L’invasion fénienne des Cantons-de-l’Est [1866]

En 1858 a été fondée à New York la confrérie des Féniens dans le but de libérer l’Irlande de la domination anglaise. La guerre de Sécession américaine (1861-1865) mit un frein au plan initial qui était d’envoyer des combattants en Irlande. Les dirigeants féniens optèrent pour une autre cible, c’est-à-dire les voisins du nord.

En 1866, les Fenians tentèrent à trois reprises d’envahir le Canada-Est et le Canada-Ouest. Ils essayèrent à nouveau en 1870 et 1871 et échouèrent à chaque fois.

Retournons en 1866. Le 7 juin 1866, des féniens, commandés par le général Samuel P. Spear, traversent le Vermont et pénètrent au Canada-Est près de Eccles Hill. Les féniens sont vus à Pigeon Hill, Frelighsburg, Stanbridge et St-Armand. Mais l’invasion ne dura que quelques jours, à cause de l’indiscipline des troupes féniennes (qui s’adonnèrent au pillage) et de l’absence des renforts, munitions et vivres attendus.

Voici deux articles à propos des évènements de 1866.

La Minerve, 9 juin 1866

FRONTIÈRES DE L’EST ENVAHIES

ST. ARMAND, PHILISBURG &C, DÉVASTÉS

COMBAT INEVITABLE

(d’un messager spécial de la  »Minerve »)

St. Armand, 8 juin

Les Fénians sont arrivés ici en force et se sont emparé de Pigeon Hill. Le bureau de télégraphe est fermé et les autorités ont fait couper immédiatement les fils pour qu’ils ne communiquent plus avec les endroits au pouvoir des Fénians.

Les Fénians sont arrivé par le chemin de fer du Vermont et sont descendus d’abord sur Pigeon Hill. Ils se sont emparés de l’Hôtel Carpenter ainsi que de la maison de M. Hobb, et ils ont commencé par sauter sur les rafraichissements, qui n’ont pas manqué de leur faire commettre toutes sortes d’excès. Ils se répandent dans les campagnes et exercent un pillage général. Ils trouvent peu de chevaux, parce que les habitants les ont éloignés par prudence depuis une semaine.

La plupart des familles se sont réfugiées soit sur le côté américain, soit dans des endroits moins exposés.

A tous moments, il arrive de nouveaux détachements fénians qui vont se jeter soit sur Philipsburg, soit sur Cook’s Corner, Pigeon Hill, Freligsburg ou St. Armand.

Ils font prisonniers les habitants qu’ils rencontrent, leur font toutes sortes de menaces, pour en avoir de l’argent et les renseignement, [illisible] forcent à prêter serment d’allégeance à la république irlandaise et les lâchent ensuite sur parole.

La Minerve, 11 juin 1866

LES FENIANS EN FUITE

POURSUITE PAR NOS TROUPES

VINGT PRISONNIERS FENIANS

(Dépêche éditoriale de La Minerve)

St. Armand, 9, 6 p. m.

Il y a beaucoup de dégâts par ici, mais plus de fénians.

Les autorités militaires avaient fait de grands préparatifs dans la nuit de vendredi. Quatre compagnies volontaires de St. Alexandre et le 25ème régt. et deux canons avaient été prendre possession de St. Armand pendant la nuit. Les Chasseurs Canadiens devaient partir de St. Jean le samedi matin pour la même destination. Bref, 2500 personnees devaient fondre sur les fénians par St. Alexandre et Desrivières Station, tandis que 1500 devaient s’avancer par Faraham; mais les fénians eurent probablement vent de la chose et ils se préparèrent à laisser le camp. C’est pourquoi les autorités ne mirent qu’une légère force en mouvement.

Dans le cours de l’avant-midi, le 25ème regt., les Carabiniers, plusieurs compagnies volontaires de la frontière et le corps de cavalerie des Guides s’avancèrent sur Pigeon Hill et Cook’s Corner, les Guides décrivant un circuit pour cerner l’ennemi; mais les fénians avaient pris de l’avant et il fut impossible de rejoindre le gros de l’armée en deça de la frontière. Il n’y eut en tout qu’une quarantaine de coups de fusil et le canon ne put servir. Les Guides furent très exposés et se conduisirent admirablement bien. Ils firent 5 prisonniers. Les autres compagnies en firent aussi et il y en a actuellement 15 entre nos mains. Deux sont blessés, l’un peut-être mortellement.

Un grand nombre de fénians se sont réfugiés dans les forêts d’alentour et nos troupes sont à leur recherche.

Les fénians amènent avec eux près de 40 têtes de bétail, 150 moutns et quelques vieux chevaux. Ils ont pillé toutes les maisons et ont emporté tout ce qu’ils ont pu.

Le spectacle que présente Pigeon Hill est assez triste. Il y a des personnes complètement ruinées. On a enlevé 16 boeufs à un cultivateur de St. Armand. On a tout brisé dans la maison de M. Carpenter. Il y a des hôtels où toutes les verrerries sont brisées et les tonneaux vides. On a volé 10 cochons gras et plusieurs boeufs à M. Ls. Richard, fournisseur de l’armée.

Le gros du détachement de troupes anglaises et à St. Armand. Deux compagnies sont à Frelibgsurub [sic]

On allait revoir les Fenians dans la région en 1871…

Bibliographie

Heather Darch. For the sake of Ireland: the Fenian raids of Missisquoi County  1866 & 1870. Cybermagazine du patrimoine des Cantons-de-l’Est. 

Villanova University [En ligne] Torn between brothers – A look at the internal divisions that weakened the Fenian Brotherhood. [Page consultée le 18 juin 2012]

Laurent Busseau [En ligne] Fenians Raid : une invasion irlandaise du Canada entre 1866 et 1871  [Page consultée le 18 juin 2012] http://historien-sans-frontiere.com/

Laurent Busseau [En ligne]La bataille d’Eccles Hill à Frelighsburg en 1870 [Page consultée le 18 juin 2012] http://historien-sans-frontiere.com/

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Le général Richard Montgomery à Québec [31 décembre 1775]

Richard Montgomery (1738-1775). Extrait de Canada, the empire of the North par Agnes Christina Laut, p. 301. Source: Wikipédia

After resting in peace for forty-two years within the walls and under the sod of this garrison, the skeleton of General Montgomery who fell in an assault on the Lower-Town, on the 31st of December, 1775, was, on Saturday last, raised from the place of it’s deposit and took its departure for New-York; where is is destitued to a more distingues place of interment in the church of St. Paul of that city. Extrait du Quebec Mercury, 23 juin 1818.

En 1818, les restes du général Richard Montgomery furent transférés à l’église St. Paul de New York. Il avait perdu la vie le 31 décembre 1775 alors qu’il tentait, avec ses troupes, de pénétrer dans la ville de Québec (Pour en savoir plus, Invasion américaine de 1775-1776). Philippe Aubert de Gaspé, dans ses Mémoires,  raconte comment la nouvelle du décès de Montgomery a été reçue à Québec. Il raconte aussi ce qui arriva au chien de Montgomery.

L’hospice de l’Hôpital-Général, situé hors des murs de la cité de Québec, et protégé, du consetement du général anglais, Lord Dorchester, par le drapeau noir, servait d’asile, en 1775, pendant le siège de Québec, aux malades et aux blessés de l’armée américaine commandée par le général Montgomery. L’abbé de Rigaudville passant dans les salles, le matin du premier janvier, entend des lamentations dont il ne peut deviner la cause, en comprenant pas un mot de la langue anglaise. Les Américains élévaient les mains au ciel en criant:  »Montgomery is dead! » L’abbé comprenait parfaitement que Montgomery voulait bien dire Montgomery leur général mais là s’arrêtait toute sa science. Supposant, avec raison, que la nouvelle que l’on venait de communiquer aux Américains n’avait rien de flatteur pour eux, mais qu’elle devait nous être favorable, il s’empresse de raconter à la supérieure et aux religieuses du couvent les paroles qu’il a entendues. Mais les pauvres religieuses sont aussi empêchées que les magiciens de Balthasar à la vue des caractères tracés sur les murs de la salle de festin. On répétait sur tous les tons  »Montgomery is dead » sans en être plus avancé lorsque mademoiselle Desgoutins, jeunes acadienne de Louisbourg, qui demeurait dans l’hospice, les tira d’embarras en leur apprenant que dead voulait dire mort, et que ce mot appliqué à Montgomery annonçait l’heureuse nouvelle que le général américain était passé de vie à trépas. Mais comme les religieuses n’étaient pas les plus fortes chez elles, elles se donnèrent bien de garde d’en témoigner de la joie; au contraire tout le monde feignit d’être très sensible à cette perte, en répétant, d’un accent pitoyable, avec nos ennemis;  »poor Montgomery is dead! ».

Extrait de Quebec ancient and modern [microform] : being a collection of notes for tourists (1891) par E. T. D. Chambers p.39

Que ceux qui désirent connaître où le corps de Montgomery fut transporté après avoir reçu le coup de mort en montant à l’assaut de la ville de Québec, le 31 décembre, 1775, s’arrêtent dans la rue Saint-Louis, vis-à-vis une très petite maison appartenant à cette époque à la veuve Gobert [maison de Louis Gobert, charpentier], et portant aujourd’hui le N. 44. C’est là qu’il fut déposé. Que le visiteur continue sa promenace jusqu’à la porte de la ville, s’il est curieux de savoir où il fut enterré, qu’il compte cent pas en se dirigeant vers la citadelle, que là, il se tourne du côté des murs de la ville, et il sera à quelques pieds du lieu où Montgomery a reposé jusque vers l’année 1825 [en fait 1818] que son corps fut remis à sa famille par les autorités d’alors. Il ne reste plus aujourd’hui au Canada que le souvenir de sa défaite et son épée maintenant entre les mains de monsieur l’assistant-commissaire-général Thompson, auquel son père, un des défenseurs de Québec, l’a remise en mourant.

Québec – Quartier Cap-Blanc – Boulevard Champlain – Plaque commémorative sur la chute de Montgomery (1775) . – janvier 1905 par Fred C. Würtele (à droite). William Wood est l’homme à gauche. Source: BANQ

Le rebelle Montgomery reposait depuis trois jours dans sa tombe, peu regretté des Anglais qu’il avait trahis, et encore moins des Canadiens-français, dont il avait incendié les paisibles habitations en 1759, lorsqu’il servait sous le général Wolfe [Selon Pierre-Georges Roy, Philippe Aubert de Gaspé confond plutôt Richard avec son frère Alexandre Réf.). Déjà peut-être il était oublié de ceux qui avaient été naguère ses amis, lorsqu’on s’aperçut qu’un seul et dernier ami, le plus fidèle quoique privé de la raison, ne l’avait pas abandonné.

Quelqu’un information mon oncle Charles de Lanaudière, aide-de-camp de Lord Dorchester, qu’un superbe chien de la grande race des épagneuls était couché, depuis trois jours, sur le sépulcre de Montgomery, et qu’il grattait la terre avec ses pattes en poussant des hurlements plaintifs et doulouteux, quand une personne en approchait.

[….]

Charles-Louis Tarieu de Lanaudiere, oncle de Philippe Aubert de Gaspé. Source: Wikipédia

Lorsque monsieur de Lanaudière arriva sur les lieux, le chien était accroupi sur le sol, la tête tournée du côté des assistants qu’il regardait avec méfiance, mais sans colère. Mon oncle lui dit quelques paroles d’une voix affectueuse en langue anglaise et prononça le nom de Montgomery. Le pauvre animal fut assitôt debout, et poussa un hurlement plaintif en le regardant avec tristesse. M. de Lanaudière s’approcha de lui d’un air caressant, et lui présentant de l’eau et du pain. Le chien but quelques gorgées d’eau à la hâte et se coucha sur la tombe de son maître, sans vouloir prendre d’autres nourritures. Bref, ce ne fut qu’à l’expiration d’une huitaine de jours, que M. de Lanaudière réussit, à force de soins, de caresses, et en lui donnant à boire et à manger lui-même, à l’arracher du sépulcre de son maître.

Montgomery, (ce fut le nouveau nom qu’on lui donna,) devint bien vite le favori de la famille de son bienfaiteur, sur laquelle il finit par reporter toute son affection. Six à sept mois après, mon oncle laissant Québec avec sa famille pour sa seigneurie de Sainte-Anne de La Pérade, donna l’ordre à ses domestiques de tenir le chien renfermée pendant une couple de jours.Soit négligence, soit adresse de la part de l’animal, Montgomery recouvra la liberté le soir même. Douze heures environ s’étaient écoulées depuis le départ de son maître. Le lendemain, vers quatre ou cinq heures du matin, ma tante réveillée par les aboiements d’un chien, dit à son mari: »J’entends la voix de Montgomery. »

Lorsque monsieur de Lanaudière arriva sur les lieux, le chien était accroupi sur le sol, la tête tournée du côté des assistants qu’il regardait avec méfiance, mais sans colère. Mon oncle lui dit quelques paroles d’une voix affectueuse en langue anglaise et prononça le nom de Montgomery. Le pauvre animal fut assitôt debout, et poussa un hurlement plaintif en le regardant avec tristesse. M. de Lanaudière s’approcha
– Tu rêves, Babet ! (Elizabeth) lui dit son époux; le chien n’est jamais venu ici avec nous auparavant, il est impossible qu’il ait deviné la route que nous avons prise.

Mais c’était bien Montgomery qui avait suivi, l’espace de vingt-deux lieues, pendant la nuit, la piste des chevaux de son maître parti vers les six heures du matin.

Extrait des Mémoires de Philippe Aubert de Gaspé, 1866, p. 38 à 42.

Bibliographie

Pierre-Georges Roy. A travers les mémoires de Philippe-Aubert de Gaspé. G. Ducharme, Montréal, 1943, 296 pages.

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