Le 24 juillet 1917 est adoptée la Loi de la conscription. Les veufs ou célibataires de 20 à 35 ans sans enfant devront rejoindre l’armée. La mesure est impopulaire au Québec. Le 28 mars 1918, la police procède à l’arrestation de Joseph Mercier parce qu’il ne peut fournir son certificat d’exemption. Cette arrestation attise la fureur de bien des gens. Dans les jours qui suivent, on assiste à plusieurs manifestations. La manifestation du 1er avril aura une issue tragique. L’armée tire sur la foule: quatre morts (George Demeule, Edouard Tremblay, Honoré Bergeron et Alexandre Bussières) et plusieurs blessés. Voici comment le journal Le Canada a rapporté les évènements.
SCÈNES SANGLANTES
LES SOLDATS DE TORONTO TIRENT SUR LA FOULE ET LES MITRAILLEUSES ENTRENT EN SCENE – TROIS MORTS ET DE NOMBREUX BLESSES DE PART ET D’AUTRES- CENTRE ARRESTATIONS A SAINT-ROCH
JUSQU’ICI LES AUTORITES MILITAIRES ADMETTENT QUE QUATRE SOLDATS SONT GRAVEMENT BLESSES
LES EMEUTIERS DU HAUT DES TOITS LANCENT DES PIERRES ET TIRENT SUR LES REGIMENTS D’INFANTERIE ET DE CAVALERIE
UN HOPITAL CREE D’URGENCE
(Dépêche speciale)
Québec, 1, Notre ville, est, ce soir, le théâtre d’une véritable guérilla. Favorisés par une brume épaisse qui empêche de voir à vingt pieds, les émeutiers ont recommencé leurs terribles exploits avec une violence et une audace qui relèguent dans l’ombre tout ce qui s’est passé jusqu’ici. Plusieurs opérations ont été opérées.
C’est dans les quartiers St-Roch et St-Sauveur que se passent les scènes les plus déplorables dont Québec ait été témoin depuis bien des années.
Sur le Boulevard Langelier et sur cette partie de la rue St-Joseph qui s’étend de cet endroit à l’intersection de la rue St-Vallier, on se bat depuis plusieurs heures, à la baïonette, à coups de carabine et même de mitrailleuse. Plusieurs morts ont été enregistrés et les blessés sont très nombreux, tant chez les militaires que chez les civils.
De bonne heure, dans la soirée, les autorités militaires avaient pris leurs précautions. Des piquets avaient été échelonnés sur les principales places publiques, surtout dans la partie basse de la ville, dans les quartiers mentionnés plus haut.
Plusieurs magasins de quincaillier ont été saccagés, notamment chez Cantin et chez Lajeunesse.
On prétend que les manifestants ont une bonne provision de munitions. Ils ont démontré, ce soir, en tirant à profusion sur les troupes qui ont dû recourir même aux mitrailleuse à plusieurs reprises.
Un brave ouvrier qui revenait paisiblement de son ouvrage a été tué; il a nom Arthur Laperrière et demeurait à St-Sauveur.

Victime: George Desmeule, 15 ans. La Patrie, 3 avril 1918
On rapporte qu’un capitaine commandant un des piquets de la garde militaire a aussi été tué. Ils nous a été impossible de nous procurer son nom. Plusieurs soldats et civils ont été blessés. L’ambulance a été appelée maintes fois. Des alarmes ont été sonnées à divers avertisseurs au cours de la soirée pour des commencements d’incendie que les pompiers ont pu heureusement éteindre sans trop de dommages.
Dans tous les autres quartiers, le calme a régné et, conformément aux exhortations des autorités religieuses, civiles et militaires, on voyait peu de gens dans les rues. Ce qui confirme l’impression que ce sont bien des étrangers qui sont les meneurs de cette bande d’émeutiers, c’est que les actes de violence s’aggravent tous les jours.
Pour qui connait la population de Québec, on sait que les appels judicieux faits au bon sens et à la raison, de la part de toutes les autorités, surtout religieuses, suffiraient pour obtenir le calme et la modération demandées. Il peut bien arriver que des désordres se commettent, mais pas de la gravité de ceux qui ont été enregistrés depuis quelques jours et pas avec une persistance comme celle que l’on constate. Toutes sortes de rumeurs ont circulé au cours de cette sanglante mêlée. On disait que Lavergne avait été arrêté et conduit à la citadelle. La rumeur avait probablement été lancée à dessein par certains meneurs avec l’intention de monter davantage les esprits. Elle a été niée par les autorités. De fait, Lavergne a été rencontré sur la rue, tard, dans la soirée, et il a déclaré n’avoir pas été molesté.
La résidence du Dr Jos. Gosselin, sur la rue St-Valier, à l’intersection de la rue Bagot, a été transpercée de plusieurs balles, de même que par les projectiles des mitrailleuses. Appelé plusieurs fois pour donner des soins aux blessés, vu que le combat se livrait en face de sa résidence, il n’a pas pu sortir sur le seuil même, tant était fournie la fusillade. Avec sa famille, il se réfugia à l’étage supérieur, trop heureux de s’en tirer seulement avec des dommages à sa propriété.
Les troubles se sont continués jusqu’à une heure avancée de la soirée.
Vers minuit, les troupes réussirent à vaincre la résistance des émeutiers et à faire une centaine de prisonniers qui ont été conduits à la citadelle sous bonne escorte.
Nous apprenons, à l’instant même, que la loi martiale va être incessament proclamée. Les autorités ont préparé les plans à cet effet dès ce matin.

Victime: Edouard Tremblay. La Patrie, 3 avril 1918
Le général Lessard entend bien user toutes les ressources dont la loi dispose en ces occasions pour établir dans la vieille capitale l’ordre et la paix. Quelques groupes de manifestants se sont réunis à Limoilou quelques instants après l’arrestation de leurs copains, mais ils ont été dispersés par la police municipale.
Maintenant que le calme est rétabli, on sait que quatre citoyens ont été tués, du nom de Lapierre, Tremblay, Hamel et Trépanier.
LA CAVALERIE CHARGE LES ÉMEUTIERS
Québec, 1er- Tous les citoyens de Québec ont été avertis qu’il était dangereux de sortir dans la rue, ce soir. Tous les journaux ont conseillé à leurs lecteurs de ne pas sortir, et d’empêcher de sortir ceux qui sont sous leur contrôle.
Le »Soleil » disait: »C’est une question vitale. – Des magasins ont été pillés et les gens énervés sont armés de revolvers. Les soldats ont été calmes jusqu’ici, mais personne ne peut garantir qu’ils le seront toujours. Au moment où les autorités croiront devoir employer la force, il est bon que les innocents soient épargnés, et les curieux devraient demeurer chez eux. »
Les autorités militaires ont publié des avis dans les journaux, et ont averti les gens que toute assemblée illégale est défendue et que les personnes coupables sont punissables d’emprisonnement.
Les citoyens ont été avertis de ne pas quitter leurs demeures ce soir. Toute personne requise de prêter main-forte et qui refuse est passible de condamnation comme les émeutiers eux-mêmes. L’avis se termine par l’expression de l’espoir qu’il ne sera pas nécessaire de recourir à des mesures extrêmes, mais l’avis déclare que les autorités militaires sont décidées de faire leur devoir.
Plusieurs citoyens qui ont été menacés comme mouchards ont nié ce fait dans les journaux.

Victime: Honoré Bergeron. 49 ans. La Patrie, 4 avril 1918
Malgré cet avis, les troubles ont repris ce soir; les militaires ont arrêt un homme, et sont à la recherche de plusieurs autres. Bon nombre de suspects ont été mis sous arrêt.
La cavalerie a chargé un groupe d’émeutiers sur la rue St-François, vers le carré Jacques-Cartier et les a obligés à reculer. Cinq arrestations ont été faites.
LES SOLDATS BLESSE [SIC]
Au cours de cette charge, les soldats suivants ont été blessés: Maybe, Toronto, frappé à la tête par une brique; Jack Mentel, Halifax, une balle au-dessus de l’oeil droit; J.L. Pellerin, Guysboro, N.-E., frappé à la tête par une brique; St. George Checkley, Greenwich, Conn., une balle dans la jambe, et Leroy Johnston, Toronto, une balle dans la mâchoire.
LES MITRAILLEUSES ENTRENT EN SCÈNE.
Québec, 1er. – Malgré les avertissements des autorités militaires, les émeutiers se sont rassemblés ce soir, et les soldats ont dû en venir aux prises avec eux. Les soldats qui ont chargé la foule, viennent de Toronto.
Bon nombre de soldats ont été blessés au cours de la bataille, et plusieurs prétendus émeutiers ont été mis sous arrêt.
Pendant la journée, les soldats ne se sont pas montrés dans la rue, mais vers la fin de l’après-midi, ils se sont installés à différents points de la ville. On isola la Haute Ville de St-Roch, par une ligne de troupes.
Quatre cents hommes, du 2ème C.O.R., sous les ordres du major Mitchell étaient stationnés sur le carré Jacques-Cartier.
Un escradons [sic] des Dragons Royaux, sous les ordres du Lieutenant Arnoldi, se tenait prêt, dans les environs.
On s’attendait à ce que Armand Lavergne fit un discours, ce soir, au Carré Jacques-Cartier, mais le chef nationaliste a respecté l’ordre des autorités militaires, défendant les assemblées.
Les troubles commencèrent quelques temps après que les soldats eussent occupé leurs postes. Du haut des maisons, des briques furent jetées sur les soldats, et des coups de revolver retentirent. Aussitôt, les soldats chargèrent sur la foule, et arrêtèrent huit hommes.
Plusieurs hommes tirèrent sur les soldats, et disparurent dans la foule. Un soldat s’en est tiré presque miraculeusement. Il accosta un émeutier qui lui braqua son revolver dans le front, mais malgré les efforts de l’individu, le révolver ne voulut pas fonctionner.
La cavalerie a chargé plusieurs fois, sabre au poing, mais aussitôt qu’elle se retirait, la foule revenait de plus en plus compacte.
A environ cent pieds de la gare du Canadien Pacifique, les soldats furent attaqués à coups de révolvers et de briques, et plusieurs furent blessés. Les soldats reçurent ordre de tirer.
Comme les blessés devenaient nombreux, on ouvrir un hôpital temporaire à l’édifice du Merger, dont les majors Tassé et St-Amand prirent la charge.
Un brouillard s’est abattu sur la ville, et les émeutiers, à la faveur de la nuit se cachent dans les passages de cours et tirent sur les soldats. Ceux-ci ripostent chaque fois. Mais, comme les fusils ne donnent aucun résultat, les mitrailleuses entrent en scène.
Un soldat de Toronto, Leroy Johnston, a reçu une balle à la mâchoire.
A dix heures et demie, les émeutiers ont sonné de fausses alarmes, les soldats se sont rendus sur les lieux et ont découvert le truc.

Victime: Alexandre Bussières. La Patrie, 6 avril 1918
Les jeunes gens arrêtés ont donné les noms et les adressent [sic] suivantes:
Albert Bérubé, 339 Aragon; Joseph Mate, 4 Ste-Thérese; Adolphe Bernier, Chemin Ste-Foye; Irenée Harboin, 106 Morin; J. J. Giguère, 56 Châteauguay; Joseph Lachance, 3 Dargenson; Emile Boisbriant, 11 Dupont.
Tous déclarent n’avoir pris aucune part à l’émeute.
Les prisonniers ont été reconduits aux quartiers généraux par un régiment du Nouveau-Brunswick. Sur son parcours, ce régiment a été attaqué, mais aucun soldat n’a été gravement blessé.
Aucune liste officielle des morts et des blessés n’a été publiée, et il est probable que le nombre en soit plus considérable qu’on ne le croit.
TROIS MORTS
Arthur Laperrière a été frappé en plein coeur et est mort instantanément. Le coup a été tiré par un militaire. Laperrière n’avait rien à faire avec l’émeute, et retournait chez lui après son travail.
Chassés du carré Jacques-Cartier, les émeutiers se sont reformés à quelques deux cents pieds dans la rue de la Couronne, et ont attaqué une ambulance qui transportait un soldat blessé.
Sur la rue Masson, le magasin de quincaillerie Lajeunesse a été pilé.
Les émeutiers et les soldats continuent d’échanger des coups de feu, et le brouillard facilite la fuite des émeutiers après qu’ils ont tiré. Deux civils ont été blessés.
Un peu plus tard, les émeutiers ont pénétré dans l’épicerie Cantin, sur la rue Dorchester, et se sont emparé de bouteilles de liqueurs.
A St-Roch, la bataille a été dure: trois civils et cinq soldats ont été blesséés et cent hommes ont été arrêtés.
La bataille a duré huit heuures et demie jusqu’à une heure après minuit, et les émeutiers ont tiré du revolver sur les troupes. Les militaires qui ont tiré sur les perturbateurs avec une mitrailleuse ont eu des difficultéés à localiser les émeutiers à cause du brouillard.
A minuit, un nommé Georges Hamel, sur la rue de la Couronne a été tué, et Valère Létourneau, de St-Sauveur, a été blessé.
La police a été informée qu’un nommé Trépanier a été tué, après le pillage du magasin Lajeunesse, et un autre, A. Tremblay, avait été blessé.
La milice a fermé la salle de jeu Frontenac, et 75 jeunes gens ont été mis sous arrêt.