La Patrie, 4 mars 1922
UNE SENTINELLE FRANÇAISE QUI MONTE LA GARDE!
Le fort de l’Ile-aux-Noix sur la Rivière Richelieu et sa restauration
__Grâce aux démarches faites l’année dernière auprès des autorités fédérales, par la « St-James Literary Society » et la Société Historique de Montréal, les anciennes fortifications de l’Ile-aux-Noix dans le haut Richelieu, seront sauvées de l’oublie et de la ruine et seront préservées comme reliques du passé par la Commission des Parcs Nationaux, qui a assumé la garde et l’entretien de ce soin de terre doublement historique, où se sont déroulés des événements de la plus grande importance pour la colonie, tant sous le régime français, que sous le régime français, que sous celui qui lui succéda en 1760.
Le vieux fort pittoresque de l’Ile-aux-Noix, dont les lourds remparts s’allongent à l’ombre d’ormes centenaires, à l’intérieur d’un large fossé aux eaux tranquilles, est l’un des plus intéressants de tous ceux qui ont été érigés au cours des premiers siècles de la colonie, pour protéger la route fluviale du Richelieu, qui jusqu’à la création des premières lignes de voies ferrées, était considérée comme étant le chemin le plus direct entre le Bas-Canada et les états de la Nouvelle-Angleterre. Longtemps après la Conquête, des troupes anglaises y furent stationnées, à cause de la proximité de ce point stratégique avec la frontière de la nouvelle république américaine, dont les tentatives pour s’emparer du Canada, d’abord en 1775, puis en 1812, n’étaient pas pour rassurer l’Angleterre. C’est grâce aux énormes travaux que celle-ci y fit exécuter peu après la guerre de 1812-1813, que nous possédons aujourd’hui sur le Richelieu ce magnifique groupe de fortifications, typiques du siècle dernier, qu’il est maintenant de notre devoir de conserver, avant que l’élément dévastateur du temps y ait accompli de trop grands ravages.
Ceux qui se passionnent de l’histoire de notre pays et qui veulent garder intactes les reliques qui nous en rappellent les faits les plus remarquables, seront heureux d,apprendre cette décision du gouvernement, qui assurera le maintient en bon ordre des constructions, des remparts et des ponts du vieux fort. Depuis quelques années, l’Ile-aux-Noix a été laissée sans gardien, et l’oeuvre de détérioration y a avancé d’une façon inquiétante. Les massifs édifices de pierre grise qui s’alignent régulièrement dans le quadrilatère des remparts, commencent à se lézarder, les planchers se défoncent, les fossés se comblent peu à peu et les remparts eux-mêmes s’affaissent lentement menaçant d’écraser sour leur masse argileuse, les caveaux profonds qu’ils abritent sur les côtes nord et ouest du fort.
Si elles sont désormais de peu de valeur au point de vue stratégique, les vieilles fortifications de l’Ile-aux-Noix méritent d’être conservées pour les générations futures, au même titre que le fort de Chambly, situé plus bas sur la rivière Richelieu. mieux favorisé que ce dernier par la Nature, le fort Lennox, c’est le nom que les Anglais donnèrent à l’Ile-aux-Noix après la Conquête, s’élève dans un site tout à fait pittoresque, entre les rives vastes et couvertes d’épaisses frondaisons, qui bordent le Richelieu en cette partie de son parcours. Rarement pour un parc historique peut-on trouve un endroit plus enchanteur. A proximité des chemins de fer, l’Ile est encore facilement accessible de la ville de St-Jean, située à une douzaine de milles plus au nord, sur le Richelieu, qui sur toute cette distance, coule ses eaux tranquilles entre des rivages en partie boisée avec des fermes prospères, ou de coquets chalets, habités durant la belle saison par des villégiateurs de la métropole.
La Commission des Parcs devra maintenant faire effectuer les réparations urgentes qui remettront en place dans un état convenable et aussi nommer un gardien compétent pour prendre charge du fort. Celui-ci en sera le conservateur et en même temps le « cicerone » pour les centaines de touristes qui s’y arrêtent au cours de l’été et dont le nombre ne manquera pas de s’accroître avec le nouveau régime. Les autorités fédérales auront accompli une oeuvre véritablement patriotiques en préservant de la ruine un site riche en souvenirs d’autrefois, et dont trop peu de Canadien connaissent l’existence, ou du moins les faits historiques qui s’y rattachent.
On poursuit avec quelques faits saillants de l’histoire du fort.
Un détail intéressant qu’il ne faudrait pas oublier de mentionner dans cet article sur l’ile-aux-Noix, c’est que plusieurs patriotes qui furent mêlés à la rébellion de 1837-38, furent gardés prisonniers dans les caveaux que l’on voit encore dans les profondeurs des remparts. C’étaient alors de sinistres et humides cachots, qui ne recevaient qu’un peu de lumière par le judas de la porte. Au milieu du quadrilatère que forment les remparts et les diverses casernes, se trouve le Champ de Mars, qui servait de terrain d’exercice pour les soldats. Au centre, il y avait un cadran solidaire, que des vandales ont jeté par terre, il y a une couple d’années.
Le fort « Lennox » fut occupé par les troupes impériales jusqu’en 1859, date où l’Angleterre retira la plus grande partie de ses forces du Canada. Les vieillards de la région se rappellent encore la belle tenue du fort lorsque les « red-coats » y tenaient garnison. Tout y était dans un état de propreté impeccable et c’était un plaisir que d’aller vendre des previsions dans l’île, pour voir les soldats à l’exercice ou dans leurs quartiers.
Depuis au-delà de soixante ans, l’Ile-aux-Noix est déserte et l’écho des tambours et des clairons a depuis longtemps cessé de se répercuter dans les bois qui bordent les rives ombragées du Richelieu. La forteresse qui était imprenable en 1812, ne soutiendrait pas un siège de 24 heures aujourd’hui, contre un ennemi pourvu de canons modernes. Cependant la vieille place a encore une apparence de solidité et de force qui fait plaisir à voir.
Il y a une quarantaine d’années, on tenta d’établir une école de réforme dans l’Ile, mais à cause des difficultés de communications à cette époque, l’entreprise ne fut pas jugée pratique. C’est la seule fois depuis le départ des troupes régulières, qu’on tenta de tirer parti de l’Ile.
C’est cet endroit historique que l’on veut maintenant sauver de l’oubli et de la ruine et garde comme un monument aux faits héroïques qui s’y sont déroulés au cours des années difficiles de l’établissement de la colonie. Espérons que la Commission des Parcs Nationaux ne tarde pas à s’occuper du vieux fort et d’y nommer un gardien responsable, se rendant ainsi aux voeux de ceux qui se sont donné pour mission de veiller sur les reliques sacrées du passé dans ce pays.
Lieu historique national du Fort-Lennox: http://www.pc.gc.ca/fra/lhn-nhs/qc/lennox/index.aspx
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