L’enterrement de Joseph Guibord [Montréal,1875]

Joseph Guibord. Canadian Illustrated news, 18 septembre 1875

Joseph Guibord. Canadian Illustrated news, 18 septembre 1875

Joseph Guibord, membre de l’Institut  canadien de Montréal, décède le 18 novembre 1869.  Pendant plusieurs années, l’institut canadien et la veuve de Guibord, Henriette Brown, doivent se battre pour qu’il soit enterré au cimetière catholique. C’est l’affaire Guibord. Le 16 novembre 1875, on réussit à l’enterrer au cimetière Côte-des-Neiges.

La Minerve, 17 novembre 1875

ENTERREMENT DE GUIBORD

L’enterrement de Guibord est enfin un fait accompli. La cérémonie a eu lieu hier matin. Tout s’est passé paisiblement et avec ordre. Les autorités n’ont rencontré aucune résistance dans l’exécution du décret royal, et tout le déploiement de forces qu’on a cru devoir faire a été inutile.

Can

On sort le cercueil de la voûte du cimetière du Mont-Royal. Canadian Illustrated news, 18 septembre 1875

Le cortège funèbre est parti vers 10 1/2 hrs, hier matin du cimetière protestant, où le cercueil fut livré aux représentants de l’Institut, sur simple reçu et sans aucune identification du corps. Le corbillard était suivi par une vingtaine de voitures, où avaient pris place quelques membres de l’Institut et d’autres amis de la cause. Un détachement de la police urbaine, composé d’une cinquantaine d’hommes, escortait le cortège, qui prit, comme la première fois, la route de la Côte Ste. Catherine. A quelques arpents du cimetière catholique, l’escorte rencontra le régiment de volontaires qui avait été dépêché sur les lieux, par les ordres des autorités. Ce régiment était formé de quatre ou cinq bataillons mixtes, provenant des bataillons du Prince de Galles, d’Hochelaga et des Victoria, d’un corps de cavalerie et d’une escouade de sapeurs. Cette troupe, qui était accompagnée de 32 hommes d’artillerie et de quatre canons, se forma sur le Champ-de-Mars, où elle parada, au son des fanfares, pendant une demie-heure, et de là se rendit à la Côte Ste. Catherine, où elle stationna tout le temps que dura l’enterrement, sans qu’il fût même besoin de faire approcher les troupes de l’entrée du cimetière, où l’escorte funèbre pénétra seule sans avoir rencontré aucune résistance. Le rôle joué par cette petite armée est notablement entaché de ridicule. Cette aventure rappelle la fable de la Montagne en travail, accouchant d’une souris. Comme l’a fait remarquer un journal, il eût suffi d’une centaine d’hommes de police pour assurer le maintient de la paix, et les volontaires auraient tout aussi bien fait de s’armer de pelles et de pioches que de fusils et de canons; cela aurait eu une couleur plus locale. Il est douteux qu’on ait jamais fait jouer à un régiment une comédie aussi grotesque, et ceux qui y ont pris part ne devront pas essayer d’en tirer jamais vanité.

Une foule presque aussi nombreuse que celle qui encombrait la place lors de la tentative d’enterrement du 2 septembre, s’était rendue au cimetière. On évalue le nombre des personnes présentes à 2,000. Un ordre parfait ne cessa de régner parmi cette multitude, qui ne manifesta pas la moindre intention hostile. Sur la nouvelle qu’on pouvait redouter quelque manifestation de la part de quelques-uns, les autorités du cimetière firent enlever les barrières par quelques hommes que dirigeait le détective Cinq-Mars. Le char funèbre et les voitures qui le suivaient pénétrèrent dans l’enceinte vers 11 1/2 heures, et se rendirent sans qu’on eût fait avertir le gardien ou qui que ce soit, au lot 873, où une fosse avait été creusé par les soins de l’Institut, au-dessus même de celle de feu Mde Guibord, dont le cercueil avait été mis à découvert.

Arrivée du cercueil au cimetière Côte-des-Neiges.

Arrivée du cercueil au cimetière Côte-des-Neiges. Canadian Illustrated news, 18 septembre 1875

Maintenant, l’Institut a la satisfaction de sa vengeance accomplie et de l’outrage sacrilège qu’il a commis. Nous devons protester contre cette attentat légal, qui a été commis au nom de la Couronne, tout en respectant l’autorité de celle-ci. L’autorité religieuse, qui a donné l’exemple de la soumission à la loi, peut user maintenant, pour réparer le sacrilège commis, des armes spirituelles qu’elle possède et que l’Etat est impuissant à lui enlever.

On évalue à 700 ou 800 hommes le chiffre des troupes qui ont été mises sur pied pour l’enterrement de Guibord. Son Honneur, le Maire Hingston et M. le Juge Coursol, celui-ci en sa qualité de magistrat, assistaient à la démonstration. Les volontaires furent appelés sous les armes lundi, par un ordre du lieutenant-colonel Fletcher, député-adjudant-général, à la suite d’une requête présentée au nom de l’Institut. Ils s’organisèrent lundi soir, au Drill Shed. Le lieutenant-colonel MacKay les harangua et leur lut l’Acte concernant les émeutes, leur recommandant de ne pas se servir de leurs armes quand même on leur lancerait des pierres et de ne faire aucune manoeuvre sans en avoir reçu le signal. Les différents bataillons étaient sous les ordre de l’Adjudant Carrie (artillerie de Montréal), du Colonel Stevenson, du Lieut. Col. McArthur (cavalerie), du Colonel Bethune, (Victoria), du Major Bond (Prince de Galles), du Colonel Martin (6e bataillon), etc. Toute cette armée se rassembla sur le Champ-de-Mars, et se dirigea de là vers la montagne par la rue St. Laurent et l’Avenue Mont-Royal, précédée d’un corps de sapeurs, la hache à l’épaule.

Minerve, 16 novembre 1875

Minerve, 16 novembre 1875

La police avait reçu de son côté d’aller au cimetière et de se mettre au service des maires de Ste. Catherine et d’Outremont. Environ cent hommes de la police se rendirent à neuf heures, au cimetière protestant, et escortèrent le corbillard jusqu’au cimetière catholique. Ils étaient armés de fusils. Ils pénétrèrent dans le cimetière et protégèrent la fosse pendant toute la durée de la cérémonie.

Les journaux du soir mentionnent le fait d’un jeune représentant du National, qui a interpellé M. le curé Rousselot, au moment où celui-ci assistait à l’enterrement, en lui demandant (en vertu de quel droit?) en quelle qualité il se trouvait là. M. le Curé eut la bonté de lui répondre que c’était en qualité d’officier civil.

Lundi, le Révd. M. Rousselot reçut un avis de M. Joseph Doutre, le notifiant qu’il devait se préparer à donner les cérémonies religieuses, sous peine d’amende. M. le Curé a répondre à cette bravade par une lettre de protestation énergique, que nous publierons demain.

Billets reliés
Fondation de l’Institut canadien [Montréal, 1844]

Cimetière Saint-Charles à Québec

L’Incendie de l’asile de Beauport, 29 janvier 1875

Pendaison des patriotes Cardinal et Duquette [21 décembre 1838]

Fondation de l’Institut canadien [Montréal, 1844]

La Minerve, 19 décembre 1844

INSTITUT CANADIEN – Nous apprenons avec plaisir que, mardi dernier, une réunion d’au moins 200 de nos jeunes compatriotes, a eu lieu aux chambres de la  »Société d’Histoire naturelle » Petite rue St. Jacques, [illisible] de jeter les premières bases d’une association, sous le nom cité plus haut. Cette société, nous dit-on, a pour but l’établissement d’une bibliothèque et d’une chambre de nouvelles. On s’y occupera aussi de différents exercices de littératures et d’objets de bienfaisance. La manière dont on se propose de la diriger, nous fait espérer qu’elle réussira, au delà même de l’attente de ses fondateurs, malgré la modique rétribution de 5s, exigée annuellement de chaque sociétaire.

Des listes sont déjà en circulation pour recueillir les noms des étudiants, des commis et des apprentis canadiens qui désirent faire partie de l’Institut. Les hommes de profession, les marchands, les ouvriers et autres, sont aussi appelés à se réunir à notre jeunesse, comme membres titulaires, et nous pensons que ceux qui ont à coeur l’avancement de leurs jeunes compatriotes, se feront un devoir de se joindre à eux.

Les membres qui ont font déjà partie de l’association, se réuniront au même lieu, lundi soir, prochain, pour l’adoption des règlements et l’élection des officiers.

L’Institut a beaucoup fait parler de lui par la suite…
Billets reliés

La lecture des mauvais livres [1880]

Le roc irlandais [Montréal, 1er décembre 1859]

L’écrivain André Malraux donne une conférence à Montréal [avril 1937]

Oscar Wilde à Montréal [mai 1882]

5. Ces gens qui ont marqué notre histoire: Arthur Buies

Au Québec et ailleurs, on nomme des routes, des rues, des bâtiments et des parcs en l’honneur de personnes qui ont marqué notre histoire. Cette série de billets a pour but de vous faire découvrir ces gens.

Des rues à Lévis, Sainte-Julie et Hull, une avenue à Montréal et un boulevard à Rimouski portent le nom d’Arthur Buies. Qui est Arthur Buies?

Une famille peu banale

Arthur Buies vient d’une famille aisée. Son père, William, est un banquier d’origine écossaise. Au moment la naissance d’Arthur, le 24 janvier 1840, il travaille à New York. La mère d’Arthur est Marie-Antoinette-Léocadie d’Estimauville. Ses grandes-tantes maternelles sont les seigneuresses de Rimouski. La tante d’Arthur, Éléonore d’Estimauville, est soupçonnée de complicité concernant le meurtre de son mari, Achille Taché, seigneur de Kamouraska, en 1839. C’est ce fait divers qui a inspiré le roman Kamouraska, d’Anne Hébert.

Arthur Buies vers 1860

Arthur Buies vers 1860

Éducation

La scolarité d’Arthur se déroule en plusieurs endroits: collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (1849-1854), séminaire de Nicolet (1854–1855) puis Petit séminaire de Québec (1855–1856). Il est reconnu pour son indiscipline et son caractère rebelle. En 1856, Arthur va rejoindre ses parents, qui vivent à Berbice, en Guyane. Il part au bout de quelques mois, pour aller étudier à Dublin, en Irlande. Il étudie ensuite (sans la bénédiction paternelle) au lycée Saint-Louis, de 1857 à 1859 où il tente, sans succès, d’obtenir un diplôme en droit. C’est à Paris qu’il cesse sa pratique religieuse. Il semble avoir eu, toute sa vie, une relation compliquée avec le catholicisme.

Le journalisme

Vers 1861, Arthur Buies s’engage dans l’armée de Garibaldi en Italie. A-t-il réellement combattu? On ne le sait pas avec certitude. Vers 1862 (peut-être dès 1861), il rentre au Canada. Il s’implique dans les activités de l’Institut Canadien de Montréal, lieu d’échange et de discussion sur les problèmes du temps. Le clergé n’apprécie pas les idées qui s’y propagent; la mainmise de l’Église dans plusieurs domaines y est remises en question.

En 1867, alors que se concrétise le projet de confédération canadienne auquel Buies s’oppose, ce dernier retourne à Paris pour y faire carrière comme journaliste. L’expérience n’étant pas concluante, il revient à Montréal quelques mois plus tard.

Il lance en 1868 le journal La Lanterne canadienne, dont la parution dure à peine un an. Francis Parmentier, dans un article du DBC, écrit à propos de La Lanterne:

 »Ce journal est demeuré, en effet, le symbole du courage intellectuel et moral, à une époque où beaucoup avaient courbé l’échine. En ce sens, il devait inspirer nombre de journalistes de talent, tels Jules Fournier*, Olivar Asselin* et Jean-Charles Harvey*  ».

Vers 1870, il fait un nouveau séjour à Paris et de retour à Montréal, il fonde le journal L’Indépendant,  »qui prône l’indépendance du Canada et un mode de gouvernement républicain  ». L’expérience dure quelques mois. Buies collabore par la suite aux journaux Le Défricheur et Le Pays.

Durant les années 1870, il est chroniqueur pour Le National, La Minerve et L’Opinion publique. Il publie les recueils Chroniques, humeurs et caprices (1873), Chroniques, voyages, etc., etc. (1875) et Petites Chroniques pour 1877 (1878) . En 1876, il lance le journal Le Réveil, qui sera publié pendant quelques mois et deux ans plus tard, il devient secrétaire de la Société de géographie de Québec.

La colonisation

En 1879, il rencontre le curé Labelle, promoteur de la colonisation. Rappelons que depuis plusieurs années déjà, beaucoup de Canadiens-français s’exilaient en Nouvelle-Angleterre pour travailler dans des usines. Plusieurs croyaient que la colonisation était un moyen de les retenir ici. Buies va adopter cette cause et en parler dans ses écrits. Il va même travailler pendant quelques temps pour le ministère de la colonisation. Il publie en 1880 le Saguenay et la Vallée du Lac St-Jean ; étude historique, géographique, industrielle et agricole. Au cours des années suivantes, Arthur Buies collabore aux Nouvelles soirées canadiennes et à La Patrie.

De 1887 à son décès

Il épouse le 8 août 1887 à Québec Marie-Mila Catellier, fille de Ludger-Aimé Catellier, sous-registraire général du Canada. De 1887 à 1892, il est agent de la colonisation. Durant les années 1890, il publie quelques ouvrages dont Les Comtés de Rimouski, Matane et Témiscouata […], recueil de trois rapports (1890), La Région du Lac Saint-Jean, grenier de la province de Québec (1890), Au portique des Laurentides ; une paroisse moderne ; le curé Labelle (1891), Réminiscences ; les jeunes barbares (1892) et Le Saguenay et le Bassin du Lac Saint-Jean ; ouvrage historique et descriptif (1896). Ces années sont difficiles: Buies est affligé par la maladie et les ennuis financiers.

Arthur Buies est décédé le 26 janvier 1901 à Québec.

Son oeuvre

Buies a été un écrivain prolifique. Pour une liste exhaustive de ses écrits, je vous invite à consulter le dossier que L’Encyclopédie de l’Agora lui a consacré. Parmi les thèmes abordés par Buies, il y a la défense de la langue française, la valorisation des sciences, la promotion de l’éducation et la colonisation. Il a critiqué à maintes reprises le clergé catholique. Plusieurs de ses écrits décrivent la vie en région. Il a fondé plusieurs journaux, que l’on peut qualifier ‘d »anticléricaux, nationalistes, démocratiques, condamnés par l’épiscopat  ».

Conclusion

Journaliste et chroniqueur prolifique, Arthur Buies a été un observateur critique de son temps. Un esprit libre aussi. Un exemple à suivre.

Article relié: Arthur Buies – Chroniques du Bas-du-fleuve

Bibliographie

Encyclopédie de l’agora (Page consultée le 17 août 2009). Dossier Arthur Buies [en ligne] Adresse URL: http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Arthur_Buies

Wikipédia. (Page consultée le 17 août 2009). Arthur Buies [en ligne] Adresse URL:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_Buies

MAILHOT, Laurent. (Page consultée le 17 août 2009). Buies, Arthur [en ligne] Adresse URL: http://www.thecanadianencyclopedia.com/fr/article/buies-arthur/

PARMENTIER Francis. (Page consultée le 17 août 2009). Buies, Arthur [en ligne] Adresse URL:

http://www.biographi.ca/fr/bio/buies_arthur_13F.html

Billets reliés: