
Mme Sarah Bernhardt dans « Une nuit de Noël sous la terreur » à Londres, Mr Lou Tellegen dans le comte de Kersaint, Agence Rol. 1912. Source: Gallica
par Vicky Lapointe
Le 4 et le 5 décembre 1905 à l’Auditorium (aujourd’hui le Capitole) de Québec, la divine Sarah Bernhardt, grande actrice française, se produisait pour la première – et dernière- fois dans cette ville. Un événement mémorable.
Le clergé n’aimait pas le programme et la vedette à l’affiche. Allaient être joués La dame aux camélias (le 4 décembre), Angelo, tyran de Padoue et Adrienne Lecouvreur (le 5 décembre).
Mgr Paul Bruchesi, archevêque de Montréal, avait même demandé aux gens de ne pas assister au spectacle de Sarah Bernhardt.
«…Nous supplions donc nos pieuses familles, si attachées encore au devoir et à la vertu, d’être sur leurs gardes, de s’abstenir de ce qu’elles sauront être pour elles une occasion de faute, et de préférer à tout l’honneur de leur foyer et le salut de l’âme de leurs enfants.» (réf.)
Heureusement, plusieurs ne l’ont pas écouté. Le correspondant du Quebec Mercury a, quant à lui, a bien aimé la représentation du 4 décembre.
Le 5 décembre, dame Bernhardt avait pensé à ses »amis » du clergé. Une version remaniée d’Adrienne Lecouvreur fut présentée, une version contenant des éléments anti-cléricaux.
Il y eu parmi le public des éléments hostiles à Sarah Bernhardt, car à leurs yeux, elle insultait le catholicisme par son répertoire, ses déclarations et sa personnalité.
La représentation du 5 décembre est la plus mouvementée, avec la présence d’un groupe de manifestants, partisans d’Henri Bourassa , qui veulent protester au nom du respect de la doctrine catholique. (réf)
Pour couronner le tout, Sarah Bernhardt fit quelques déclarations incendiaires sur les Canadiens-français et leur clergé:
Je ne comprends rien à votre population, dit-elle. Vous avez des Canadiens-anglais [sic), des Canadiens-irlandais [sic], des Canadiens-français [sic], des Canadiens-iroquois [sic]! mais voulez-vous me dire pourquoi vous vous appelez des Canadiens-français [sic]! Vous avez à peine une goutte de sang français dans les veines. […] Vous avez un beau pays, mais c’est tout. Depuis vingt-cinq ans l’agriculture peut-être a prospéré, mais le reste? Vous n’avez pas de peintres, vous n’avez pas de littérateurs, vous n’avez pas de sculpteurs, vous n’avez pas de poètes. Frechette peut-être, et un autre jeune. Mais sapristi, vous n’avez pas d’hommes, vous n’avez pas d’hommes! […] C’est à vous, les journalistes, et à la jeunesse étudiante, à préparer l’avenir et à former le goût et les mœurs d’un pays […] Vous avez progressé depuis vingt-cinq ans mais en arrière […] Vous êtes sous le joug du clergé […]Vous lui devez ce progrès en arrière qui vous fait ressembler à la Turquie.
(L’Événement, «Le Canada est un beau pays», 5 décembre 1905). (Source, Cap-aux-Diamants)
Jules Tardivel n’a pas aimé (voir p. 2 du journal La Vérité).
Plusieurs »charmantes » personnes réunies à la gare ont assisté à son départ, le 6 décembre, lançant généreusement des injures, des morceaux de glace et des oeufs. On lui servit généreusement du »A bas la juive! ».
Le premier ministre du Canada, Wilfrid Laurier et Henri Bourassa présentèrent leurs excuses à la comédienne pour ces incidentts.
Le passage de Sarah Bernhardt eu pour conséquence une augmentation de la censure. Entre le 31 décembre 1905 et le 10 janvier 1906, Mgr Louis-Nazaire Bégin ordonna aux gens de ne pas aller voir les pièces de théâtre jouées à l’Auditorium. Aussi, un comité de censure fut institué à l’Auditorium pour éviter que des pièces inappropriées [comprendre, qui déplaisaient au clergé) ne soient jouées en ces lieux.
Bibliographie
Bilan du siècle [en ligne]Passage controversé de Sarah Bernhardt au Québec [Page consultée le 26 février 2011 Adresse
Christian Beaucage. « La « divine » scandaleuse : Sarah Bernhardt au Québec. Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 35, 1993, p. 38-41 Adresse
Quebec Mercury, 6 décembre 1905.
New York Times, 11 décembre 1905.
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