Égarés en forêt [canton Langevin, 1868]

(Je prends une pause de quelques semaines. De retour en septembre)

Cette histoire remonte aux débuts de la colonisation par chez nous.

Le Courrier du Canada, 27 novembre 1868

« Jeudi le 5 du courant, MM. Ferdinand Lecours, cultivateur de Ste. Claire (Dorchester) et Octave Morisset, de Ste. Justine du township Langevin, partaient de cette dernière place pour se rendre à travers le bois au township d’Armagh. Ils avaient environ quatre lieues à faire et devaient revenir trois ou quatre jours après. Les premiers jours de leur retard les amis ne furent pas inquiets, mais lorsqu’ils virent que leur absence se prolongeait, ils commencèrent à craindre. Le jeudi suivant, le 12, plusieurs de leurs amis se mirent à leur recherche en prenant la direction qu’ils avaient dû prendre pour se rendre où ils devaient aller. Comme il était tombé beaucoup de neige après leur départ, leurs amis ne purent trouver les traces de leurs pas; les seules indices de leur passage furent des entailles ou coupes faites aux arbres avec une hache que quelqu’un avait conseillé à Lecours de prendre en partant. Ceux qui cherchaient, suivirent ces entailles jusqu’à environ 9 ou 10 milles où elles finissaient entièrement; ils n’en trouvèrent qu’une sur un seul arbre et dans une autre direction. Ne trouvant rien, ils revinrent sur leurs pas et le 16, une trentaine d’hommes tant de Ste. Claire que de Ste-Justine et de de Ste. Malachie, se mirent de nouveau à faire des recherches qui durèrent plusieurs jours; mais ils ne trouvèrent pas d’autres marques que celles trouvées par les premiers.

M. L. Fortier, notaire de Lévis, est parti hier (25) de Ste. Claire, accompagné d’un chasseur et que quelques autres de leurs amis pour se rendre au lieu communément appelé « les Trappistes » et de là aller à environ 24 à 30 milles à travers le bois pour se rendre à un ancien chantier ou camp d’Américains, maintenant abandonné, qui se trouve près de la rivière St. Jean. C’est la seule habitation dans cette forêt, et on suppose que Lecours ou Morisset, s’étant égarés, peuvent s’y être rendus. Mais comme ils doivent être exténués par le froid et la faim, et qu’il n’y a pas même de sentier de tracé, il leur est impossible de revenir seuls; c’est pourquoi ces amis partent pour aller à leur recherche dans cet endroit.

La paroisse de Ste. Claire et les paroisses environnantes sont dans l’affliction, car Lecours était un des premiers citoyens de Ste. Claire et il était estimé de tous ceux qui le connaissaient.

Il était âgé d’environ 40 ans et Morisset de 24 à 25 ans. – (Communiqué).  »

Le 4 décembre 1868, le Courrier du Canada évoque une rumeur plutôt sinistre.

Le courrier du Canada, 4 décembre 1868

Le courrier du Canada, 4 décembre 1868

On a retrouvé Octave Morisset quelques mois plus tard.

Acte de sépulture d'Octave Morisset. Registres de Sainte-Justine (Dorchester, auj. Bellechasse).

Acte de sépulture d’Octave Morisset. Registres de Sainte-Justine (Dorchester, auj. Bellechasse).

Emilie Audet dit Lapointe était enceinte de huit mois au moment de la disparition de son mari. Leur fille Adèle est née le 11 décembre 1868. Emilie Audet dit Lapointe (qui a épousé Ferdinand Lecours le 27 août 1850, à Sainte-Claire), s’est remariée le 25 novembre 1872, à Sainte-Justine, avec Misaël Morisset, fils de Charles Morissette et de Théotise Marie Roy. Elle a donc marié le  frère d’Octave Morissette. On retrouve Emilie et Misaël à Sainte-Justine selon recensement de 1881, Misaël étant âgé de 36 ans et Emilie de 49 ans.

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PROJET D’UNE COLONIE BELGE DANS LE CANTON DE LANGEVIN [1871]

21 AUTOCHTONES MORTS DE FAIM DANS LES BOIS [LAC-ST-JEAN, 1907]

Projet d’une colonie belge dans le Canton de Langevin [1871]

Twitter m’informe que c’est aujourd’hui la fête nationale des Belges, alors parlons un peu des Belges.

En 1871, l’abbé Pascal Jacob Verbist était venu analyser les possibilités qu’offrait pour les immigrants belges le canton de Langevin, (renommé plus tard Sainte-Justine). Fin 1871, il visite la Trappe du Saint-Esprit, située dans ce canton. En ce coin de colonisation résidaient plusieurs moines trappistes d’origines belges ayant des liens avec l’abbaye de Saint-Sixte.

L’article suivant retrace donc la visite de l’abbé Verbist dans le township Langevin.

Le Journal de Québec, 19 décembre 1871

Le Monastère des Trappistes et la Colonie belge

L’abbé Verbist, prêtre belge, nous est revenu aujourd’hui même d’une petite excursion dans le comté de Dorchester. Il y a visité les révérends Pères Trappistes, dont le monastère se trouve dans le township Langevin, à 63 milles de Québec. Le révd. Père Prieur a eu l’obligeance de lui montrer la maison et ses dépendances dans tous leurs détails et de fournir les explications les plus minutieuses sur les différents travaux agricoles auxquels les moines se livrent depuis l’érection du monastère.

C’était en 1862, que ces religieux austères, d’origine belge, pénétrèrent dans les forêts vierges de Langevin, à 12 milles au-delà de toute route praticable, et y jetèrent les fondements du monastère, qui fait aujourd’hui l’admiration des visiteurs, qui dirigent leurs pas vers cette contrée isolée et lointaine. Avec le concours du gouvernement ils ouvrirent des chemins dans toutes les directions, qui facilitent l’accès de leur établissement, et ils y établirent ensuite, à un mille de distance, la paroisse de Sainte Justine, qui est aujourd’hui un centre assez important autour duquel viennent se grouper bon nombre de colons, auxquels ces excellents religieux servent de seconde Providence. Les chemins sont beaux et le défrichement des terres a été poussé sur toute la ligne avec une vigueur qui étonne et qui ne se rencontre pas ailleurs. En effet, à eux seuls, les Pères Trappistes, qui occupent une propriété de 800 arpents, en ont déjà défriché plus de 450, pendant l’espace de quelques années. Leur communauté se compose de dix-neuf religieux, dont quatre prêtres, qui tous sont occupés aux travaux des champs.

Sainte-Justine – Monastère de la Trappe / L. P. Vallée . – [Vers 1875] Source: BANQ

De plus, ils se trouvent obligés de se faire aider par de nombreux ouvriers, sous la hache desquels les forêts se dépeuplent comme par enchantement. La ferme, qui vaut plus d’une ferme-modèle, compte 24 vaches laitières, 4 chevaux et une paire de gros boeufs pour le labourage; un troupeau de moutons et quelque menu bétail. Les Pères pourraient, à l’heure présente, subsister avec le seul produit de leurs travaux, si l’année dernière ils n’avaient subi une perte considérable (1,500 piastres) causée par une de ces incendies auxquels le colon se trouve toujours exposé pendant les premières années, lorsque le feu consume ses abattis. Une partie de la récolte a été perdue ensuite, à cause de la gelée extraordinairement précoce de l’automne dernier, ce qui rend leur situation actuelle plus précaire encore. Malheureusement, aucune compensation pécunière ne leur a été accordé de ce chef. Les bons Pères, qui parlent avec effusion de la charité du peuple qui a si généreusement contribué à leur premier établissement et de l’appui puissant que leur accordait la famille Langevin, seraient heureux en ce moment de trouver l’appui du gouvernement, qui certes, ne leur ferait pas défaut, si ces travaux éminemment utiles au pays étaient suffisamment appréciés. Que des agents officiels aillent, à certaines époques, s’enquérir sur les lieux mêmes de la situation véritable, et il est certain qu’un établissement de cette nature, où l’on n’a nullement à craindre de gaspillage des deniers publics, ne restera point en souffrance.

Au point de vue d’une colonie flamande, le voisinage des Pères Trappistes, qui ont créé des moulins à farine et des scieries de bois; qui sont avec les Belges en communauté de langue et qui ont largement profité des leçons de l’expérience, serait d’une utilité incontestable; les Belges appuyés sur le monastère de leurs compatriotes occuperaient là un emplacement des mieux choisis sur les confins des townships Roux, Langevin, Standon et Ware; ils s’y trouveraient en famille. Aussi, si cette perspective devait se traduire en réalité dans un avenir prochain, le révérend Père Prieur offre son généreux concours, et il promet à l’abbé Vervist de contribuer largement à faire réussir un projet si utile à tous égards.

D’un autre côté, la société de colonisation No 2 du comté de Dorchester, qui a son siège d’opération à Sainte-Germaine, sur le lac Etchemin, se réunissait dimanche dernier, après l’office divin. Lorsque l’abbé Verbist, qui y assistait, eut exposé le but de son voyage parmi eux, l’assemblée, sur la proposition de M. Bellarmin Lapierre, juge de paix du canton, vota par acclamation, une première somme de 50 piastres, sur les 150 qui leur sont alloués par le gouvernement, pour contribuer à l’ouverture d’un chemin qui permettrait aux Belges la création d’une paroisse dans ces parages. Cette noble initiative prouve à toute évidence le bonheure qu’éprouverait la population toute entière, si dès le printemps prochain, une colonie belge venait s’établir parmi eux. Avec les éléments de prospérité décrits ci-dessus, la chose ne serait pas impossible, pour peu que le gouvernement y prête la main et s’en occupe en temps utile. Espérons!

Les Belges ne sont pas venus s’établir dans le coin et la trappe du Saint-Esprit a été dissoute l’année suivante. Quant à l’abbé Verbist, il fut nommé curé de Sainte-Pétronille, Ile d’Orléans, en 1872, mais quitta précipitamment sa paroisse deux ans plus tard, en compagnie de sa  »nièce », Mademoiselle Bassibé, avec qui il était partenaire pour la vente de dentelle de Bruges. Il serait décédé accidentellement par noyade aux États-Unis en 1879. (Réf. L’Immigration des Belges au Québec par André Vermeirre, 2001)

De nos jours, on peut se procurer  Vous pouvez aussi vous procurer du délicieux chocolat confectionné par les moines Trappistes de Mistassini ainsi que de l’excellent chocolat belge fabriqué à Lac-Etchemin, près de Sainte-Justine.

Pour en savoir plus

André Côté.  »Fondation de Sainte-Justine de Dorchester (1862-1872) ». Histoire Québec, décembre 1995, vol. 1, no.2.

Municipalité de Sainte-Justine. [En ligne]Site historique des Pères trappistes – Histoire [Page consultée le 21 juillet 2012] Adresse URL

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