L’inondation de 1886 à Montréal

Photographie | Inondation au square Victoria, Montréal, vers 1886 | MP-0000.236.5

Inondation au square Victoria, Montréal, vers 1886

La Patrie, 19 avril 1886

« L’INONDATION
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UN IMMENSE DÉSASTRE
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8 À 10 PIEDS D’EAU À LA POINTE SAINT-CHARLES

DOMMAGES INCALCULABLES
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Montréal vient de subir une terrible inondation. Jamais l’eau n’a atteint une telle hauteur.

Ainsi que nous le disions dans notre édition de samedi, l’inondation à laquelle on avait cru un moment pouvoir échapper, a commencé à prendre des proportions alarmantes. L’eau s’est mise à monter et a fait de tels progrès qu’à trois heures de l’après-midi elle couvrait la rue des Commissaires, et une partie de la Pointe Saint-Charles. Cependant la glace n’avait pas bougé d’un pouce.

A cette vue il n’y avait plus à douter du fléau. Jusqu’à la nuit ce fut un sauve qui peut général. Tant que le niveau de l’eau permit au voiture de circuler dans les rues déjà couvertes d’eau, on vola au secours des inondés et on les transporta dans des voitures.

Mais bientôt on dut remplacer les voitures par des chaloupes. Tous les citoyens qui possédaient des chaloupes les mirent à contribution et comme toujours, parmi ceux qui sont les plus dévoués pour les malheureuses victimes de l’inondation se trouvait M. Jos. Vincent.

Vers cinq heures, l’eau resta quelques temps stationnaire, et sauf pour le quartier qui subissait des ravages, la nuit fut bien paisible. Rien n’empêcha que le fléau gagna tranquillement du terrain. Pendant ce temps-là les machines a pomper l’eau des égouts étaient submergées et tous les travaux exécutés à grand frais par la corporation pour protéger les parties basses de la ville disparaissent sous les eaux.

En effet, pendant la nuit de samedi, l’inondation fit un progrès immense qui alla toujours en augmentant jusque vers 5 heures, hier soir. Hier matin, tout le faubourg Saint Joseph était inondé, la rue Saint Paul était couverte d’eau jusqu’à la rue Saint Sulpice; la rue McGill jusqu’à la rue Saint Maurice.

Photographie | Inondation, square Chaboillez, Montréal, QC, vers 1886 | MP-0000.236.9

Inondation, square Chaboillez, Montréal, QC, vers 1886

Le carré Chaboillez disparaissait sous une épaisseur de 2 à 3 pieds d’eau, s’étendant au magasin de MM Tremblay et Lalonde, rue Notre Dame; dans la rue Saint-Jacques, l’eau atteignait le carré Victoria, la rue Craig était couverte jusqu’à la rue Alexandre.

Pendant toute la journée une foule immense est allée visiter le quartier inondé. Les rues de la ville ont été constamment remplies de monde. On ne voyait partout où l’eau couvrait les rues qu’embarcations et radeaux remplis de personnes allant d’un endroit à l’eau.

Photographie | Inondation, gare Bonaventure, Montréal, QC, 1886 | MP-0000.236.2

Inondation, gare Bonaventure, Montréal, QC, 1886

Aucun convoi de chemin de fer n’a pu atteindre la gare Bonaventure, hier; pas un seul train n’a même pu traverser le pont Victoria. La gare est entièrement inondée. On peut évaluer à quatre ou cinq pieds la profondeur de l’eau à cet endroit.

Vers midi, hier, l’eau montait avec une telle rapidité qu’il était facile de suivre son mouvement, surtout dans les rues Saint Jacques et Craig où elle s’échappait des bouches d’égouts avec une telle force que plusieurs couvercles furent brisés. A cinq heures elle avait atteint le nouvel hôtel Balmoral, rue Notre-Dame; le magasin Morgan, rue St Jacques et la rue Cotté, coin de la rue Craig.

La pression de l’eau dans les égoûts s’est surtout fait sentir hier dans la rue Craig jusqu’au jardin Viger. Toutes les caves ont été inondées. Le bas de la rue des Allemands, de la rue Craig à la rue Lagauchetière, était couvert d’eau, il en était de même pour les rues Ste Elizabeth et Sanguinet.

Inutile de parler des effets de l’inondation au marché Bonsecours dont tout le rez-de-chaussée, où les marchands de fruits et de poisson tiennent leurs étaux, a disparu sous l’eau.

Malgré tout le désastre causé par l’inondation depuis vendredi on ne croit pas qu’il en soit résulté de pertes de vie. Cependant vers cinq heures hier après-midi, le bruit courait qu’un jeune homme monté sur un train de bois était tombé à l’eau sur le Carré Chaboillez et s’était noyé. Informations prises, nous avons constaté que la rumeur était fausse.

Le sauvetage des inondés s’est fait heureusement, bien que la scène ne fut pas des plus gaies. Dans la rue Eléonore, hier soir, on a descendu, du deuxième étage d’une maison, au moyen de cordes, un paralytique âgé d’environ cinquante ans. Ce n’est peut-être pas le seul qu’on a dû arracher de sa couche pour le transporter en lieu sûr.

Les ateliers du Herald au coin du Carré Victoria et de la rue St. Jacques ainsi que ceux du Witness, rue St. Jacques, comme ceux de la Gazette, ont été submergés, et pour ne pas manquer leur édition de ce matin, ces journaux ont dû aussi recourir à leurs confrères.

Impression | Vue en direction ouest depuis le bureau « Witness », rue Saint-Jacques, Montréal, QC, 1886, copie réalisée vers 1900 | MP-0000.1823.1

Vue en direction ouest depuis le bureau « Witness », rue Saint-Jacques, Montréal, QC, 1886, copie réalisée vers 1900

[…]
Dans la soirée de samedi, l’eau montante obligea les pompiers de la station de la rue Wellington à déménager à la station du Carré Chaboillez. Ils n’avaient pas sitôt transporté leurs pénates à ce dernier endroit qu’ils durent céder de nouveau à l’envahissement du fléau et aller s’héberger à la station No 2 rue Saint Gabriel et les pompiers du Carré Chaboillez gagnèrent la station centrale, rue Craig.

[…]
L’amoncellement de glace le plus considérable et qu’on considère comme une des causes principales de ce désastre s’est fait entre Hochelaga et la Longue Pointe. La glace s’est massée depuis une couple de jours à cet endroit. On prétendait hier qu’il pouvait y avoir là plus de 15 pieds d’épaisseur de glace.

De l’avis général, la cause de l’inondation est due en grande partie à la glace qui a commencé à se briser à Lachine. Mise ainsi en mouvement depuis Beauharnois et Vaudreuil, elle est venue se masser en face de la ville. Ajoutons à cela l’obstacle des îles de Boucherville et nous avons la véritable cause de l’inondation.

A 11 heures, le Dr Thayer s’est rendu chez Son Honneur le maire pour lui proposer d’employer la dynamite comme étant le seul moyen de trimpher de cet amoncellement de glace entre Hochelaga et la Longue Pointe qu’il considérait comme l’unique cause de l’inondation. On alla consulter le colonel Stevenson, président du comité de l’inondation, mais celui-ci ayant répondu qu’il n’en voyait pas l’utilité, le projet fut abandonné.
[…]

La scène lugubre à laquelle a assisté Montréal depuis samedi, a donné lieu à de beaux exemples de dévouement et parmi ceux qui ont exposé leur vie pour soulager les infortunés, nous devons mettre au premier rang le courageux Jos Vincent, qui a dépassé, dans cette circonstance, tout ce qu’on pouvait attendre de son courage et de sa générosité si proverbiale dans ces temps de calamité publique.

Depuis samedi pour venir en aide aux inondés, Jos Vincent n’a rien épargné, il avait mis à leur service 40 chaloupes, c’est-à-dire toute sa flotille, il s’est prodigué partout, le jour et la nuit, même au risque de sa vie.

Rien ne peint mieux la grandeur des services que rend M. Jos Vincent dans ces jours de calamité, que les paroles suivantes tonbées, samedi de la boucher de Son Honneur, le maire Beaugrand: « fais pour le mieux, Joe; ce que tu feras sera bien fait. »

A 2 heures ce matin, les gardiens de nuit ont raporté à la station centrale de police, que l’eau avait baissé de 5 pouces au marché Sainte-Anne.  »

Pour en savoir plus:

Historique des inondations à Montréal (Émission Découverte)

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