La bibliothèque municipale de Montréal était située au 1210 rue Sherbrooke (auj. édifice Gaston-Miron).
LA BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE DE MONTRÉAL
(textes et photos par Eugène Stucker)
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Les Montréalais ont dans leur ville un monde en miniature. Pour y avoir accès, il n’est pas besoin de se déplacer outre mesure; tous peuvent l’atteindre. Il est étalé dans un bel édifice dont les portes s’ouvrent devant tous. C’est gratis pour tous et tous sont reçus avec le sourire. Si l’on y exigeait quelque chose, ce serait sans doute la promesse d’en sortir plus éclairé, plus fort, plus armé pour la vie.
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L’ère des bibliothèques
Vers le milieu du siècle dernier, on constata un progrès général dans tous les domaines à Montréal. Un réveil intellectuel marcha de pair avec l’essor des affaires. On assista alors à la naissance de la première bibliothèque semi-publique, la « bibliothèque paroissiales », connue surtout comme le « cabinet de lecture paroissial ». Cette première bibliothèque pour le grand public fut créée par les MM. de Saint-Sulpice. Elle subsista jusqu’au temps où la « paroisse » se décentralisa. C’est là que l’on vit les mêmes MM. de Saint-Sulpice faire à la population de Montréal, le don de la superbe bibliothèque Saint-Sulpice, don royal qui fut si vite… oublié.
Deux étapes
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Notre Société nationale ne fut pas étrangère à la création de notre institution municipale dont nous sommes si fiers aujourd’hui. C’est en effet la Société Saint-Jean-Baptiste qui offrir l’hospitalité à notre première bibliothèque municipale, en 1902. Pour lui trouver un local plus à la porte du grand nombre, on la transporta à l’Ecole technique, rue Sherbrooke. Enfin elle fut installée définitivement dans ses quartiers permanents actuels; l’inauguration en fut faite le 13 mai 1917 par le maréchal Joffre.
La bibliothèque municipale
Sur tout le parcours de cette belle artère aristocratique qu’est la rue Sherbrooke, il est peu d’édifices qui aient aussi grand style que la bibliothèque de Montréal. La métropole en est justement fière. Sa construction a été confiée à un Canadien français, M. Eugène Payette. Notre excellent compatriote n’était d’ailleurs pas à son premier essai, puisqu’il avait bâti déjà la bibliothèque St-Sulpice. Est-il besoin de dire que l’une et l’autre sont de nos plus belles oeuvres d’arts?
Dans son ensemble, la bibliothèque municipale est de style Renaissance italienne, Les colonnes du péristyle de la façade sont de style corinthien. Ces colonnes sont des monolithes (Composées d’une seule pierre). Elles sont en granit de Stanstead. La colonnade est couronnée d’une balustrade très classique. Cette façade est une évocation des plus belles visions des pays où fleurit la plus pure architecture.
Le hall d’entrée
Une double porte donne accès au grand hall d’entrée. Il occupe toute la profondeur de l’édifice, aussi bien que la hauteur de deux étages. Le revêtement du parquet, des murs et du plafond, ainsi que des colonnes et la frise de la galerie du second étage sont en marbre canadien de Missisquoi.
Au fond du hall se dresse le comptoir massif où le personnel chargé de la distribution reçoit les abonnés de la grande institution. Sur présentation des renseignements trouvés dans les catalogues, chacun est servi avec affabilité et compétence. Sur les murs du hall sont disposés les casiers du catalogue. Au centre de la place se trouve une table massive sur laquelle les clients peuvent poser les tiroirs du catalogue pour faciliter leurs recherches; ils sont censés pourtant de remettre ces tiroirs à leur place.
Grands noms et armoiries
Le plus grand nombre des clients de l’institution sont tellement pressés de plonger les yeux dans leurs livres qu’ils ne s’attardent pas à les lever vers ce que nous appellerions volontiers « le ciel » de la bibliothèque. il en vaut la peine pourtant puisque par lui-même il constitue un livre très éloquent.
Le plafond du hall est sectionné en vingt et un compartiments. Le fond des caissons est constitué par un vitrail représentant des armoiries. Ces armoires sont de trois sortes. Sept d’entre elles représentent les provinces françaises d’où sont venus les premiers colons canadiens: Normandie, Isle-de-France, Poitou, Aunis, Saintonge, Champagne et Bretagne. Sept représentent des personnages historiques: Champlain, Maisonneuve, Mgr de Laval, Frontenac, Marguerite Bourgeoys, Montcalm et Wolfe. Enfin une dernière série représente les sept premières provinces canadiennes: Québec, Ontario, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Ecosse, Ile-du-Prince Edouard, Colombie-Britannique et Manitoba. Ce plafond de vitraux historiques tamise une lumière discrète mais très bonne dans le grand hall. La seule lumière additionnelle qui y entre vient d’une vaste fenêtre près du comptoir.
Les colonnes de marbre qui, de la galerie du second étage, montent au plafond, portent une frise riche d’enseignement. On peut y lire les plus grands noms dans les domaines de la philosophie et des lettres: Homère, Platon, Cicéron, Dante, Shakespeare, Pascal, Molière, Milton, Corneille, Racine, Bossuet, Montesquieu, Goethe, Chateaubriand, Michelet, Macaulay, Victor Hugo, Garneau, Crémazie et Fréchette.
Salles diverses
Les goûts et les besoins de lecture ne sont pas uniformes chez les habitués de la bibliothèque. On a prévu la chose et pour répondre à tous les besoins, on a ouvert quatre salles pour autant de genres de lectures. Au premier étage, il y a, à droite en entrant, la salle des périodiques. On y trouve les journaux et les revues des deux langues, aussi bien de la ville et de la province que des autres provinces et des pays éloignés.Les revues et les journaux reçus ici sont au nombre de quelque quinze cents.
Dans la salle de consultation on peut avoir accès aux meilleurs encyclopédies et dictionnaires français, américains, canadiens, anglais, etc.
Au second étage, on trouve tout d’abord la salle des documents publics. On peut y voir les publications officielles des gouvernements canadiens et même du gouvernement américain: débats, statuts, gazettes, rapports, etc.
Enfin il y a la salle Gagnon, appelée aussi collection Gagnon. On y trouve tous les livres canadiens. C’est l’endroit idéal pour trouver les faits de notre histoire nationale, tout aussi bien que nos incunables, nos livres anciens, des manuscrits précieux, des cartes, des généalogies et des vieux journaux.
Croira-t-on que cette collection Gagnon compte 12,500 pièces? Cela nous amène à dire que dans toute la bibliothèque il y a près de 100,000 volumes.
Salles des enfants

Les joies de la lecture. La Patrie, 18 avril 1943.
Depuis un an une innovation très heureuses a été opérée à la bibliothèque municipale. On y a ouvert une salle spéciale pour les enfants. Ceux-ci doivent être âgés d’au moins sept ans et de pas plus de quinze. Ces jeunes doivent se procurer une carte qui leur coûte la minime somme de cinq sous tous les ans s’ils veulent emprunter des livres chez eux. Ils n’ont rien à verser pour lire dans la salle.
C’est une excellente idée d’inviter les jeunes à venir rencontrer ici leurs amis, les livres. Comme il est vrai qu’on finit par ressembler à ceux que l’on fréquente, il est facile de croire que ce centre est des plus favorables aux enfants, car on a pris soin de ne leur faire rencontrer ici que de bons s »amis ». Puis, venant ici d’abord pour y trouver des lectures joyeuses, ils arriveront par y venir pour des lectures formatrices. Les parents seraient des mieux inspirés de diriger leurs enfants vers ce foyer.
Les bibliothèques sont une nécessité
Est-il possible que les bibliothèques aient des ennemis? Les meilleures causes en ont. On prétend qu’un enseignement livresque n’est pas complet. Nous admettons qu’un enseignement « exclusivement » livresque ne peut être complet, mais nous affirmons également qu’une formation qui veut se passer des livres sera laborieuse et longue.
Que dirait-on d’un homme qui irait visiter une caverne sans se munir de puissants projecteurs? Que penserait-on d’un Canadien qui partirait pour un voyage en Europe, sans déterminer au préalable sur des cartes, les itinéraires à suivre, les lieux à visiter, les hôtels où arrêter, les villégiatures à fréquenter, etc?
Tout voyage, toute exploration, toute étude expérimentale dans un domaine quelconque sera plus rapide, plus profitable et plus agréable après une suffisante préparation dans les livres. Dans les bibliothèques on trouve des renseignements sur tous les domaines. Ces renseignements sont pratiquement indispensables à qui veut apprendre rapidement. Qu’on multiplie ces centres de formation personnelle dans notre province; qu’on porte nos jeunes à en profiter, et on verra bientôt que le niveau intellectuel des nôtres y gagnera, tout comme leur niveau économique. «