Le tremblement de terre de San Francisco [18 avril 1906]

Le 18 avril 1906 avait lieu le grand tremblement de terre de San Francisco. D’une magnitude d’environ 8.2 sur l’échelle de Richter, il a fait plus de 3000 morts (réf.). Cette catastrophe a été relatée dans plusieurs articles de journaux d’ici, La Patrie ne faisant pas exception.

J’ai sélectionné quelques bribes d’articles publiés par La Patrie qui portent sur les canadiens-français qui étaient là lors de l’évènement.

Vue panoramique de San Francisco en 1906 après le tremblement de terre. Source. Wikipédia et National Archives and Records Administration

20 avril

Personnel
Parmi les Canadiens qui demeurent à San Francisco, mentionnons le Dr. Marquis et M. A. M. Bergevin. M. Bergevin est l’un des officiers du Bohemian Club, le club le plus fashionable de l’endroit. M. Bergevin logeait depuis une couple d’années au Palace Hotel avec sa femme et son enfant.

[…] Il y a une quinzaine de jours, il donnait de ses nouvelles au rédacteur de La Patrie. M. Bergevin était-il de retour à San Francisco hier? Nous l’ignorons. Il a été impossible de communiquer avec lui par télégraphe.

M. Pierre Bergevin, commerçant de bois, frère de M. Chs. Bergevin, de Québec, M. Hercule McKercher de Lanoraie, etc habitant San Francisco depuis un grand nombre d’années.

24 avril

UNE VICTIME DE LA CATASTROPHE

M. Arthur Poulin, établit depuis 20 ans à San Francisco a perdu ce qu’il possédait

LA VIE SAUVE

Sa maison est au nombre de celles qu’on a fait sauter avec de la dynamite

La Patrie, 24 avril 1906

M. et Madame P. Poulin, viennent de recevoir une dépêche de leurs fils Arthur qui habite San Francisco depuis 20 ans leur annonçant que lui, son épouse ainsi que son fils, âgé de sept ans, sont sortis du feu de San Francisco sains et saufs mais qu’ils ont tout perdus ce qu’ils  possédaient.

Ils devront s’embarquer ce soir  pour Montréal, de Berkeley, Californie, où ils se sont réfugiés après la catastrophe de mercredi dernier.

M. Arthur Poulin demeurait au No. 526 rue Harrison. Il était propriétaire de la maison qu’il occupait depuis quelques mois. Ce fut l’une des premières résidences que l’on fit sauter à la dynamite pour empêcher l’incendie de se propager au loin.

M. Poulin était contremaître aux entrepôts de la Eisen Vineyard co de San Francisco, entrepôts qui furent aussi détruit par le tremblement de terre et l’incendie.

La Patrie, 24 avril 1906

Le père de M. Arthur Poulin est M. Pierre Poulin, secrétaire trésorier de la Canadian General  Service & Colonisation  Co ayant ses bureaux d’affaires au no8 Boulevard Saint-Laurent.

Par l’entremise d’un autre de ses fils, demeurant à Seattle, il a, par mandat télégraphique fait tenir une somme de $300 ce matin à son fils Arthur qui partira de Berkeley ce soir pour revenir à Montréal

28 avril

MONTREALAIS A SAN FRANCISCO – M. CAMILLE MARTEL DONNE DE SES NOUVELLES

Un Montréalais, M. Camille Martel, autrefois marchand de machines à coudre dans cette ville et établi depuis environ deux ans à San  Francisco où il était le vice-président de la  »Market Street Bank » vient de donner de ses nouvelles.

Dans une carte postale datée d’Alley Springs, Colorado, le 21 avril, à l’adresse de sa soeur, mademoiselle Anne  Martel, de la rue St-Hubert, M. Martel s’exprime ainsi: Nous sommes tous sains et sauf et loin maintenant de tout danger. A plus tard, les détails de ce terrible évènement ». Signé  »Camille ».

M. Martel était à San Francisco avec sa femme et ses trois frères dont deux sont mariés. D’après la carte postale, tout la famille est en bonne santé.

1er mai

LES NOTRES À SAN FRANCISCO

Une description intéressante du désarroi qui a suivi la catastrophe

M.  Christophe Gamache, constable de la ville de Montréal, vient de recevoir une lettre de son fils Joseph établi à San Francisco depuis quelques mois.

San Francisco, 18 avril 1906. Source: Library of Congress

M. Gamache entretenait les plus sérieuses craintes sur le sort de son fils et de la famille de celui-ci. Aussi fut-il comblé de joie par la réception de cette lettre, écrite à la hâte, au crayon, mais peignant sur le vif le désarroi de la malheureuse ville au premier moment.

San Francisco, 22 avril 1906,

Chers parents,

Je vous aurais écrit tout de suite après le tremblement de terre, mais il n’y avait pas de communications postales. Je suppose que vous avez lu les journaux; ils ne peuvent exagérer notre position.

C’est une expérience que je ne vous souhaite jamais.

Ma petite famille est bien; nous avons pu nous sauver tous vivants et c’est déjà beau, car nous étions logés au centre même du désastre. Tout le monde courait dans la rue, mais plusieurs qui n’ont pas eu le temps de prendre la fuite, ont été écrasés. Il y a dans le sol des crevasses assez larges pour engloutir une maison.

Nous sommes actuellement nourris par le Gouvernement. On couche dans les rues et les parcs. Il y a chaque jour morts d’hommes par le fusil ou le pistolet.

Il y a eu au commencement beaucoup de pillages; mais ensuite les pillards qu’on trouvait en flagrant délit étaient tués sur le champ. Les soldats nous forcent de leur prêter assistance pour maintenir la paix et ensevelir les morts. Tout refus est puni de mort. Je suis réquisitionné pour retirer les cadavres. Ca commençait à empester dans le quartier détruit.

Il fait beau, c’est la seule chance que nous avons dans notre malheur. Des voitures passent, chargés d’aliments, les affamés se jettent dessus comme des sauvages, ma femme, mon enfant et moi, nous faisons comme les autres.

Que Dieu nous vienne en aide!

JOSEPH GAMACHE

No 1717, 18e Avenue, San  Francisco.

Et pour terminer, voici une vidéo tournée en 1906 montrant les dommages subis lors du tremblement.

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Le tremblement de terre du 20 octobre 1870

Le 20 octobre 1870, il y eut un tremblement de terre d’une magnitude de 6,5 sur l’échelle de Richter et dont l’épicentre était situé près de Baie-Saint-Paul.

Dans le Canadien, journal publié à Québec, édition du 21 octobre 1870, on pouvait lire:

TREMBLEMENT DE TERRE

Hier, à 11 heures 25 minutes, l’alarme a été jetés [sic] dans  toutes les parties de la ville, par un tremblement de terre tellement violent que les bâtisses même les plus solides menaçaient de s’écrouler. Le mouvement d’oscillation paraissait être du Nord-Ouest au Sud-Est et créait sous les pieds un déplacement assez considérable pour faire chanceler. Tous s’accordent à dire que ce tremblement de terre qui a duré de 40 à 50 secondes, est le plus violent qui se soit fait sentir, depuis nombre d’années, en ce pays.

Dans toutes les parties de la ville, on voyait les gens en proie à la plus grande panique, sortir de leurs demeures, de leurs bureaux, et rechercher en toute hâte les lieux ouverts, où il n’y eut rien à craindre de la chute des murs.

C’est surtout dans les établissements où se trouvaient réunies un grand nombre de personnes, comme par exemple, au palais de justice, dans les manufactures, et les maisons d’éducation, que la confusion a été à son comble par suite de la terreur et de l’empressement que  chacun mettait à fuir le danger.

Si cet événement fut arrivé durant la nuit, il n’y a pas de doute que la panique, augmentée encore par les ténèbres, aurait pris des proportions qui auraient pu causer de graves accident.

Photographie | Vue de la Terrasse Durham depuis la rue Champlain, Québec, QC, 1870-1875 | MP-1976.6.10

Vue de la Terrasse Durham depuis la rue Champlain, Québec, QC, 1870-1875

De même, si ce tremblement de terre eut eu [sic] lieu mardi, pendant que la cathédrale était encombrée à l’extrême par la foule de fidèles qui se pressaient pour rendre leurs derniers hommages et leurs derniers respects à la mémoire de Mgr l’Archevêque de Québec, quels résultats affreux la panique n’aurait-elle pas causée!

Heureusement, à part un certain nombre de cheminées démolies dans quelques parties de la ville, et quelques femmes évanouies, il n’y a pas eut d’accident bien fâcheux et tout le monde en a été quitte pour la peur.

Voici, cependant, un rapport des principaux dommages causés:

Dans la rue Desfossés, St. Roch, la moitié de la cheminée de la maison occupée par M. Huot, marchand de grain, est tombée dans la rue, et un certain nombre de pierres en tombant sur la toiture, ajoutaient encore au bruit produit par le tremblement et à l’effroi  des occupants.

Plusieurs murs ont été fortement ébranlés dans la même rue et menacent de s’écrouler.

La maison occupée par M. Davis, même rue, a aussi eu sa cheminée à moitié renversée.

Chez M. Davidson, une grosse pierre s’est détachée de la cheminée et est tombée à quelques pouces  d’un cheval qu’elle aurait infailliblement tué, si elle l’avait atteint.

La même chose est arrivée chez M. Crémazie, librairie, rue Buade, où une pierre d’une grosse dimension, est tombée dans la rue.

La cheminée de la résidence de M. George Lemelin, encoignure des rues St. Dominique et St. Joseph, St. Roch, a été fendue du haut  en bas.

La cheminée de M. Vézina, épicier, et celle de M. Boily ont aussi souffert quelques dommages.

Photographie, diapositive sur verre | La ville de Québec depuis les Glacis, QC, vers 1870 | MP-0000.25.294

La ville de Québec depuis les Glacis, QC, vers 1870

Une ouvrière employée à la manufacture de MM. Woodley, a dans sa folle terreur sauté par une fenêtre.

Un pensionnaire de l’hôtel St. Louis s’est aussi laissé choir d’une fenêtre du 2me étages [sic]. La  frayeur, sans doute, lui avait donné des ailes, car il ne s’est fait aucun mal.

Les élèves de diverses écoles de la cité, affolés par la terreur, se sont enfuis de leurs classes en pleurant, et criant, courant en toute hâte chez leurs parents.

Les soldats de la citadelle ne se sont pas montrés plus braves que les autres en cette circonstance. Ils sont sortis de leurs casernes en toute hâte. Ils s’attendaient à voir une partie de la maçonnerie des fortifications qui donne sur le fleuve, s’écrouler avec grand fracas, en bas du cap. La sentinelle placée à la poudrière sur l’Esplanade, s’est enfuie, croyant à une explosion.

Les plats-fonds de neuf appartements se sont écroulés, à l’Hôpital de la Marine, causant un dommage de $250.

Différents télégrammes, reçus hier, dans le cours de l’après-midi, établissent que ce tremblement de terre s’est fait sentir sur une grande étendue, et partout, à la même heure,  avec une égale violence.

Photographie | L'escalier casse-cou, Québec, QC, vers 1870 | MP-0000.321.2

L’escalier casse-cou, Québec, QC, vers 1870

Ces dépêches mandent qu’il s’est fait sentir, à Montréal, aux Trois-Rivières, à la Rivière du Loup (d’en bas,) à Berthier, à Sorel, à St. Jean à Rouses Point, à Boston, à l’Orignal, à Sherbroke (sic), au Coteau Landing, à St. André, à Ste. Catherine, à Richmond, à New York,  à Shenectady, N. Y.,  Troy, etc.

Il n’y a eu aucun choc à Ottawa. La main qui a dirigé cet événement a cru, sans doute, qu’il ne fallait pas troubler nos ministres et agent d’émigration, qui sont en pleine délibération en ce moment, dans la capitale fédérale.

Le choc n’a pas été senti non plus à Albany.

Un de nos correspondants, nous écrivant de Plessisville, nous informe que le tremblement de terre a commencé là à 11.30 AM temps de Montréal, et qu’il s’y est fait sentir 1. minutes 50 secondes.

L’Evenement, comme toujours, a parlé de cet accident avec un ton de légèreté impardonnable.

 »Depuis l’église de St. Roch jusqu’au Parc, dit-il, il n’y a presque pas de cheminées qui soient restées debout ».

Il a de plus jeté l’alarme dans l’esprit de bien des personnes qui ont été toute la nuit sur l’alerte.

 »Des géologues distingués, dit-il encore, avaient prédit ce tremblement de terre.

 »De leur avis, il y aura probablement une autre secousse, cette nuit ou demain. »

Il est permis d’être léger, et de tourner au vent des événements, mais pas au point d’en imposer ainsi à la crédulité des gens et de les effrayer ainsi.

Bibliographie

Ressources naturelles du Canada [en ligne] Le séisme de Charlevoix du 20 octobre 1870 [Page consultée le 11 février 2012] Adresse URL

Sécurité publique du Canada [n’est plus en ligne] Tremblements de terre importants des XIXe et XXe siècles [Page consultée le 11 février 2012]

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Une bombe nucléaire larguée dans le Saint-Laurent (St-André de Kamouraska, 10 novembre 1950)

Les tremblements de terre au Québec (1663-1988)

Voici quelques tremblements de terres ressentis au Québec depuis le 17e siècle. J’ai ajouté des liens menant vers des  articles de journaux  québécois (surtout les unes) et autres ressources en ligne portant sur ces phénomènes.

5 février 1663. Épicentre: Charlevoix. Magnitude: 7 sur l’échelle de Richter.

Le 5 février 1663, à 17h30, un tremblement de terre de magnitude 7, dont l’épicentre est situé dans la région de Charlevoix, secoue la Nouvelle-France. L’événement laisse des traces: il (la suite ici)

Les descriptions faites par le père Hiérosme Lallemand et Mère Marie de l’Incarnation valent le détour.

***

16 septembre 1732. Épicentre: Montréal. Intensité Maximale sur l’échelle de Mercalli Modifiée

300 maisons endommagées, une fillette tuée (selon la légende)

Le Tremblement de terre de Montréal du 16 Septembre 1732. Ressources naturelles du Canada

28 février 1925. Séisme de Charlevoix-Kamouraska. Magnitude 6.2

Le 28 février, l’un des plus forts séismes du XXe siècle secoue le Québec et perturbe la vie des milliers de gens. Évalué à 6,2 sur l’échelle de Richter, le séisme de Charlevoix-Kamouraska se fait sentir jusqu’à 1000 km de son épicentre, l’Île aux Lièvres. Pendant les semaines qui suivent, des dizaines de répliques sismiques sont ressenties. (Réf)

La Patrie, 2 mars 1925. L’Église de St-Hilarion s’écroule lors du tremblement de terre (p.1) La commotion que causa le tremblement de terre en ville (p.3)

Le Canada, 2 mars 1925, Violent tremblement de terre

Le Canada, 3 mars 1925, En une: Il y eu quatre tremblements de terre,  non deux et Les gaietés du tremblement de terre de samedi.

Et on en parle même en Tasmanie! 4 mars,  Mercury,  Hobart, Historic Church destroyed

1er novembre 1935. Épicentre: Temiscaming. Magnitude; 6.2

Journal La Patrie 3 novembre, p. 35 (p. 2 si vous regardez la numérotation de Google). Article: La terre tremble encore samedi matin.

Le Courrier de Berthierville, 7 novembre, Tremblement de terre.

Et La Patrie en rajoute…29 décembre, La terreur d’un séisme.

Le Canada, 2 novembre, Voie ferrée tordue par le tremblement de terre

25 novembre 1988. Épicentre Saguenay (ressenti dans Bellechasse, je m’en rappelle très très bien 🙂 ). Magnitude: 5.9.

Il y a 20 ans, Québec tremblait  »solide » (Quebec Urbain) Il y a dans cet article un lien vers une entrevue passionnante avec l’historien Jacques Lacoursière.

En complément:

Les tremblements de terre au Québec par Laura-Julie Perreault (cyberpresse.ca) Article publié le 23 juin 2010.

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La tragédie de l’Empress of Ireland, 29 mai 1914, en images

La tragédie de l’Empress of Ireland, 29 mai 1914, d’après les journaux de l’époque

La terre a tremblé en Nouvelle-France (5 février 1663)

Carte représentant la Nouvelle-France en 1657 par Francesco Giuseppe Bressani Source: Bibliothèque et Archives du Canada

Carte représentant la Nouvelle-France en 1657 par Francesco Giuseppe Bressani Source: Bibliothèque et Archives du Canada

Le 5 février 1663, à 17h30, un tremblement de terre de magnitude 7 (Réf), dont l’épicentre est situé dans la région de Charlevoix, secoue la Nouvelle-France. L’événement laisse des traces: il transforme physiquement le territoire mais surtout, il laisse une vive impression sur la population. Des témoins vont consigner par écrit leurs expériences. Des années plus tard, d’autres personnes vont relater ces événements. J’ai sélectionné quelques extraits qui vous montreront à quel point les points de vues des témoins et des mémorialistes diffèrent. Si certains tente de décrire objectivement ce qui s’est passé, d’autres y vont d’analystes fort surprenantes…
D’abord, Pierre du Bois d’Avaugour, gouverneur de la Nouvelle-France entre 1661 et 1663, écrit:

nous avons eu un tremblement de terre qui a duré près d’un demi quart d’heure, assez fort pour nous engager à un bon acte de contrition. Il a continué de temps en temps durant neuf jours et a paru jusqu’au dernier du mois mais toujours en diminuant. (Réf. p. 384)

Relations des Jésuites source: archive.org

Relations des Jésuites source: archive.org

Le père Hiérosme Lallemand, dans les Relations des Jésuites de 1663, a lui aussi livré un portrait assez réaliste de la situation:

Ce fut le cinquième jour de février 1663, sur les cinq heures et demie du soir, qu’un grand bruissement s’entendit en même temps dans toute l’étendue du Canada. Ce grand bruissement qui paraissait comme si le feu eût été dans les maisons en fit sortir tout le monde, pour fuir un incendie si inopiné; mais au lieu de voir la fumée et la flamme, on fut bien surpris de voir les murailles se balancer et toutes les pierres se remuer, comme si elles se fussent détachées; les toits semblaient se courber en bas d’un côté, puis se renverser de l’autre; les cloches sonnaient d’elles-mêmes; les poutres, les soliveaux et les planchers craquaient; la terre bondissait, faisant danser les pieux des palissades d’une façon qui ne paraissait pas croyable, si nous ne l’eussions vue en divers endroits.

Pendant ce débris général qui se faisait sur terre, des glaces épaisses de cinq et six pieds se fracassaient, sautant en morceaux et s’ouvrant en divers endroits d’où s’évaporaient ou de grosses fumées ou des jets de boue et de sable qui montaient fort haut dans l’air; nos fontaines ou ne coulaient plus ou n’avaient plus que des eaux ensoufrées; les rivières ou se sont perdues ou ont été toutes corrompues, les eaux devenant jaunes, les autres rouges; et notre grand fleuve de Saint-Laurent parut tout blanchâtre jusque vers Tadoussac, prodige bien étonnant et capable de surprendre ceux qui savent la quantité d’eau que ce gros fleuve roule au-dessous de l’Isle d’Orléans…

(Réf) Pour lire le texte en ancien français, c’est par ici (Réf)

Mère Marie de l’Incarnation , quant à elle, relate l’expérience de Mère Catherine de Saint-Augustin (Réf, 1 p. 376 et Réf. 2. ), qui aurait en quelque sorte prédit le séisme. Dans un autre texte, Marie de l’Incarnation soutient que c’est la consommation d’eau-de-vie dans la colonie qui aurait causé le tremblement de terre. (Réf. p. 377).Punition divine…

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***
Le tremblement de terre est resté dans les mémoires. Des années plus tard, on en parle encore, mais différemment.

Le botaniste suédois Pehr Kalm, dans ses récits de voyages publiés entre 1753 et 1761, note

Au commencement de février 1663 un grand tremblement de terre s’est fait sentir à Québec et par tout le Canada; il reste encore quelques vestiges de ses ravages.

Aucune personne n’a perdu la vie durant cette convulsion de la nature. (Réf. tome 2 p. 83 –p. 287 dans la version numérisée)

et plus tard, il écrit

Le grand tremblement de terre qui a eu lieu en Canada, en février 1663, et dont Charlevoix fait mention, a causé un dommage considérable à cette place, renversant les collines les plus élevées sur les côteaux qu’elles dominaient et comblant les vallées en état de culture. On m’a montré plusieurs petites îles qui doivent leur existence à cette convulsion de la nature. (Réf. Tome 2 p. 158 – p. 362 dans la version numérisée)

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La palme du récit le plus coloré revient cependant au père Charlevoix. Vous me permettrez donc de citer de plus longs extraits qui proviennent du tome 1 de son Histoire de la Nouvelle-France.

Histoire et description générale de la Nouvelle-France par le père Charlevoix Source: archive.org

Histoire et description générale de la Nouvelle-France par le père Charlevoix Source: archive.org

D’abord, le père Pierre-François-Xavier de Charlevoix revient sur les prémonitions de Mère Marie de l’Incarnation (il s’agit en fait de Mère Catherine de Saint-Augustin)

Enfin le même jour la Mere Marie de L’Incarnation, cette Illustre Fondatrice des Urfulines de la Nouvelle France, dont les Ouvrages, fi généralement eftimés, font foir qu’elle n’étoit rien moins qu’un efprit foible, après avoir reçu du Ciel plufieurs avis de ce qui devoit arriver, & dont elle avoit fait part au P. Lallemant, fon Directeur, étant fur les cinq heures & demie du Foir en Oraifon (a) , crut foir le Seigneur irrité contre le Canada & fe fentit en même tems porté par une force fupérieure à lui demander juftice des crimes qui s’y commetoient.  (Réf. p. 365)

La suite raconte l’apparition à Québec de quatre démons suivit d’un bruit infernal et la terre se met à trembler. La panique s’installe.

Les Campagnes n’offroient que des précipices, & l’on s’attendoit à tous momens à en voir ouvrir de nouveaux fous fes pieds. Des Montagnes enfieres fe déracinerent, & allerent fe placer ailleurs; quelques-unes fe trouverent au milieu des Rivieres, dont elles arrêterent le cour: d’autres s’abîmerent fi profondément, qu’on ne voyait pas même la cime des Arbres, dont elles étoient couvertes.(Réf. p. 365)

Des répliques au tremblement de terre se sont fait sentir pendant plus de 10 mois, sans faire de victime.

Dieu vouloit fans doute convertir les pécheurs, & non pas les perdre. Auffi vit-on par tout de grandes Confersions. (Réf. p.368.)

Le tremblement de terre comme châtiment divin et comme élément purificateur des âmes, en somme.

Selon Pierre Berthiaume, Charlevoix s’est inspiré des écrits de Hierosme Lallemand pour décrire le tremblement de terre. (Réf.) Et il signale, tout comme Marie de l’Incarnation, le rôle négatif de l’alcool dans tout cela…

Si on observe la présentation matérielle des événements, on remarque un souci manifeste de la part de l’historien d’imbriquer étroitement la question de la traite de l’alcool à celle du tremblement de terre. (réf. 378)

L’alcool comme cause de la vengeance de Dieu…

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On croit que le tremblement de terre était d’une magnitude de 7.  Les sources indiquent qu’il a été ressenti ressenti jusqu’en Nouvelle-Angleterre et en Nouvelle Belgique – aujourd’hui New York-  selon le père Charlevoix tandis que le père Lallemand parle de Gaspé, de la Nouvelle-Angleterre, de l’Acadie et plus loin même. Les témoins rapportent des secousses qui ont duré plusieurs mois et qui ont modifié la géographie physique de la Nouvelle-France. Il y a eu des glissements de terrains (notons qu’il y aurait eu de fortes précipitations avant le tremblement de terre). . Charlevoix rapport aussi qu’une montagne se serait affaissée (Réf p. 367).

Conclusion

Si certains livre une version plutôt objective du tremblement de terre, certains ajoutent une dimension religieuse à l’événement. C’est une une punition de Dieu, destinée à châtier les pêcheurs, coupables d’avoir consommé de l’alcool! Leçon à tirer de cet événement, ne péchez plus, repentez-vous! Si le tremblement de terre n’a fait aucune victime, il a quand même créé un certain effroi et modifié la géographie physique de la Nouvelle-France.

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Bibliographie
Berry, Lynn.« Le Ciel et la Terre nous ont parlé. »Comment les missionnaires du Canada français de l’époque coloniale interprétèrent le tremblement de terre de 1663, Revue d’histoire de l’Amérique française, Volume 60, numéro 1-2, été-automne 2006, p. 11-35

Pierre Berthiaume [en ligne] « Le tremblement de terre de 1663 : les convulsions du verbe ou la mystification du logos chez Charlevoix », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 36, n° 3, 1982, p. 375-387. [Page consultée le 25 avril 2010] Adresse URL

DE CHARLEVOIX, père François-Xavier. Histoire et description générale de la Nouvelle France, avec le journal historique d’un voyage fait par ordre du roi dans l’Amérique septentrionnale, Rolin, Paris, 1774, 809 pages. Adresse URL

DE L’INCARNATION, Mère Marie de. Lettres de la révérende mère Marie de l’Incarnation (née Marie Guyard) première supérieure du Monastère des Ursulines de Québec. Vve H. Casterman, 1876, 573 pages, Adresse URL.

Hierosme Lalement [en ligne] Tremble-terre universel en Canadas tiré des Relations des Jésuites 1663 et publié dans la revue Histoire Québec [Page consultée le 25 avril 2010] Adresse URL

KALM, Pehr. Voyages de Kalm en Amérique. T. Berthiaume, Montréal, 1880, volume 2, 469 pages, Adresse URL

Relations des Jésuites contenant ce qui s’est passé de plus remarquable dans les missions des pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, volume 3, A. Côté, Québec, 1858, 763 pages, Adresse URL

Ressources naturelles Canada [en ligne] Le séisme de Charlevoix survenu en 1663 [Page consultée le 25 avril 2010] Adresse URL

Ressources naturelles du Canada [en ligne] Les tremblements de terre [Page consultée le 25 avril 2010] n’est plus en ligne.

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