Vieilles filles modernes [1928]

La Gazette du Nord, 28 décembre 1928

VIEILLES FILLES MODERNES

Autrefois, la femme qui ne se mariait pas était un type essentiellement incompris.

Le sexe masculin saluait d’un sourire ironique la qualification de vieille fille qu’on lui donnait très prématurément d’ailleurs, sans songer, le cruel inconscient, qu’il en était la cause, car s’il y a des hommes qui restent célibataires par égoïsme, les femmes ne le sont guère que par le fait des hommes.

Donc on raillait les vieilles filles, à ce point que, pour échapper au sentiment douloureux que cela développait dans leur amour-propre et dans leur coeur, beaucoup d’entre elles prenaient le voile.

Aujourd’uhi [sic], le fâcheux préjugé qui s’attachait à ce mot tend à disparaître.

Demain, il aura cessé d’exister, dès que la femme mariée aura su conquérir dans l’activité du monde moderne l’indépendance qui donne l’aisance d’esprit et la grâce physique que l’on se plaît à rencontrer dans la femme mariée.

L’Indépendance! Voilà bien ce qui manquait à la vieille fille d’autrefois. Indépendance! Mais hier encore, elle ne pouvait pas le devenir, la pauvrette, sans braver ce terrible personnage qu’on appelle le qu’en dira-t-on.

Tout se liguait contre elle, tout jusqu’à cette contume insensée d’appeler les vieilles filles les personnes qui ont atteint vingt-cinq ans sans être mariées. Elles sont cependant aussi jeunes que les femmes mariées dénommées jeunes femmes jusqu’à quarante ou quarante-cinq ans, si bien que la femme qui n’est pas mariée mais qui pourtant n’est pas vieille dans l’acceptation du mot, continue d’habiter chez ses parents et d’y rester tout naturellement en tutelle.

Aujourd’hui, on en est revenu de ces préjugés. La société moderne se transforme et se constitue sur de nouvelles bases. Le travail féminin n’y est plus considéré comme une déchéance, au contraire. Il réclame la jeune fille: toutes les carrières lui sont ouvertes et il y en a pour tous les goûts, pour toutes les aptitudes, même pour les situation de fortune et de respect humain; dévouement, art, industrie, commerce, travaux manuels. Sauf les écoles militaires, toutes celles du Gouvernement lui sont accessibles. Donnez donc un appât à l’intelligence de vos filles, mes chères lectrices, que dans cette activité moderne, elles choisissent un but, et que l’attente d’un mariage, toujours problématique, ne soit plus l’unique espoir de leur jeune existence. Alors il n’y aura plus de vieilles filles. Grâce au divin travail, elles connaîtront avant de la devenir l’initiative, l’effort, le succès, enfin tout ce qui constitue la joie de vivre et cette grâce charmante dont nous parlions tout à l’heure.

C’est encore à vous, mes chères lectrices, mères intelligentes et toujours avisées, de leur préparer cet avenir. Le présent est une époque de transition, mais la tâche est belle pour celles d’entre vous dont les filles sont assez jeunes encore pour être sauvées de la triste destinée du célibat d’attente.

Que si par aventure le mari désiré, mais non plus uniquement attendu, se présente un beau jour, il sera le bienvenu. S’il ne vient pas, un travail actif et intéressant consolera, non plus la vieille fille, chagrine ou hargneuse, mais la femme indépendante, libre et fière de la dignité de son rôle dans la société.

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