Comment déranger les députés [Québec, 12 février 1836]

Le 12 février 1836, un journaliste de mauvaise humeur, Philippe-Ignace-François Aubert de Gaspé,  décida de perturber quelque peu les débats parlementaires. Il avait eu quelques semaines auparavant une altercation avec le député de Yamaska, le Dr Edmund Bailey O’Callaghan. Cela lui avait valu un séjour d’un mois en prison.

Aubert de Gaspé est par la suite revenu à Québec, voulant se venger de l’affront qu’on lui avait fait. Il décida donc de perturber les débats en utilisant une méthode… très odorante.

Il se rendit une première fois au parlement (avec un complice?), pris l’échelle, monta et tenta de projeter à l’intérieur une bouteille contenant de l’asa foetida. Il réussit à casser les deux premières vitres d’une triple vitre, mais la bouteille demeura entre la deuxième et la troisième vitre où on l’a trouva le matin suivant.

In the course of last night, some evil disposed person or persons, attempted to throw a pint bottle of assafoetida, through one of the windows of the Sitting Hall of the Assembly, so that it might fall upon the stove. The ladder, used for lighting the lamps, at the door of the building,  was taken to enable the perpetrator to reach the windows, and his knowledge of the locale appeared to be perfect, as the panes he broke were directly above one of the stoves, but he had not calculated upon the resistance of tripple windows, for having fractured two panes of glasse, the third resisted the bottle, which fell, broken, between the inner and the center ??shes, where it was found this morning by the Messengers. The perpetrators, probably were alarmed, as they absconded without effecting their purpose; had a few drops of the liquid fallen upon the stove, the effluvia would have prevented the Hall from being used for weeks. As it is, this wanton infraction of the privileges of Parliament, has been attended with no more serious consequences than the fraction of two panes of glass, which have been already replaced. Source. Quebec Mercury, 11 février 1836.

Pourquoi une bouteille d’asa foetida? Parce que cette charmante plante dégage une odeur d’oeufs pourris.

N’ayant pas eu l’effet escompté, Aubert de Gaspé fit une deuxième tentative deux jours plus tard, avec le journaliste de l’Ami du Peuple, Napoléon Aubin, le 12 février. L’important, c’est de persévérer, à ce qu’il parait. On distribua l’asa foetida dans le parlement.

The mischeivous attempt of stifling the members of the Assembly out of their Hall, was again attempted last night and we are sorry to say with more success than on the former occasion, as assafoetida was sprinkled in different parts of the House. The person, we learn, has been seen and discovered, and the matter will be before the House this evening. The fellow, be he whom he may, who could be guilty of so low an annoyance, deserved to be visited with as severe a punishment as the House can inflict. Source. Quebec Mercury, 13 février 1836.

D’autres sources mentionnent que l’asa foetidia a plutôt été mis dans le poêle.

Malheureusement pour Aubert de Gaspé, cette fois-ci, un témoin le dénonça.

Pour éviter la prison, Aubert de Gaspé fuit alors au manoir de son père, Philippe-Joseph Aubert de Gaspé, à St-Jean-Port-Joli.  Il en profita pour rédiger L’influence d’un livre, le premier roman de notre littérature. Il partit ensuite pour Halifax, où il décéda le 7 septembre 1841.

Aubert de Gaspé a quand même réussi à emmerder joliment les députés, cette fois-là…

Bibliographie

Assemblée nationale du Québec [en ligne] Chronologie parlementaire depuis 1791 (1835-1836) [Page consultée le 5 février 2012] Adresse URL

Daniel Perron. « Gaspé fils, romancier et journaliste en Louisiane» Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 68, 2002, p. 55

David M. Hayne.  «Philippe-Ignace-François Aubert de Gaspé» L’Encyclopédie canadienne, Adresse URL

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Ce n’est pas tout le monde qui apprécie le tramway (Québec, 2 octobre 1865)

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La petite histoire du crime: la bande à Chambers (Québec et sa région 1831-1835) Première partie

La légende de la montagne à Fournier (Matapédia, 6 juin 1831)

Extrait de la Complainte de Fournier

Jeunes gens, vous croyez peut-être

Que la mort est éloignée;

Comme vous, je croyais être 

Sur la terre, bien des années.

Trompé comme beaucoup d’autres,

Croyant toujours me sauver

Vous apprendrez par les autres

Que je viens de me noyer.

Source: Notes historiques sur la Vallée de la Matapédia par Joseph-Désiré Michaud, 1922, p. 50.

Le chemin Kempt et Frédéric Fournier

Coucher de soleil sur la rivière Matapédia, face au terrain de camping d’Amqui © Jean-Paul Quimper, Le monde en images, CCDMD.

La Complainte de Fournier est inspirée d’un événement tragique, survenu il y a bien longtemps, dans la région de la Matapédia. Le Fournier de la complainte s’appelait Frédéric Fournier. Il était un arpenteur âgé de 22 ans, natif de Saint-Jean-Port-Joli. Il était l’une des personnes chargées de planifier le tracé du chemin Kempt et d’en surveiller la construction. On avait entrepris les travaux l’année précédente. Il était prévu en 1831 de continuer le tronçon partant du Lac Matapédia jusqu’à Ristigouche.

Fin mai 1831, Frédéric Fournier et ses compagnons de voyage se rendirent au Lac Matapédia. Des Micmacs devaient les approvisionner en vivres. Or, on les attendit en vain. Devant impérativement se rendre à Restigouche, les hommes construisirent un radeau pour traverser le lac et la rivière Matapédia.

Tout alla bien jusqu’au «Ruisseau sauvage», qui coule à mi-distance à peu près, entre Amqui et Lac-Au-Saumon. Mais à cet endroit, le cours de la rivière est très rapide, surtout dans les grandes eaux du printemps. Les liens qui retenaient les pièces du radeau construit à la hâte durent se rompre, ou bien l’embarcation elle-même chavira dans les rapides. Toujours est-il que les quatre malheureux plongèrent dans les flots. Trois d’entre eux furent assez heureux pour se cramponner aux branches du rivage et se sauver de la mort.

Source: Joseph-Désiré Michaud Notes historiques sur la Vallée de la Matapédia, p. 49

Et le quatrième passager du radeau, Frédéric Fournier, fut emporté par les flots. C’était le 6 juin 1831.

Fournier retrouvé

Quelques mois plus tard, des Amérindiens trouvèrent le cadavre de Frédéric Fournier dans la rivière Matapédia, près d’une montagne. Il portait une bague avec les inscriptions F. F. ce qui permit de l’identifier. Ne pouvant lui enlever cette bague, on lui aurait coupé la main que l’on l’aurait amenée au curé de Rimouski, Thomas-Ferruce Picquart dit Destroismaisons. En attendant que la famille du défunt vienne réclamer sa dépouille, on enterra Fournier près de l’endroit où on l’avait découvert.

Or, la famille Fournier ne réussit pas à rapatrier le corps à Saint-Jean-Port-Joli. Ce qui donna lieu à une légende peut-être vraie, qui sait?.

Quelques années plus tard, quand la route du chemin Kempt fut terminée, les parents du jeune arpenteur seraient venus exhumer son corps de sa première sépulture et auraient tenté de la transporter dans le cimetière de sa paroisse natale. Le cadavre retiré de sa fosse, fut placé dans une voiture attelée de deux chevaux. Quand il fut temps de partir, on commande les bêtes, mais elles refusèrent d’obéir. On eut beau les fouetter, les fouetter encore, elles ne voulurent pas avancer d’un seul pas… On comprit, dit la légende, que la montagne à Fournier avait adopté le pauvre jeune homme et qu’elle ne voulait plus le laisser aller… On tenta cependant une autre expérience. Le cadavre fut placé dans un canot conduit par deux Indiens, qui essayèrent de remonter le cours de la rivière Matapédia. Mais les deux Indiens eurent beau faire ployer leurs avirons sous le poids de leur corps, le canot refusa d’avancer… On n’insista pas davantage et l’on remit le cadavre dans la fosse.

Source: Joseph-Désiré Michaud Notes historiques sur la Vallée de la Matapédia, p. 54

La montagne près d’où repose Frédéric Fournier fut donc appelée la Montagne à Fournier pour commémorer son souvenir.

On dit aussi qu’en 1864, un des frères de Fournier aurait voulu ramener la dépouille, mais comme il ne restait que quelques ossements, on aurait décidé de le laisser sur place et d’ériger un enclos et une croix pour marquer l’endroit. On y trouve de nos jours une croix et une plaque récente (voir la photo à la fin de l’article suivant) où il est inscrit

Ci-gît Frédéric Fournier
arpenteur et lieutenant, (D. Z. M.?)
Noyé le 6 juin  1831
âgé de 22 ans

La légende et la complainte

Cet événement tragique a donné lieu à la légende de la Montagne à Fournier dont vous pouvez lire une version ici (sélectionnez légendes, puis La montagne à Fournier).

Autre version de la légende de la montagne à Fournier , écrite par Ernest Bilodeau et publiée dans Un Canadien errant, édition de 1915.

Texte complet de la Complainte à Fournier.

Bibliographie
La légende de la montagne à Fournier.  [Page consultée  le 5 septembre 2011] Adresse URL

Municipalité de Ristigouche Sud-Est. [n’est plus en ligne] Histoire du Chemin Kempt [Page consultée  le 5 septembre 2011]

Pierre-Georges Roy, Les petites choses de notre histoire. Septième série, Lévis: [s.n.], 1919, 301 pages. Adresse URL: http://www.ourroots.ca/f/page.aspx?id=691808

Joseph-Désiré Michaud,  Notes historiques sur la Vallée de la Matapédia, Val-Brillant, Québec: La Voix du Lac, 1922, 241 pages. Adresse URL:  http://www.ourroots.ca/f/page.aspx?id=4035338

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Patrimoine: Le manoir Aubert de Gaspé à Saint-Jean-Port-Joli

Photographie | Philippe Aubert de Gaspé, vers 1865 | MP-0000.1163.14

Philippe Aubert de Gaspé vers 1865. Il décrit dans Les Anciens Canadiens la splendeur du manoir de jadis.

En 1677, Noël Langlois Traversy (1651-1693) devient le premier seigneur de Port-Joly.

Lui succèdent:

1686-1709 Charles Aubert de la Chesnaye.

1709-1731 Pierre Aubert de Gaspé, fils du précédent.

1731-1753 Madelaine Angélique Le Gardeur de Tilly, veuve du précédent.

1753-1787 Ignace Philippe Aubert de Gaspé, fils des deux seigneurs précédents.

1787-1789 Marie-Anne Coulon de Villiers, veuve du précédent.

1789-1823 Pierre-Ignace Aubert de Gaspé, fils de Marie-Anne et d’Ignace Philippe

1823-1842 Catherine Tarieu de Lanaudière, veuve du précédent.

1842-1871 Philippe Aubert de Gaspé, fils de Catherine et de Pierre-Ignace. Le régime seigneurial est aboli en 1854.

Vers 1730-1740, un premier manoir est construit dans la seigneurie. Il aurait été brûlé par les Anglais. Un second manoir est érigé vers 1763.

Le manoir ressemblait à ceci:

Le manoir Aubert-de-Gaspé reposait sur un solide solage de pierres au ras du sol et ne comportait pas de cave. Le carré était de pièces sur pièces assemblées à queue-d’aronde ou à coulisse selon la manière de construire au XVIIIe siècle. La charpente du toit, à comble raide, devait être de type croix de Saint-André, tel qu’il en existe encore quelques spécimens dans la région immédiate. Le bâtiment était recouvert de planches posées à la verticale et la toiture, percée de lucarnes, était recouverte de bardeaux de cèdre. La porte centrale était flanquée de nombreuses fenêtres disposées avec symétrie, ce qui, avec les deux ailes, conférait à l’édifice l’allure classique d’une gentilhommière d’esprit français.

Réf. http://www.memoirevivante.org/historique.html

Au décès de Philippe Aubert de Gaspé, Moïse Leclerc achète le domaine qui restera dans la famille Leclerc pendant plus d’un siècle.

Le 30 avril 1909, le manoir est détruit dans un incendie. Une maison est construite sur le site.

(Audio) Témoignage relatant l’incendie du manoir de Gaspé en 1909 (descendez jusqu’au quatrième témoignage de cette page) http://www.memoirevivante.org/temoignages.html

Saint-Jean-Port-Joli - Manoir de Gaspé par E. Mercier Cacouna v. 1890 Source: BANQ

Saint-Jean-Port-Joli – Manoir de Gaspé par E. Mercier Cacouna v. 1890 Source: BANQ

La Corporation Philippe-Aubert-de-Gaspé est fondée en 1987 pour faire revivre le manoir. Des fouilles archéologiques sont effectuées.

En 2006, le site Philippe-Aubert-de-Gaspé obtient le statut de site patrimonial. On y retrouve alors une fournil, un caveau à légumes,  ainsi qu’un belvédère. Des fouilles archéologiques ont été effectuées sur ce site.

Le manoir est reconstruit en 2007. Il héberge maintenant le musée de Mémoire vivante.http://www.memoirevivante.org/

Bibliographie

André Chouinard. Cahiers d’histoire, no 21, Le Manoir Aubert de Gaspé, son histoire, son architecture. Société historique de la Côte-du-Sud, La Pocatière, 1986.

Musée de la Mémoire Vivante [en ligne]Historique [Page consultée le 14 septembre 2010] Adresse URL: http://www.memoirevivante.org/historique.html

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Histoire judiciaire: Le docteur L’Indienne, un meurtrier en série? St-Jean-Port-Joli, 1829

Photographies: Le Québec à l’été 1950 par Lida Moser

En 1950, le magazine Vogue commande à la photographe américaine Lida Moser (1920- ) une série de photos sur le Canada. Suite à sa rencontre avec Paul Gouin, conseiller culturel du premier ministre Duplessis, elle décide de parcourir le Québec. Elle sera accompagnée de trois guides : le folkloriste Luc Lacourcière, Paul Gouin et l’abbé Félix-Antoine Savard (auteur de Menaud maitre-draveur).

Pendant deux mois, ils sillonnent Québec, Charlevoix, Chaudière-Appalaches, la Gaspésie ainsi que le Bas-Saint-Laurent. De cette expédition subsiste plusieurs centaines de photos, que l’on peut voir en ligne sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (tapez Lida Moser).

Il s’agit d’un beau voyage en images où l’on aperçoit Québec (Vieux-Québec, Saint-Jean-Baptiste et Montcalm), Saint-Joseph-de-la-rive, Ile-aux-Coudres, Les Eboulements, Pointe-au-Pic, fleuve Saint-Laurent, la Malbaie, Saint-Siméon, Bic, vallée de la Matapédia, réserve indienne de Maria, Port-Daniel, Newport , Percé, Grande-Vallée, Rivière-au-Renard, Saint-Majorique, Trois-Pistoles, Saint-André, Saint-Jean-Port-Joli, Ile d’Orléans, L’Islet et Beaumont telles qu’elles étaient en 1950.

Les thèmes représentés sont multiples: les travaux de la ferme, les habitants de la ville et de la campagne, l’architecture, l’intérieur des maisons, les objets de la vie de tous les jours, les rues du Vieux-Québec, les enfants, la préparation et le transport du bois (pitoune), la pêche, les artisans (sculpture), empreinte du catholicisme sur la société de l’époque (sculpture d’ange), les églises, etc.

Adresse: http://pistard.banq.qc.ca/unite_chercheurs/recherche_simple Entrez  »Lida Moser » et cochez Documents numérisés puis appuyez sur Rechercher

Bibliographie

MOSER, Lida et Roch CARRIER. Québec à l’été 1950. Libre Expression, 1982, 198 pages

Fraser Gallery [n’est plus en ligne]Lida Moser [Page consultée le 15 mai 2010)

Bibliothèque et Archives nationales du Québec [en ligne] Fonds Lida Moser. [Page consultée le 19 mai 2010) Adresse URL

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Histoire judiciaire: Le docteur L’Indienne, un meurtrier en série? St-Jean-Port-Joli, 1829

La petite histoire du crime au Québec regorge d’affaires célèbres comme celle d’Aurore l’enfant martyre, de la Corriveau, de l’abbé Delorme, Sault-au-Cochon, etc. Mais connaissez-vous le cas du docteur L’Indienne ? Le site internet du Morrin Center de Québec a jardis dressé un portrait (qui n’est plus en ligne) de ce personnage peu rassurant. En voici un extrait:

En 1824 […]Il est condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois avec passage obligatoire au pilori. […] Il s’échappe de prison et s’installe au port de Saint-Jean-Port-Joli.
En 1829, il est reconnu coupable du meurtre de François Guillemet. Il est pendu la même année. Plus de 30 ans après son exécution, la gravité des crimes du Docteur l’Indienne est révélée au grand jour lorsqu’on trouvé 12 squelettes humains brûlés au sous-sol de son ancienne maison.

Il aurait assassiné plus de 13 personnes! Inquiétant personnage… Mais a-t-on affaire ici à une légende ou à un fait divers?

Les faits

François Marois, 1829 (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)

19 août 1829. Saint-Jean-Port-Joli, situé entre Québec et Rivière-du-Loup. Le fleuve Saint-Laurent rejette le cadavre de François-Xavier Guilmet, colporteur. Deux blessures à la tête avivent la suspicion. Un meurtre! Bien vite, on accuse un dénommé François Marois, prétendu docteur de profession, de l’avoir assassiné. Le mois suivant l’accusé subit son procès et est déclaré coupable. Il est pendu en face de l’ancienne prison de Québec (auj. le Morrin College) le 30 septembre 1829.

Quelques années plus tôt, en 1824, François Marois avait été reconnu coupable d’avoir attaqué et sodomisé un homme de Lévis, ce qui lui a valut 12 mois de prison. Il s’est évadé le 15 avril 1825.

Francois Marois devient le Docteur l’Indienne

François Marois et le docteur l’Indienne désignent la même personne, mais les sources prennent du temps à s’accorder sur ce point. Je n’ai pas trouvé de mention du  »docteur l’Indienne » dans les sources contemporaines au drame. Par exemple, dans le Quebec Mercury du 3 octobre 1829 , on mentionne la pendaison de François Marois alias Malouin alias Lafage pour le meurtre de Guillemet.  »Docteur l’Indienne » ne figure pas parmi ces alias.

J. Edmond Roy, dans son Histoire de la Seigneurie de Lauzon (1900), raconte l’histoire d’un certain docteur l’Indienne (p. 213):

Ce malfaiteur légendaire avait la réputation de loger les passants et de les assassiner la nuit pour les voler.

Roy ajoute que son nom véritable était probablement Lanigan ou Lonergan. (p. 213)
P.-G. Roy pose la question suivante, en 1943 (p.102):

Le docteur L’Indienne ne serait-il pas le nommé Marois, de Saint-Jean-Port-Joli?

En 1946, Gérard Ouellet, est formel. Marois est L’Indienne. Dans le livre Ma paroisse, Saint-Jean-Port-Joly, il écrit (p. 119):

Marois porte le surnom de docteur Lindienne (On dit Linguenne et Dinguenne dans la paroisse).

A-t-on affaire ici à deux personnes différentes? On bien un fait divers s’est-il transformé en légende, François Marois devenant ainsi le sinistre docteur L’Indienne? Je penche pour cette deuxième hypothèse. Il est probable que le surnom L’Indienne soit en effet un dérivé de l’un de ses nombreux alias, mais on ne peut expliquer avec certitude le surnom  »docteur l’Indienne ». Maintenant, penchons-nous sur les présumés crimes du dr L’Indienne.

Un meurtrier en série?

Concernant le meurtre de François Guillemet, je vous conseille de lire Le docteur L’Indienne par Michel A. Nadeau. Il y relate le procès de Marois qui, je le rappelle, s’est soldé par une condamnation à la pendaison.

François Marois a plaidé son innocence devant le jury (voir Bulletin des recherches historiques, XLIX, no 5, mai 1943, p.150-157) pour plus tard avouer le jour de son exécution:

Vous savez pourquoi on m’amène ici, je suis coupable du crime dont je suis accusé – je l’avoue- le pauvre Guillemette a péri entre mes mains; si ses parents sont ici, je leur demande pardon, et je vous prie de m’aider par vos prières, car j’ai commis beaucoup de crimes. J’ai commis des crimes bien plus graves que celui pour lequel je vais mourir. Il n’est pas nécessaire de les expliquer plus au long, mon temps est très précieux, vous voyez que je suis ferme, c’est la religion qui me soutient.

(Tiré de la Gazette de québec, 5 oct. 1829 et reproduit dans le Bulletin des recherches historiques, XLIX, no 4, avril 1943, p.97-102 et Noreau p. 142. ).
Certaines sources laissent croire que Marois était un meurtrier en série. Voyons ce qu’elles nous apprennent à ce sujet.

J.Edmond Roy note en 1900, que (p. 213):

L’auberge du Dr. L’Indienne, nous écrit Louis Fréchette, était située au pied de la Côte Bégin, à l’endroit même où se trouve aujourd’hui la maison de M. Thimlaüs, ancien maire de Lévis. Quand on creusa les fondations de celle-ci, on y découvrit une douzaine de squelettes.

P.G Roy écrit (p.102):

Un fait assez troublant vient ici donner un semblant de vérité à la légende. Le docteur L’Indienne habitait une petite maison qui fut plus tard détruite pour faire place à la résidence de M. Timolaüs Beaulieu, ancien maire de Lévis. En creusant pour les fondation de la maison Beaulieu on trouva des ossements humains. Il n’y avait pas eu de cimetière en cet endroit. Le souvenir des vieillards était précis et ils affirmaient que c’était bien là que s’élevait la maison du docteur L’Indienne.

En 1946, Gérard Ouellet affirme que (p.121) :

le docteur Lindienne habitait la maison actuelle de la famille Adolphe Mercier. Cette habitation fut haussée d’un étage par la suite ». Pas de mention de cadavres retrouvé au sous-sol.

L’année de construction de la maison de Timolaüs Beaulieu n’est jamais mentionnée dans les écrits consultés. On donne peu de détails sur la découverte des squelettes, (qui était présent, état de conservation, objets retrouvés, position des squelettes, etc). Si l’on a effectivement retrouvé des squelettes à cet endroit, il peut y avoir plusieurs explications comme l’existence d’un cimetière remontant à une époque lointaine. Il serait intéressant de connaître la date de la présumée découverte de ces squelettes pour pouvoir consulter les registres paroissiaux. L’étape suivante aurait été de transposer ces restes en terre consacrée.

Conclusion

François Marois alias le docteur L’Indienne était-il réellement un meurtrier en série? Difficile d’y répondre. Il est probable qu’il était effectivement coupable du meurtre de François-Xavier Guillemet, mais pour ce qui est des douze autres meurtres qu’on lui attribue, nous manquons de preuves sérieuses. Nous avons probablement affaire ici à un fait divers qui s’est transformé avec les années en légende.

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Oeuvres littéraires inspirées par l’histoire du Docteur l’Indienne

L’Influence d’un livre par Philippe Aubert de Gaspé fils (1837),

Originaux et détraqués par Louis Fréchette (1892)

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Pour les curieux

Pièces du procès de François Marois, en ligne (Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Acte de sépulture de Jean-Baptiste Guillemette

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Bibliographie

Journaux

La Minerve, 1829, 31 août 1829, p.3.

Quebec Mercury, 3 octobre 1829, p. 508 .

Périodiques

 »François Marois alias Malouin alias Lafage », Bulletin des recherches historiques, XLIX, no 4, avril 1943, p.97-102.

 »Le plaidoyer du sieur Marois devant le jury », Bulletin des recherches historiques, XLIX, no 5, mai 1943, p.150-157.

Livres

NOREAU, Michel A. Le docteur L’Indienne, Cap Saint-Ignace, La Plume d’Oie Édition, 162 pages, 2003.

OUELLET, Gérard. Ma paroisse, Saint-Jean-Port-Joli, Québec, Éditions des Piliers, 1946, 351 pages.

ROY, J.-Edmond. Histoire de la Seigneurie de Lauzon, Lévis, Mercier & cie, 5 tomes.

Site internet

Morrin Center. (Page consultée le 20 février 2010) Le Docteur l’Indienne (1770-1829) alias Franois Lafage (Malouin, Marois), [N’est plus en ligne].

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Les moulins à eau du Québec: un patrimoine à découvrir

Moulin à vent, moulin banal, moulin à farine, moulin à eau, que de types de moulins… Le Québec possède plusieurs moulins ancestraux, dont certains remontent au 18e siècle.

moulins_eau

Dans le livre Les moulins à eau du Québec Du temps des seigneurs au temps d’aujourd’hui, il est question des moulins à eau. Ce livre est une version actualisée de l’ouvrage paru en 1978 sous le titre Les moulins à eau de la vallée du Saint-Laurent. Dans Les moulins à eau du Québec, édition de 2009, vous trouverez de superbes photos de Claude Bouchard ainsi que des textes signés Francine Adam.

Ce livre nous fait voyager sur les deux rives du Saint-Laurent: de Grondines, Deschambault, Pont-Rouge, Château-Richer, Baie-Saint-Paul, Les Éboulements à l’Isle-aux-Coudres, Gentilly, Lotbinière, Beaumont, Saint-Vallier, Saint-Raphaël, Cap-Saint-Ignace, Saint-Jean-Port-Joli, Kamouraska, Saint-Roch-des-Aulnaies et bien plus…

L’auteure nous présente l’histoire de ces moulins: le contexte de construction, la géographie des lieux, les propriétaires, les travaux de restauration, les abandons, les changements de vocations, etc. Les sources utilisées sont nombreuses: photographies, contrats passés devant notaires, recensements,etc.

Concernant les changements de vocations, on constate que peu de moulins ont conservé leur usage premier. Certains sont devenus des résidences privées, des centres d’interprétation, des ateliers, des salles d’expositions et même des bureaux d’affaires…

Quelques moulins présentés dans cet ouvrage sont dans un piteux état, comme le moulin César, de Baie-Saint-Paul, dont le toit s’est affaisé en 2008. Le climat, le manque d’entretien, l’absence de relève (métiers traditionnels) et d’action gouvernementale ainsi que le manque d’implication de la population expliquent pourquoi certains moulins sont à l’abandon. Et force est de constater que ce n’est pas parce qu’un moulin devient monument historique que sa préservation est chose garantie.

Le livre Les moulins à eau du Québec rend hommage à la ténacité et à la persévérance de ces gens qui ont restauré et sauvé des moulins à eau du Québec. Une grande place est laissé à ces gens ainsi qu’aux témoins des belles années de ces moulins. Jean-François Racine et Suzy Lévesque (moulin du ruisseau Michel à Baie-Saint-Paul), Francine Lemay (moulin du Portage de Leclerville) et Mariette Cheney (moulin seigneurial de Tonnancour) sont des exemples à suivre.

Une carte géographique est placée au début de chaque chapitre. Chaque partie du livre débute par une présentation de la région en vedette, en l’occurrence la rive nord du Saint-Laurent, Charlevoix et la Côte-du-Sud.

La photographie qui orne l’ouvrage est tout simplement superbe. Il s’agit du moulin de la chute à Maillou à Beaumont.

Quelques fois, on tombe sur un livre qui nous remue, qui nous interpelle. Les moulins à eau du Québec Du temps des seigneurs au temps d’aujourd’hui de Francine Adam fait partie de cette catégorie. Je m’attendais à un exposé classique sur les moulins. J’y ai trouvé bien plus. Un appel à conserver et à aimer notre patrimoine bâti.

Francine Adam. Les moulins à eau du Québec Du temps des seigneurs au temps d’aujourd’hui. Éditions de l’Homme, 2009, 192 pages

Complément:

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Musée de la mémoire vivante de Saint-Jean-Port-Joli

Le site internet du Musée de la mémoire vivante de Saint-Jean-Port-Joli s’est refait une beauté! Ce musée met de l’avant les récits des aînés de notre société qui partagent des parcelles de leurs vécus. musee_memoirevivanteVous pouvez entendre quelques témoignages sur le site internet, dont celui d’une dame qui a été témoin de l’incendie du Manoir de Gaspé en 1909.

Le site internet du musée présente aussi le site historique du manoir seigneurial de Saint-Jean-Port-Joli où a vécu Philippe Aubert de Gaspé, parce que le musée est situé sur ce site.

Adresse internet: http://www.memoirevivante.org/

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Quand les amoureux défient l’église: Les Exilés de l’anse à Mouille-Cul (Saint-Jean-Port-Joli 1774)

exiles_chouinard3En 1774, à Saint-Jean-Port-Joli, Laurent Chouinard tente d’épouser une jeune veuve, Claire Gagnon. Or, le curé refuse, pour d’obscures raisons, de les marier. Et bien, les deux jeunes gens décident de braver le clergé et s’unissent dans une cérémonie profane. Le scandale éclate! C’est l’excommunication (et l’enfer) qui les attend! C’est le début d’une longue aventure pour ce couple qui tentera à plusieurs reprises de voir son union bénie par l’Église.

C’est cette belle histoire d’amour qui est révélée par les archives et qui est racontée dans le livre Les Exilés de l’anse à Mouille-cul, L’étonnante histoire de Laurent Chouinard et Claire Gagnon de Gaston Deschênes.

Ce livre se lit d’un trait. Il suscite plusieurs questions: pourquoi l’Église a-t-elle refusé de bénir l’union de Claire Gagnon et de Laurent Chouinard? Quand Laurent Chouinard est-il décédé? De beaux sujets de recherche…

Les Exilés de l’anse à Mouille-cul, L’étonnante histoire de Laurent Chouinard et Claire Gagnon. Gaston Deschênes, Septentrion, 2006, 120 pages.

Page dans le catalogue de Septentrion http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/livre.asp?id=2532

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