Un voyage en montgolfière [8 septembre 1856] (première partie)

Publicité annonçant la venue de monsieur Godard La Minerve, 6 septembre 1856

Le Canadien, 12 septembre 1856

VOYAGE AERIEN

L’habile aéronaute Eugène Godard, dont nous annonçames il y a peu de semaines l’arrivée à Montréal, s’est élevé en ballon dans les airs, lundi dernier, à la vue de milliers de spectateurs, et a, par ce moyen, effectué sans le moindre accident, à travers l’espace, un voyage rapide de plusieurs lieues. La Patrie, dont l’un des rédacteurs, M. Rambau, a pris part à cette excursion d’un nouveau genre, en donne un récit pittoresque et détaillé, que nous aimons à reproduire. Nous laissons parler le narrateur:

A trois heures et demie, les préparatifs du gonflement commencèrent. Nous avons déjà dit que le ballon à 76 pieds de hauteur, 42 de diamètre, et qu’il faut 37,500 pieds cubs de gaz pour le mettre en état de faire son service aérien. Le gaz, de la qualité duquel M. Godard, qui s’y connaît, on peut le croire, fait le plus grand éloge, fut fourni avec toute la rapidité possible, sous la direction personnelle de M. Ls Beaudry, l’actif agent de la compagnie, auquel le public est fort redevable en cette occasion; car, il s’est donné toutes les peines inimaginables pour faire confectionner et pour livrer à M. Godard un gaz abondant et de la meilleure qualité.

L’opération du gonflement dura environ deux heures. Plusieurs personnes se montraient impatientes, pensant, sans doute, que l’on pouvait la faire en quelques minutes; nous avons entendu même plusieurs personnes, auxquelles nous aurions supposé plus de bon sens, faire les remarques les plus ridicules. Il y a, toujours et partout, des gens qui ne peuvent et ne veulent voir que le mal en toute occasion.

A 5 heures et demie, tous les préparatifs étant terminés, la nacelle fut amenée près du ballon qui devait la conduire et attachée avec toute la solidité possible. M. Godard alors fit l’appel de ses passagers et les pria de monter dans la voiture aérienne. C’étaient MM A. E. Kierskowski, D. S. Ramsay et A. Rambau, qui s’empressèrent de se rendre à son appel et de prendre leurs sièges. M. E. Chevalier avait été invité à montrer, mais M. Godard, pour cette ascension, ne voulut recevoir que trois voyageurs. Alors,  MM. Ramsay et Chevalier tirèrent au sort qui aurait l’avantage. Le premier l’emporta. A peine les voyageurs furent-ils placés et leur guide se fut-il assuré que tout était correct et complet, qu’il donna le grande ordre,  »lâchez tout.’ et aussitôt le ballon commença à s’enlever majestueusement dans les airs, au milieu des acclamations frénétiques et des battements de mains de 20,000 personnes peut-être, et au son de la musique d’une excellente bande.

Tous les yeux suivaient avec anxiété le magnifique aérostat, et bien des personnes nous ont dit avoir éprouvé, en nous voyant partir, des sensations d’angoisse que, certes, aucun des voyageurs aériens n’a ressenties. Il nous serait impossible de dépeindre, de raconter tout ce que fait éprouver d’agréable et de délicieux une ascension de ce genre. Le Turc, lorsqu’il a savouré son opium et qu’il rêve aux houris de Mahomet, ne saurait être plus heureux que ne le sont les passagers d’Eugène Godard, lorsqu’ils s’élèvent avec lui dans les airs.

Arrivés au milieu du fleuve, E. Godard nous dit, avec cette aménité qui le caractérise: Messieurs, nous sommes sur le plus beau fleuve du Canada: c’est, je crois, le moment de prendre un verre de champagne à la santé du Canada (nom du ballon). Personne ne s’objectant à la proposition, la bouteille de champagne fut débouchée et consciencieusement vidée, à la santé du Canada et de tous les citoyens de Montréal qui nous suivaient encore des yeux et que nous voyions s’agiter comme des fourmis.

Après cela, fut-ce la diminution du leste ou la volonté de notre guide? le ballon s’éleva  à une majestueuse hauteur et nous traversâmes les plaines de St. Lambert et Longueuil plus près des nuages que de la terre. Ce qui nous a paru bien étrange, c’est qu’à une semblable hauteur, on n’éprouvve pas le moindre sentiment de vertige, même lorsque l’on se penche hors de la nacelle, comme nous le fîmes tous, pour examiner la terre et essayer les étonnants effets de répercussion de la voix qui se produisent, lorsqu’on a atteint cette élévation.

Après nous avoir promené quelques temps dans les régions élevées et nous avoir presque fait espérer que nous montions au ciel, M. Godard nous ramena vers les régions terrestres. Nous descendions lentement à son gré et suivant ses ordres; car il est impossible de se faire une idée de l’aisance, de la facilité avec laquelle E. Godard conduit son aérostat. Le cheval le plus docile n’obéit pas mieux aux rènes tenues par une habile main.

La suite

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