Comment déranger les députés [Québec, 12 février 1836]

Le 12 février 1836, un journaliste de mauvaise humeur, Philippe-Ignace-François Aubert de Gaspé,  décida de perturber quelque peu les débats parlementaires. Il avait eu quelques semaines auparavant une altercation avec le député de Yamaska, le Dr Edmund Bailey O’Callaghan. Cela lui avait valu un séjour d’un mois en prison.

Aubert de Gaspé est par la suite revenu à Québec, voulant se venger de l’affront qu’on lui avait fait. Il décida donc de perturber les débats en utilisant une méthode… très odorante.

Il se rendit une première fois au parlement (avec un complice?), pris l’échelle, monta et tenta de projeter à l’intérieur une bouteille contenant de l’asa foetida. Il réussit à casser les deux premières vitres d’une triple vitre, mais la bouteille demeura entre la deuxième et la troisième vitre où on l’a trouva le matin suivant.

In the course of last night, some evil disposed person or persons, attempted to throw a pint bottle of assafoetida, through one of the windows of the Sitting Hall of the Assembly, so that it might fall upon the stove. The ladder, used for lighting the lamps, at the door of the building,  was taken to enable the perpetrator to reach the windows, and his knowledge of the locale appeared to be perfect, as the panes he broke were directly above one of the stoves, but he had not calculated upon the resistance of tripple windows, for having fractured two panes of glasse, the third resisted the bottle, which fell, broken, between the inner and the center ??shes, where it was found this morning by the Messengers. The perpetrators, probably were alarmed, as they absconded without effecting their purpose; had a few drops of the liquid fallen upon the stove, the effluvia would have prevented the Hall from being used for weeks. As it is, this wanton infraction of the privileges of Parliament, has been attended with no more serious consequences than the fraction of two panes of glass, which have been already replaced. Source. Quebec Mercury, 11 février 1836.

Pourquoi une bouteille d’asa foetida? Parce que cette charmante plante dégage une odeur d’oeufs pourris.

N’ayant pas eu l’effet escompté, Aubert de Gaspé fit une deuxième tentative deux jours plus tard, avec le journaliste de l’Ami du Peuple, Napoléon Aubin, le 12 février. L’important, c’est de persévérer, à ce qu’il parait. On distribua l’asa foetida dans le parlement.

The mischeivous attempt of stifling the members of the Assembly out of their Hall, was again attempted last night and we are sorry to say with more success than on the former occasion, as assafoetida was sprinkled in different parts of the House. The person, we learn, has been seen and discovered, and the matter will be before the House this evening. The fellow, be he whom he may, who could be guilty of so low an annoyance, deserved to be visited with as severe a punishment as the House can inflict. Source. Quebec Mercury, 13 février 1836.

D’autres sources mentionnent que l’asa foetidia a plutôt été mis dans le poêle.

Malheureusement pour Aubert de Gaspé, cette fois-ci, un témoin le dénonça.

Pour éviter la prison, Aubert de Gaspé fuit alors au manoir de son père, Philippe-Joseph Aubert de Gaspé, à St-Jean-Port-Joli.  Il en profita pour rédiger L’influence d’un livre, le premier roman de notre littérature. Il partit ensuite pour Halifax, où il décéda le 7 septembre 1841.

Aubert de Gaspé a quand même réussi à emmerder joliment les députés, cette fois-là…

Bibliographie

Assemblée nationale du Québec [en ligne] Chronologie parlementaire depuis 1791 (1835-1836) [Page consultée le 5 février 2012] Adresse URL

Daniel Perron. « Gaspé fils, romancier et journaliste en Louisiane» Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 68, 2002, p. 55

David M. Hayne.  «Philippe-Ignace-François Aubert de Gaspé» L’Encyclopédie canadienne, Adresse URL

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La petite histoire du crime: la bande à Chambers (Québec et sa région 1831-1835) Première partie

5. Ces gens qui ont marqué notre histoire: Arthur Buies

Au Québec et ailleurs, on nomme des routes, des rues, des bâtiments et des parcs en l’honneur de personnes qui ont marqué notre histoire. Cette série de billets a pour but de vous faire découvrir ces gens.

Des rues à Lévis, Sainte-Julie et Hull, une avenue à Montréal et un boulevard à Rimouski portent le nom d’Arthur Buies. Qui est Arthur Buies?

Une famille peu banale

Arthur Buies vient d’une famille aisée. Son père, William, est un banquier d’origine écossaise. Au moment la naissance d’Arthur, le 24 janvier 1840, il travaille à New York. La mère d’Arthur est Marie-Antoinette-Léocadie d’Estimauville. Ses grandes-tantes maternelles sont les seigneuresses de Rimouski. La tante d’Arthur, Éléonore d’Estimauville, est soupçonnée de complicité concernant le meurtre de son mari, Achille Taché, seigneur de Kamouraska, en 1839. C’est ce fait divers qui a inspiré le roman Kamouraska, d’Anne Hébert.

Arthur Buies vers 1860

Arthur Buies vers 1860

Éducation

La scolarité d’Arthur se déroule en plusieurs endroits: collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (1849-1854), séminaire de Nicolet (1854–1855) puis Petit séminaire de Québec (1855–1856). Il est reconnu pour son indiscipline et son caractère rebelle. En 1856, Arthur va rejoindre ses parents, qui vivent à Berbice, en Guyane. Il part au bout de quelques mois, pour aller étudier à Dublin, en Irlande. Il étudie ensuite (sans la bénédiction paternelle) au lycée Saint-Louis, de 1857 à 1859 où il tente, sans succès, d’obtenir un diplôme en droit. C’est à Paris qu’il cesse sa pratique religieuse. Il semble avoir eu, toute sa vie, une relation compliquée avec le catholicisme.

Le journalisme

Vers 1861, Arthur Buies s’engage dans l’armée de Garibaldi en Italie. A-t-il réellement combattu? On ne le sait pas avec certitude. Vers 1862 (peut-être dès 1861), il rentre au Canada. Il s’implique dans les activités de l’Institut Canadien de Montréal, lieu d’échange et de discussion sur les problèmes du temps. Le clergé n’apprécie pas les idées qui s’y propagent; la mainmise de l’Église dans plusieurs domaines y est remises en question.

En 1867, alors que se concrétise le projet de confédération canadienne auquel Buies s’oppose, ce dernier retourne à Paris pour y faire carrière comme journaliste. L’expérience n’étant pas concluante, il revient à Montréal quelques mois plus tard.

Il lance en 1868 le journal La Lanterne canadienne, dont la parution dure à peine un an. Francis Parmentier, dans un article du DBC, écrit à propos de La Lanterne:

 »Ce journal est demeuré, en effet, le symbole du courage intellectuel et moral, à une époque où beaucoup avaient courbé l’échine. En ce sens, il devait inspirer nombre de journalistes de talent, tels Jules Fournier*, Olivar Asselin* et Jean-Charles Harvey*  ».

Vers 1870, il fait un nouveau séjour à Paris et de retour à Montréal, il fonde le journal L’Indépendant,  »qui prône l’indépendance du Canada et un mode de gouvernement républicain  ». L’expérience dure quelques mois. Buies collabore par la suite aux journaux Le Défricheur et Le Pays.

Durant les années 1870, il est chroniqueur pour Le National, La Minerve et L’Opinion publique. Il publie les recueils Chroniques, humeurs et caprices (1873), Chroniques, voyages, etc., etc. (1875) et Petites Chroniques pour 1877 (1878) . En 1876, il lance le journal Le Réveil, qui sera publié pendant quelques mois et deux ans plus tard, il devient secrétaire de la Société de géographie de Québec.

La colonisation

En 1879, il rencontre le curé Labelle, promoteur de la colonisation. Rappelons que depuis plusieurs années déjà, beaucoup de Canadiens-français s’exilaient en Nouvelle-Angleterre pour travailler dans des usines. Plusieurs croyaient que la colonisation était un moyen de les retenir ici. Buies va adopter cette cause et en parler dans ses écrits. Il va même travailler pendant quelques temps pour le ministère de la colonisation. Il publie en 1880 le Saguenay et la Vallée du Lac St-Jean ; étude historique, géographique, industrielle et agricole. Au cours des années suivantes, Arthur Buies collabore aux Nouvelles soirées canadiennes et à La Patrie.

De 1887 à son décès

Il épouse le 8 août 1887 à Québec Marie-Mila Catellier, fille de Ludger-Aimé Catellier, sous-registraire général du Canada. De 1887 à 1892, il est agent de la colonisation. Durant les années 1890, il publie quelques ouvrages dont Les Comtés de Rimouski, Matane et Témiscouata […], recueil de trois rapports (1890), La Région du Lac Saint-Jean, grenier de la province de Québec (1890), Au portique des Laurentides ; une paroisse moderne ; le curé Labelle (1891), Réminiscences ; les jeunes barbares (1892) et Le Saguenay et le Bassin du Lac Saint-Jean ; ouvrage historique et descriptif (1896). Ces années sont difficiles: Buies est affligé par la maladie et les ennuis financiers.

Arthur Buies est décédé le 26 janvier 1901 à Québec.

Son oeuvre

Buies a été un écrivain prolifique. Pour une liste exhaustive de ses écrits, je vous invite à consulter le dossier que L’Encyclopédie de l’Agora lui a consacré. Parmi les thèmes abordés par Buies, il y a la défense de la langue française, la valorisation des sciences, la promotion de l’éducation et la colonisation. Il a critiqué à maintes reprises le clergé catholique. Plusieurs de ses écrits décrivent la vie en région. Il a fondé plusieurs journaux, que l’on peut qualifier ‘d »anticléricaux, nationalistes, démocratiques, condamnés par l’épiscopat  ».

Conclusion

Journaliste et chroniqueur prolifique, Arthur Buies a été un observateur critique de son temps. Un esprit libre aussi. Un exemple à suivre.

Article relié: Arthur Buies – Chroniques du Bas-du-fleuve

Bibliographie

Encyclopédie de l’agora (Page consultée le 17 août 2009). Dossier Arthur Buies [en ligne] Adresse URL: http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Arthur_Buies

Wikipédia. (Page consultée le 17 août 2009). Arthur Buies [en ligne] Adresse URL:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_Buies

MAILHOT, Laurent. (Page consultée le 17 août 2009). Buies, Arthur [en ligne] Adresse URL: http://www.thecanadianencyclopedia.com/fr/article/buies-arthur/

PARMENTIER Francis. (Page consultée le 17 août 2009). Buies, Arthur [en ligne] Adresse URL:

http://www.biographi.ca/fr/bio/buies_arthur_13F.html

Billets reliés:

Arthur Buies – Chroniques du Bas-du-fleuve

La vie d’Arthur Buies (1840-1901) est digne d’un roman. Très tôt, ses parents l’abandonnent pour faire fortune en Guyane, le laissant à ses tantes, seigneuresses de Rimouski. Il est expulsé de plusieurs écoles, vit tour à tour en Guyane, en Irlande, en France puis en Italie, tente à maintes reprises de devenir avocat, pour finalement aboutir dans le journalisme. C’est par ses mots, qui ne ratent pas leur cible, qu’il marquera l’histoire du journalisme au Québec.
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Au cours de sa carrière, Arthur Buies a écrit plusieurs chroniques, dont certaines portant sur ce Bas-du-Fleuve qui a tant marqué sa jeunesse. Ces chroniques sont réunies Les Petites chroniques du Bas-du-Fleuve, livre publié en 2003 par les éditions Trois-Pistoles. C’est Victor-Lévy Beaulieu qui en signe la présentation. Le tout est accompagné de photographies provenant des archives du Musée du Bas-Saint-Laurent.

Arthur Buies écrit ces textes en 1871, 1872 et 1877. La région accueille alors la haute société anglophone durant l’été. Buies évoque avec nostalgie Kamouraska, où il a passé des moments heureux durant ses enfance. Il écorche par contre Cacouna, autre lieu de villégiature : « C’est la mode de s’ennuyer à Cacouna, aussi tout le monde y court’ » (p.36). Il se moque gentiment des Anglaises qui y séjourne: « Il fait déjà assez froid sans aller se geler au contact de ces pâles beautés dont les paroles tombent comme des flocons de neige » (p.39).

Buies fait un portrait élogieux de la ville de Rimouski auquel il prédit un grand avenir. Il jette par contre un regard critique sur les élections de 1872 dans le comté de Rimouski. Il évoque aussi la Pointe à l’orignal (parcelle de terre entre Saint-Denis et Rivière-Ouelle) et Rivière-du-Loup. Il vante le transport par bâteau, qui permet aux villégiateurs de séjourner près du fleuve Saint-Laurent.

Ce livre m’a fait découvrir avec plaisir le style incisif et humoristique d’Arthur Buies. Celui-ci maniait les mots avec brio. Il nous fait découvrir un peu plus l’histoire de la villégiature au Bas-Saint-Laurent ainsi que la société de l’époque.

Petites chroniques du Bas-du-Fleuve. Arthur Buies, 2003, Editions Trois-Pistoles, 170 pages

Pour en savoir plus:
Article Arthur Buies sur Wikipédia

Dossier sur Arthur Buies, Encyclopédie de l’agora

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