vie, négligé le soin de sa fortune. Son pays l’a laissé se dévouer, mener de front un ingrat laveur de bureau et son immense travail historique, s’user à la peine, sans même songer à venir à son secours, à le mettre en position de se consacrer tout entier à sa glorieuse tâche. Le gouvernement de notre pays a bien autre chose à faire que de récompenser le mérite, que d’accorder à notre littérature l’appui dont elle a besoin pour triompher des obstacles qui l’entoure. Les hommes de talent, les généreux esprits qui, au milieu de l’indifférence générale, tentent quelque chose pour la gloire commune, sont laissés entièrement à eux mêmes; s’ils succombent dans la tâche, ceux qui, plus heureux et moins sages, se sont attachés à de plus obscurs desseins, se félicitent de n’avoir pas suivi leur périlleux exemple et de n’avoir pas ressentir leur audacieuse ambition. Les emplois publics où l’on n’a peu de chose à faire, réservés en Europe aux hommes qui se mettent au service de l’histoire, de la philosophie et des sciences, afin qu’ils puissent se livrer en paix à leur haute vocation, sont, pour la plupart, donnés aux gens qui ne savent rien faire.

La ville de Québec, du moins, n’a point à se reprocher d’avoir manqué de gratitude et d’égard envers notre historien national. Lorsque la santé de M. Garneau, profondément altérée, ne lui permettait plus de remplir les devoirs de sa charge qu’avec peine, le Conseil-de-Ville lui a spontanément voté une pension.

Nous n’avons voulu que consacrer quelques lignes à la mémoire de M. Garneau, nous donnerons un autre jour sa biographie.

Le Canadien, dont le passé est identifié avec nos luttes pour la liberté, et que M. Garneau a si souvent cité dans le cours de son histoire, acquitte une dette d’honneur nationale en même temps qu’il remplit un devoir de sympathie, en prenant le deuil.

M. Garneau était âgé de 57 ans. Ses funérailles auront lieu demain matin.

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