Histoire judiciaire: Le docteur L’Indienne, un meurtrier en série? St-Jean-Port-Joli, 1829

La petite histoire du crime au Québec regorge d’affaires célèbres comme celle d’Aurore l’enfant martyre, de la Corriveau, de l’abbé Delorme, Sault-au-Cochon, etc. Mais connaissez-vous le cas du docteur L’Indienne ? Le site internet du Morrin Center de Québec a jardis dressé un portrait (qui n’est plus en ligne) de ce personnage peu rassurant. En voici un extrait:

En 1824 […]Il est condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois avec passage obligatoire au pilori. […] Il s’échappe de prison et s’installe au port de Saint-Jean-Port-Joli.
En 1829, il est reconnu coupable du meurtre de François Guillemet. Il est pendu la même année. Plus de 30 ans après son exécution, la gravité des crimes du Docteur l’Indienne est révélée au grand jour lorsqu’on trouvé 12 squelettes humains brûlés au sous-sol de son ancienne maison.

Il aurait assassiné plus de 13 personnes! Inquiétant personnage… Mais a-t-on affaire ici à une légende ou à un fait divers?

Les faits

François Marois, 1829 (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)

19 août 1829. Saint-Jean-Port-Joli, situé entre Québec et Rivière-du-Loup. Le fleuve Saint-Laurent rejette le cadavre de François-Xavier Guilmet, colporteur. Deux blessures à la tête avivent la suspicion. Un meurtre! Bien vite, on accuse un dénommé François Marois, prétendu docteur de profession, de l’avoir assassiné. Le mois suivant l’accusé subit son procès et est déclaré coupable. Il est pendu en face de l’ancienne prison de Québec (auj. le Morrin College) le 30 septembre 1829.

Quelques années plus tôt, en 1824, François Marois avait été reconnu coupable d’avoir attaqué et sodomisé un homme de Lévis, ce qui lui a valut 12 mois de prison. Il s’est évadé le 15 avril 1825.

Francois Marois devient le Docteur l’Indienne

François Marois et le docteur l’Indienne désignent la même personne, mais les sources prennent du temps à s’accorder sur ce point. Je n’ai pas trouvé de mention du  »docteur l’Indienne » dans les sources contemporaines au drame. Par exemple, dans le Quebec Mercury du 3 octobre 1829 , on mentionne la pendaison de François Marois alias Malouin alias Lafage pour le meurtre de Guillemet.  »Docteur l’Indienne » ne figure pas parmi ces alias.

J. Edmond Roy, dans son Histoire de la Seigneurie de Lauzon (1900), raconte l’histoire d’un certain docteur l’Indienne (p. 213):

Ce malfaiteur légendaire avait la réputation de loger les passants et de les assassiner la nuit pour les voler.

Roy ajoute que son nom véritable était probablement Lanigan ou Lonergan. (p. 213)
P.-G. Roy pose la question suivante, en 1943 (p.102):

Le docteur L’Indienne ne serait-il pas le nommé Marois, de Saint-Jean-Port-Joli?

En 1946, Gérard Ouellet, est formel. Marois est L’Indienne. Dans le livre Ma paroisse, Saint-Jean-Port-Joly, il écrit (p. 119):

Marois porte le surnom de docteur Lindienne (On dit Linguenne et Dinguenne dans la paroisse).

A-t-on affaire ici à deux personnes différentes? On bien un fait divers s’est-il transformé en légende, François Marois devenant ainsi le sinistre docteur L’Indienne? Je penche pour cette deuxième hypothèse. Il est probable que le surnom L’Indienne soit en effet un dérivé de l’un de ses nombreux alias, mais on ne peut expliquer avec certitude le surnom  »docteur l’Indienne ». Maintenant, penchons-nous sur les présumés crimes du dr L’Indienne.

Un meurtrier en série?

Concernant le meurtre de François Guillemet, je vous conseille de lire Le docteur L’Indienne par Michel A. Nadeau. Il y relate le procès de Marois qui, je le rappelle, s’est soldé par une condamnation à la pendaison.

François Marois a plaidé son innocence devant le jury (voir Bulletin des recherches historiques, XLIX, no 5, mai 1943, p.150-157) pour plus tard avouer le jour de son exécution:

Vous savez pourquoi on m’amène ici, je suis coupable du crime dont je suis accusé – je l’avoue- le pauvre Guillemette a péri entre mes mains; si ses parents sont ici, je leur demande pardon, et je vous prie de m’aider par vos prières, car j’ai commis beaucoup de crimes. J’ai commis des crimes bien plus graves que celui pour lequel je vais mourir. Il n’est pas nécessaire de les expliquer plus au long, mon temps est très précieux, vous voyez que je suis ferme, c’est la religion qui me soutient.

(Tiré de la Gazette de québec, 5 oct. 1829 et reproduit dans le Bulletin des recherches historiques, XLIX, no 4, avril 1943, p.97-102 et Noreau p. 142. ).
Certaines sources laissent croire que Marois était un meurtrier en série. Voyons ce qu’elles nous apprennent à ce sujet.

J.Edmond Roy note en 1900, que (p. 213):

L’auberge du Dr. L’Indienne, nous écrit Louis Fréchette, était située au pied de la Côte Bégin, à l’endroit même où se trouve aujourd’hui la maison de M. Thimlaüs, ancien maire de Lévis. Quand on creusa les fondations de celle-ci, on y découvrit une douzaine de squelettes.

P.G Roy écrit (p.102):

Un fait assez troublant vient ici donner un semblant de vérité à la légende. Le docteur L’Indienne habitait une petite maison qui fut plus tard détruite pour faire place à la résidence de M. Timolaüs Beaulieu, ancien maire de Lévis. En creusant pour les fondation de la maison Beaulieu on trouva des ossements humains. Il n’y avait pas eu de cimetière en cet endroit. Le souvenir des vieillards était précis et ils affirmaient que c’était bien là que s’élevait la maison du docteur L’Indienne.

En 1946, Gérard Ouellet affirme que (p.121) :

le docteur Lindienne habitait la maison actuelle de la famille Adolphe Mercier. Cette habitation fut haussée d’un étage par la suite ». Pas de mention de cadavres retrouvé au sous-sol.

L’année de construction de la maison de Timolaüs Beaulieu n’est jamais mentionnée dans les écrits consultés. On donne peu de détails sur la découverte des squelettes, (qui était présent, état de conservation, objets retrouvés, position des squelettes, etc). Si l’on a effectivement retrouvé des squelettes à cet endroit, il peut y avoir plusieurs explications comme l’existence d’un cimetière remontant à une époque lointaine. Il serait intéressant de connaître la date de la présumée découverte de ces squelettes pour pouvoir consulter les registres paroissiaux. L’étape suivante aurait été de transposer ces restes en terre consacrée.

Conclusion

François Marois alias le docteur L’Indienne était-il réellement un meurtrier en série? Difficile d’y répondre. Il est probable qu’il était effectivement coupable du meurtre de François-Xavier Guillemet, mais pour ce qui est des douze autres meurtres qu’on lui attribue, nous manquons de preuves sérieuses. Nous avons probablement affaire ici à un fait divers qui s’est transformé avec les années en légende.

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Oeuvres littéraires inspirées par l’histoire du Docteur l’Indienne

L’Influence d’un livre par Philippe Aubert de Gaspé fils (1837),

Originaux et détraqués par Louis Fréchette (1892)

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Pour les curieux

Pièces du procès de François Marois, en ligne (Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Acte de sépulture de Jean-Baptiste Guillemette

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Bibliographie

Journaux

La Minerve, 1829, 31 août 1829, p.3.

Quebec Mercury, 3 octobre 1829, p. 508 .

Périodiques

 »François Marois alias Malouin alias Lafage », Bulletin des recherches historiques, XLIX, no 4, avril 1943, p.97-102.

 »Le plaidoyer du sieur Marois devant le jury », Bulletin des recherches historiques, XLIX, no 5, mai 1943, p.150-157.

Livres

NOREAU, Michel A. Le docteur L’Indienne, Cap Saint-Ignace, La Plume d’Oie Édition, 162 pages, 2003.

OUELLET, Gérard. Ma paroisse, Saint-Jean-Port-Joli, Québec, Éditions des Piliers, 1946, 351 pages.

ROY, J.-Edmond. Histoire de la Seigneurie de Lauzon, Lévis, Mercier & cie, 5 tomes.

Site internet

Morrin Center. (Page consultée le 20 février 2010) Le Docteur l’Indienne (1770-1829) alias Franois Lafage (Malouin, Marois), [N’est plus en ligne].

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Billets reliés: 

Patrimoine: des prisons qui ont une deuxième vie (première partie)

Les prisons projettent souvent une image négative, mais elles font partie de notre patrimoine. Lorsque ces bâtiments cessent de servir de lieu d’emprisonnement, qu’en fait-on? Voici un billet (premier d’une série de deux) qui présente quelques exemples de reconversion de prisons.

    1. Centre Morrin, Québec

De 1712 à 1808, à l’endroit où s’élève le Centre Morrin, on retrouve la Redoute royale, où l’on garde des prisonniers de guerre. Ensuite, entre 1808 et 1813, on bâti une prison à cet endroit . Elle sera en fonction jusqu’en 1868. Parmi les prisonniers célèbres qui y ont séjourné, on retrouve Philippe Aubert de Gaspé auteur de Les anciens canadiens , le Docteur l’Indienne , un meurtrier en série ainsi que le journaliste Étienne Parent qui a pris part à la révolte des Patriotes. De 1862 à 1902, la prison devient lieu du savoir et fait place au Morrin College. Le nom du centre fait référence au docteur Joseph Morrin. Notez qu’au Morrin College  »les femmes furent diplômées dès 1885, soit 20 ans avant qu’elles puissent être admises à l’Université Laval » (Réf). En 1868, la bibliothèque de la Literary and Historical Society of Québec s’installe en ces lieux.
Le Centre Morrin est aujourd’hui un centre culturel géré par la Literary and Historical Society of Québec. Il accueille le festival celtique de Québec. Dès 2010, on pourra visiter les cellules de l’ancienne prison qui ont été restaurées. On peut visiter la bibliothèque qui contient de nombreux volumes anciens.

    1. La vieille prison de Trois-Rivières

La prison de Trois-Rivières est entrée en fonction en 1822. Elle ferme ses portes 164 ans plus tard, soit en 1986. (Réf). Ses plans sont l’oeuvre de l’architecte François Baillargé.

La vieille prison est maintenant un centre d’interprétation qui recrée la vie des prisonniers des années 1960-1970. On peut voir sur youtube des vidéos qui nous font visiter cet établissement.

Pour en savoir plus, consultez l’article La vieille prison de Trois-Rivières, par Benoît Gauthier, publié dans la revue Cap-aux-diamants, p.31-36, No 98, 2009.

    1. Musée national des Beaux-arts du Québec, pavillon Charles-Baillargé, Québec

Située sur les plaines d’Abraham, les plans de cette prison sont crées par Charles Baillargé. L’inauguration a  lieu en 1867. L’édifice a une fonction carcérale jusqu’en 1970. Ensuite, pendant quelques années, il sert d’auberge jeunesse. En 1991, le bâtiment est intégré au Musée national des Beaux-arts. Des visites guidées sont offertes.

Photographie | Monument à Wolfe et prison en construction, Québec, QC, vers 1875 | MP-0000.1676

Monument à Wolfe et prison en construction, Québec, QC, vers 1875

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Eclectica – jeu en ligne sur l’histoire du 19e siècle et les sociétés savantes

Note 10 mai 2015: ce jeu n’est plus en ligne.

Le Morrin Centre est situé à Québec. Il est géré par la Literary and Historical Society of Québec qui  »s’est donné pour mandat de soutenir la culture anglophone à Québec, la partager avec la population de la ville et encourager les échanges culturels entre toutes les communautés d’expression anglaise et française ». (Réf. http://morrin.org/pages/council.php) C’est dans cet esprit que l’on peut découvrir sur le site de cette société deux expositions virtuelles, Eclectica et la bibliothèque virtuelle. Je commenterai ici plus particulièrement Eclectica (http://morrin.org/eclectica/demof.html ) qui mélange exposition et jeu. Vous êtes accueilli par Barbara Barbeau, conservatrice de la bibliothèque de la Literary and Historical Society of Québec. Votre rôle est de parcourir la bibliothèque et d’amasser des indices en cliquant sur ces objets. Madame Barbeau vous donnera alors plus d’informations sur l’objet et son contexte. Une fois que vous avez cliqué sur un certain nombre d’objets, vous être prêt à descendre au donjon diabolique.

eclectica

Une fois rendu au donjon, vous devez délivrez les prisonniers de madame Barbeau. On vous donne un indice et vous devez taper  sur la tête des personnages jusqu’à ce qu’il ne reste que le personnage correspondant à l’indice donné, sans tomber dans les trous et ce, avant le délai qui vous est imparti.

Le graphisme du jeu est magnifique et saura plaire particulièrement aux jeunes. On apprend beaucoup si on se donne la peine de cliquer sur les objets et de lire les explications de madame Barbeau. On peut découvrir quelques objets de la collection de la Literary and Historical Society of Québec.

Le but du jeu n’est pas clairement présenté dès le départ. Pourquoi visite-t-on le musée? Quel est notre rôle ? Sommes-nous un détective, un visiteur, etc. Pourquoi cliquer sur des objets? La section du donjon est frustrante, il est difficile d’éliminer les personnages dans le temps donné et les indices sont drôlement formulés. Le jeu manque d’instructions. Par exemple, à quoi sert la section périodiques et le Magnum opus  »guide essentiel et érudit des sociétés savantes » dans l’interface?

Heureusement, on peut couper le son de son ordinateur, car la voix de madame Barbeau devient vite énervante. A chaque fois que l’on clique sur une flèche, on entend un klaxon. Quand on clique sur un objet, on entend un bruit de cristal. Ces sons sont ne sont pas agréables pour l’oreille. Aussi, on ne peut pas sauvegarder sa partie.

Ce jeu est bien conçu au niveau visuel, mais il manque d’instructions et son but n’est pas clairement expliqué. Mauvaise incorporation du son dans l’action. La limite de temps dans le donjon devrait être enlevée. Ce site  permet quand même d’en savoir plus sur l’histoire des sociétés savantes.

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