Lettres du Klondike [1898]

La ruée vers l’or, à la fin du XIXe siècle, en a fait rêver plus d’un. Grâce à La Patrie, le lecteur a pu se faire une petite idée du difficile voyage qui attendait toute personne prête à tenter sa chance. Voici deux témoignages publiés à l’époque.

La Patrie, 15 septembre 1898

Les expériences de Woonsocketains canadiens-français.
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Woonsocket, R.I., 15. – M. Maxime Choquette, a reçu lundi soir une lettre de son fils Joseph, qui est parti pour le Klondyke avec la compagnie Doherty. Cette lettre est datée du 29 juin 1898 et se lit comme suit:
 »Chers Parents,
Nous sommes rendus sur le fleuve McKenzie, après avoir eu beaucoup de misère. Nos avons été obligés de pousser sur notre bateau pendant un mille, dans la rivière Esclave. Nous marchions dans l’eau jusqu’aux genoux. Nous avons ensuite attaché notre bateau à un bâtiment à vapeur pour traverser le lac Grand Esclave. Nous avons été 38 heures sans voir la terre, ce lac ayant 400 milles de longueur et 350 milles de largeur. Nous sommes arrivés à un fort (le fort Providence) et il y avait assez de maringouins que nous étions obligés de nous plonger la tête dans l’eau pour les ôter.

 »Nous espérons d’être rendus dans quelques semaines au terme de notre voyage et nous sommes pleins de courage. Il y en a qui se découragent et qui s’en retournent. Nous les trouvons bien lâches. Je suis en bonne santé, ainsi que toute la compagnie. Donnez des nouvelles à tous mes parents et amis.

 »Votre fils dévoué,
 »JOSEPH CHOQUETTE. »

Photographie, diapositive sur verre | Rue Front, Dawson, Yuk., 1899 | MP-0000.103.23

Rue Front, Dawson, Yuk., 1899

La Patrie, 1er octobre 1898

AU PAYS DE L’OR
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UN VOYAGEUR DE ST-OURS FAIT LE RÉCIT DE SON PÉRILLEUX VOYAGE
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DANS LES RAPIDES
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Sur le Meckenzie, 130 milles en bas du grand lac des Esclaves, 9 juin 1898.

Chers oncle et tante,

Notre entreprise réussit si bien que nous en attribuons le succès à la Providence: nous sommes nous-mêmes étonnés de nos tours de force. Il a été dit à St-Ours que je n’avais pas la santé pour faire ce voyage, que je me rendrais certainement pas au pays de l’or, etc. Jugez-en par vous-même, et que les gens qui n’ont pas cru dans la réussite de notre entreprise, sachent à quoi s’en tenir.

Nous avons pris cinq semaines à construire notre bateau et attendu que la rivière La Paix fut libre de glace, ce qui arriva le 4 mai. C’était un mercredi; beaucoup étaient partis le samedi et les jours précédents. Notre bateau était le 14e qui quittait le chantier. Les deux premiers jours, nous avons fait 160 milles et passé deux bateaux. Mais le vent contraire, la pluie et la neige sont venus mettre un frein à notre course. Nos arrivâmes cependant sains et saufs à la tête des rapides du fort Smith, le 17e jour de notre départ, c’est-à-dire le 21 mai; notre bateau était le 7e qui abordait le rapide; nous en avions passé 7 sur la distance de 650 milles. Je vous assure que j’aimais notre bateau; j’étais fier de notre ouvrage.

Photographie | Poste de Vermillon, Revillon Frères, Peace River, Alb., vers 1910 | MP-1976.24.75

Poste de Vermillon, Revillon Frères, Peace River, Alb., vers 1910

Je vous assure que nous commençons à connaître ce que c’est que la mer. Nous avons eu la première leçon sérieuse à 300 milles du lieu de départ; aux rapides Vermillon. On entendait le bruit des rapides à 4 ou 5 milles de distance. Toute l’eau du grand fleuve tombe d’une hauteur de 25 pieds en deux sauts éloignés l’un de l’autre de deux milles. Nous en sommes venus aussi près que possible, à la rame ou à la cordelle. Il nous fallut ensuite se jeter à l’eau à tout moment pour sortir le bateau échoué sur les rochers ou pour lui en faire éviter d’autres sur lesquels il aurait pu se briser. Toujours est-il que nous avons pu atteindre chacun des portages heureusement. Le premier portage a 6 arpents de long. Le 2e portage, n’a que 5 arpents, mais il a fallu traîner notre bateau sur des rouleaux. Au bout de 15 heures, l’ouvrage était terminé. Nous mîmes à la voile, et vogue la galère! Nous passâmes deux autres groupes qui étaient à faire leurs portages et qui se faisaient aider par les sauvages. Nous fîmes 200 autres milles en bateau, sans aucun incident grave. En approchant de l’embouchure de la rivière la Paix, nous nous vîmes en présence de rapides qui ne se terminent qu’au fort Smith, soit une distance de 150 milles. Nous entendions de loin le bruit d’un autre rapide, et c’est aussi en tremblant que nous nous en approchions. On nous avait conseillé de prendre un guide pour faire ce trajet, mais nous voulions essayer notre chance. Et nous avons été chanceux, car plusieurs fois après avoir passé des petits rapides, nous nous apercevions que si nous avions passé à droite ou à gauche nous aurions certainement pris un bain.

Nous arrivons donc au grand rapide du fort Smith, fiers de nos succès et nous sentant assez de force et de courage pour entreprendre la tâche qui nous attendait. Comme je l’ai dit plus haut, nous sommes arrivés à la tête du rapide samedi le 21. Il y avait 6 bateaux de rendus et personne n’avait encore franchi les rapides cette année, l’eau étant basse comme jamais, d’après ce qu’en disent les sauvages. Le lundi midi, trois partis se décidèrent à descendre. Ils avaient chacun un guide et des rameurs sauvages. Nous résolûmes donc, mon compagnon Euchariste et moi de les suivre tous les deux seulement; le prix des hommes étaient de 25 piastres chacun et nous n’étions pas riches. Il ne fallait pourtant pas rester là. Aussitôt que j’appris la nouvelle du départ de ces trois bateaux, je me suis confectionné un gouvernail de première classe avec une planche payée une piastre et demie; j’élevai le bord du bateau de 8 pouces, puis on soulagea notre embarcation de quatre sacs de farine qu’on fit porter en voiture, au coût de deux piastres et demie.

Le rapide du fort Smith a 16 milles de long. Il faut faire quatre portages, le premier de 8 arpents, de long, le deuxième de 13, et le troisième de 5. Mais quant à celui-ci, il est plus difficile; il faut passer une côte de cent pieds de haut. Au dernier saut qu’il fallut faire, nous étions un peu frissonnants. Euchariste mettait plus que sa force sur les rames pour pouvoir suivre les autres qui avaient trois ou quatre rameurs. Les sauvages disaient que notre bateau était le plus difficile à passer des quatre, ceux-ci étant plus courts. Mais qu’importe, il fallait passer. On fit le premier saut sans qu’il rentrât une goutte d’eau, mais au second, nos haches tombèrent à l’eau et il embarqua 20 gallons d’eau dans notre bateau et je faillis être précipité à l’eau par le gouvernail qui frappa une roche avec une grande force. Les gens d’en avant nous crurent perdus et ils se préparèrent à nous jeter des câbles. Les autres rapides ont été franchis avec plus de succès. Nous sommes les premiers qui aient descendu les rapides sans guides. Je vous assure que nous faisons parler de nous. On nous appelle  »les braves ».

Hudson's Bay Co., Fort Smith, [N.W.T.]. Credit: Canada. Dept. of Mines and Technical Surveys / Library and Archives Canada / PA-019539

Hudson’s Bay Co., Fort Smith, T.N.O. 1900.  Bibliothèques et Archives Canada et Dept. of Mines and Technical Surveys PA-019539

Le mercredi, à 9 ½ du soir, nous étions au bas des rapides, au fort Smith. Je suis sûr que vous pensez qu’il s’agit d’un joli village. Détrompez-vous, il n’y a que le magasin de la Baie d’Hudson, une cabane, pièce sur pièce, une petite chapelle et cinq ou six autres petites cabanes couvertes, en écorce d’épinette. C’est le troisième fort que nous voyons de la sorte depuis que nous sommes partis d’Edmonton. A part cela, les seuls signes de vie que nous voyons ce sont des tentes fumées, des sauvages et des canots.Nous avons appris avant de partir du fort Smith, que deux hommes s’étaient noyés dans le grand rapide. Jeudi, le lendemain, de notre arrivée au fort Smith, nous réparâmes notre bateau, et le vendredi matin, nous mîmes à la voile pour le lac, distance de 200 milles. Nous étions les premiers qui passaient le fort Smith cette année. Deux autres Canadiens marchent avec nous. Notre bateau est plus rapide que le leur, mais nous ne voulons pas nous en éloigner, car ce sont deux gentilhommes et nous tenons tous ensemble à ne pas nous séparer; nous nous entr’aidons tour à tour. Ce sont des gens de par chez nous, l’un nommé Lemoine, de Ste-Victoire, et l’autre nommé Déjarlet, de St-Michel.
H.B. Co. [Fort] Resolution [T.N.O.]. en 1900

H.B. Co. [Fort] Resolution [T.N.O.]. en 1900. Bibliothèques et Archives Canada et Dept. of Mines and Technical Surveys PA-019543

Nous sommes arrivés au fort Résolution, à l’entrée du lac, dimanche midi. Ce fort est un peu mieux que le fort Smith. Nous partîmes de Résolution le mardi matin, par un bon vent qui soulevait des vagues énormes. Nous dûmes mettre à terre vers midi. Le lendemain, nous repartîmes par un bon vent, mais nous fûmes encore arrêtés par les glaces qui eurent la politesse de nous renvoyer sur le rivage. C’était le mercredi, et nous ne pûmes sortir de là que le vendredi matin. Nous pouvons dire que nous avons traversé le lac à travers les glaçons. Nous avons laissé le lac le 8, avant midi, prenant le courant rapide mais régulier du Meckenzie.Nous avons passé un fort, à 5 heures après-midi, et marché toute la nuit, par un bon vent qui devint contraire vers 5 heures du matin. Il nous fallut suspendre notre course. J’en ai profité pour vous écrire.Le prochain fort est le fort Simpson, à 100 milles d’ici; c’est là que j’enverrait ma lettre.

Fort Simpson le 20 septembre 1901. Crédit: William James Topley et Bibliothèque et Archives Canada

Fort Simpson le 20 septembre 1901. Crédit: William James Topley et Bibliothèque et Archives Canada

Environ 1500 hommes sont passés par Edmonton; 500 sont partis par terre et 1000 s’en viennent par eau. Nous sommes les premiers partis cette année même. Nous en avons vu de partis de l’été dernier, qui se sont fait prendre par les glaces du lac, et qui ont du hiverner là. Cette année, les glaces du lac se sont brisées plus vite qu’à l’ordinaire. Le Père de la mission du lac, nous dit qu’il a vu le 6 juin, traverser les sauvages sur la glace.

Il fait très fois: il gèle presque toutes les nuits. On nous avait conseillé au fort Smith, lorsque nous verrions le lac, de prendre un petit chenal que nous verrions à gauche. Il n’y avait pas assez d’eau pour nous permettre de passer. Il nous a fallu se jeter à l’eau et ôter de la terre à divers endroits pour passer le bateau. Toujours est-il que nous avons passé trois heures dans l’eau glacée, que deux fois depuis, nous avons été obligés de nous jeter à l’eau sur des battures, pour mettre notre bateau hors de l’atteinte des vagues et de la glace, mais nous avons la santé et nous ne craignons rien. Je suis parti de St-Ours, malade, mais au bout de quinze jours, j’étais complètement rétabli, et depuis, je n’en ai pas eu la plus légère indisposition. Ma dyspepsie est disparue. Nous souffrons d’une autre douleur, c’est celle causée par la morsure des maringouins qui nous tourmentent jour et nuit. Ce nous tourmentent jour et nuit. Ces maringouins sont quatre fois plus gros que ceux de chez nous. Il nous faut mettre des mitaines pour manger et se garer d’eux.

Nous n’avons pas eu de vos nouvelles depuis que je suis parti. J’ai hâte d’en recevoir. Je pense que dans trois semaines, nous serons rendus sur la rivière Peel. Il y a bien encore près de 1000 milles à faire, mais le courant est très rapide. Quand nous serons rendus là, nous verrons le soleil 20 heures par jour; déjà, nous n’avons presque pas de nuit. Le soleil se couche après 10 heures et se lève vers deux heures.

Il faut que je vous parle un peu de Smolophe. Il est dans un des trois cents bateaux qui viennent derrière nous. Il doit être à 300 milles d’ici. Il peut se faire que nous ne le revoyions plus du voyage. Toutes les semaines, il nous arrive des nouvelles qui sont de nature à encourager les futurs mineurs de la Peel River. Si le ciel ne se lasse pas de nous aider, notre fortune est assurée.

Aussi, ne nous oubliez pas dans vos prières, demandez à tous les parents et à M. le curé d’unir leurs prières aux nôtres. Il me ferait plaisir de recevoir des nouvelles de mes gens et de mon pays, séparés que nous sommes du monde et de tout ce qui s’y passe depuis quatre mois.

Au revoir. Votre neveu tout dévoué,

ALBERT LEBOEUF,
Fort Mc. Pherson, Ree River, T.N.O.

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2 réflexions au sujet de « Lettres du Klondike [1898] »

  1. je soupçonne fortement que ces 2 lettres ont été « corrigées » avant d’être publiées. Ça m’étonnerait vraiment que des « explorateurs » de ce temps là, qui partaient souvent en quête d’une vie meilleure, aient eu une écriture aussi « correcte » et un français tel que celui-là. Est-ce juste moi ou….?

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